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Instauration d’un passeport vaccinal: entre polémique et avancées technologiques

Caroline Lallemand Journaliste

L’idée d’instaurer un passeport numérique vaccinal fait son chemin. Alors que des propositions technologiques sont déjà en préparation, le projet fait débat au niveau européen.

Un passeport vaccinal, à l’image d’un carnet de vaccination numérique, pourrait-il être le sésame, à l’avenir, pour toutes les personnes désireuses de voyager à nouveau (en avion notamment) ou d’accéder à certains lieux publics (restaurants, cinémas, festivals,…) ?

En Europe, alors que la vaccination a débuté et accuse dans certains pays des ratés ou des retards, la question divise fortement. Le président du Conseil européen, Charles Michel, s’est dit favorable à un débat sur un certificat de vaccination contre le coronavirus dans les États membres de l’Union européenne. Toutefois, il souligne le danger de l’introduire trop rapidement. « Cela créerait une frustration gigantesque« , estime-t-il.

C’est la Grèce, dont le tourisme est fortement touché par la crise sanitaire, qui a mis la première l’idée sur la table. Son Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis ne veut toutefois pas faire de la vaccination une condition sine qua non pour voyager. Il fait toutefois valoir qu’une garantie de voyage sans entrave pourrait motiver les gens à opter pour un vaccin.

Une impression d’obligation de vaccination

Car la question est des plus sensibles : ce type de laissez-passer pourrait donner l’impression que la vaccination deviendrait obligatoire. De plus, aucune entreprise ne peut exiger la vaccination d’un de ses employés et donc de facto de présenter un passeport vaccinal pour travailler ou voyager.

De nombreuses voix s’élèvent à travers le monde pour dire que ce type de passeport vaccinal est prématuré à l’heure actuelle. Le risque est de créer une grande frustration et une différence de traitement flagrante dans la population entre les personnes vaccinées et celles qui ne le sont pas encore.

La France freine des quatre fers. « Nous sommes très réticents », a ainsi déclaré Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, sur France Info. « Si on parle d’un papier, un document qui vous autorise à voyager en Europe, je crois que c’est très prématuré« , déclare-t-il.

Instauration d'un passeport vaccinal: entre polémique et avancées technologiques
© BELGAIMAGE

« C’est un débat qui n’a pas lieu d’être et ce serait choquant, alors qu’on débute encore partout cette campagne de vaccination en Europe, qu’il y ait des droits plus importants pour certains que pour d’autres. Ce n’est pas notre conception de la protection et de l’accès aux vaccins« , a-t-il ajouté. Un avis similaire à celui de l’OMS qui s’oppose « pour le moment » à ces certificats.

« Il y a toujours trop d’inconnues fondamentales en termes d’efficacité des vaccins pour réduire la transmission (du virus) et les vaccins ne sont encore disponibles qu’en quantité limitée« , a recommandé le comité d’urgence de l’Organisation internationale, ajoutant qu’une preuve de vaccination ne doit pas exempter des autres mesures de précaution sanitaire.

De son côté, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est dite favorable à l’initiative du Premier ministre grec d’instaurer un « certificat mutuellement reconnu » à l’échelle de l’UE. L’Allemagne y pense aussi, alors qu’Israël est aujourd’hui l’un des pays les plus avancés en matière de passeports numériques. Le pays a déjà annoncé la mise en place d’une telle solution.

Et en Belgique ?

A ce stade, la volonté des autorités belges n’est pas d’imposer la vaccination contre le Covid-19. Le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke le rappelait en décembre dernier : « La vaccination n’est pas imposée. La participation est volontaire. Ceux qui ne veulent pas être vaccinés ont le droit de ne pas être vaccinés« , rassurait-il. Le certificat de vaccination ne sera donc pas réclamé pour accéder à des lieux publics ou événements publics, explique-t-on du côté de la taskforce vaccination. Il n’est pas non plus dans les intentions des autorités belges de suivre la voie de l’Espagne qui dressera un listing des personnes qui auront refusé d’être vaccinées, un projet qui avait suscité une vive polémique lors de son annonce.

La Belgique prévoit l’enregistrement des données de vaccination dans une base de données via la plateforme « vaccin-net + », une plateforme déjà utilisée par les autorités flamandes pour d’autres vaccins. Cette plateforme sera élargie à Bruxelles et à la Wallonie et sera accessible sur le site « masante.be ». Via cette plateforme, les personnes vaccinées pourront donc obtenir et imprimer leur attestation de vaccination(lire aussi l’encadré ci-dessous).

Les géants numériques dans les starting-blocks

Au-delà du débat éthique, les États-Unis, ont déjà pris l’initiative de mettre au point un passeport de vaccination numérique. Elle émane d’une coalition formée de sociétés informatiques, dont Microsoft, des institutions de santé et des ONG. « Le but est de permettre aux individus d’avoir accès à leur dossier de vaccination et d’utiliser des outils comme CommonPass (un portefeuille numérique, ndlr) pour retourner au travail et à l’école, pour recommencer à voyager et à vivre, tout en protégeant la confidentialité de leurs données« , déclare dans un communiqué Paul Meyer, le dirigeant de la fondation Commons Project.

D’autres pays européens comme l’Estonie, la Hongrie ou l’Islande sont partisans de cette idée. Ils tablent sur une technologie qui permettrait aux personnes ayant reçu le vaccin de prouver leur état de santé par la lecture d’un QR code. Baptisée VaccineGuard, la plateforme a pour objectif de relier entre eux différents agents, depuis le point de fabrication du vaccin jusqu’au garde-frontière contrôlant un voyageur individuel, afin de créer un système dans lequel des informations fiables sur le processus de vaccination peuvent être partagées entre une myriade de sources et de pays différents.

Pour les citoyens, VaccineGuard serait, en termes simples, une version numérique du document de certification du vaccin déjà délivré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), également connu sous le nom de carte jaune, qui fonctionne comme un passeport médical reconnu au niveau international et qui contient les dossiers de vaccination des individus (fièvre jaune, hépatite..).

Des test PCR et des carnets de vaccination (in)falsifiables

« Des tests PCR peuvent être facilement falsifiés, notamment ceux émanant de centres de testing privés anglais. Ils sont délivrés en format PDF et sont facilement modifiables. L’utilisateur peut changer en quelques clics la date du test, son résultat,… « , nous fait savoir David Goldenberg, CEO de la société belge CVTrust, spécialisée dans la certification numérique de documents officiels. Leur solution ‘Smart Certificate’ est utilisée dans plusieurs pays (dont la Belgique), notamment dans le secteur de l’éducation et de la formation. « Il est alors difficile pour les autorités transfrontalières de vérifier la légitimité du test en question, à part en se basant sur la bonne foi du voyageur », évoque-t-il. Certains faussaires ont même fait de la falsification des tests PCR un business très rentable, en France notamment.

En Belgique, un trafic de fausses attestations de tests Covid sur les réseaux sociaux a été repéré en décembre dernier. Il s’agit d’une forme d’escroquerie difficile à détecter, selon la police, parce que les certificats officiels ne sont pas formalisés. Pour détecter la supercherie, il faut contacter le laboratoire ou le médecin qui figure sur le certificat pour demander si le propriétaire a réellement été testé. Les collaborateurs de compagnies aériennes, chargés de vérifier les attestations de tests Covid négatifs exigés par certains pays, tels que l’Italie ou l’Espagne par exemple, n’ont pas le temps de procéder à un appel. La contrefaçon et l’utilisation d’attestations sont un délit passible de dix ans d’emprisonnement et d’amendes.

Instauration d'un passeport vaccinal: entre polémique et avancées technologiques
© belga

Dans ce contexte, la société CVTrust table sur un système d’authentification des tests PCR et des certificats de vaccination numériques qui pourraient être instaurés dans le futur. « Vacciner c’est bien. Mais vacciner et offrir une attestation digitale infalsifiable et vérifiable, c’est encore mieux pour retrouver la liberté et relancer l’économie à travers les déplacements de personnes« , nous explique son fondateur.

Ce dernier a proposé à quelques hôpitaux bruxellois d’utiliser leur technologie de certification sécurisée. « Il est encore tôt pour l’implémenter mais nous avons reçu de l’intérêt de certains d’entre eux. Cette solution rapide et efficace permettrait une délivrance en temps réel du passeport vaccinal, 100% certifié conforme pour les citoyens« , avance-t-il.

Enregistrements des données de vaccinations : l’Autorité de protection des données émet un avis mitigé

Le traitement des données de vaccination de la population est un sujet délicat au niveau du respect de la vie privée. La publication le 24 décembre dernier au Moniteur belge l’Arrêté royal concernant l’enregistrement et le traitement de données relatives aux vaccinations contre la COVID-19 a fait réagir. Cet arrêté précise comment il est prévu de conserver dans une base de données des informations concernant la vaccination de la population.

« Les vaccinations contre la COVID-19 qui sont administrées sur le territoire belge sont enregistrées dans la banque de données de vaccination par la personne qui a administré le vaccin ou par son délégué« , peut-on lire dans cet arrêté. Ainsi, seront enregistrées « des données d’identité de la personne à laquelle le vaccin a été administré », à savoir « le nom, le prénom, le sexe, le lieu et la date de naissance, le lieu de résidence principale et, le cas échéant, la date de décès », précise l’Arrêté royal.

Lire aussi: Lettre ouverte appelant à vacciner autrement (carte blanche)

S’y retrouveront aussi des données concernant la personne qui aura administré le vaccin, des données relatives au moment et au lieu d’administration du vaccin, des données relatives au schéma de vaccinations contre la COVID-19 de la personne à laquelle est administré le vaccin, des données relatives aux effets indésirables de la vaccination, dont la personne qui a administré le vaccin ou son délégué a ou devrait avoir connaissance.

Les données pourront être transmises « à des instances ayant une mission d’intérêt général », prévoit l’Arrêté royal. Cet Arrêté royal et ce projet de constitution de base de données ont été examinés par l’Autorité de protection des données. Dans l’avis qu’elle a rendu, l’autorité est critique envers certaines dispositions de l’Arrêté. Concernant la création d’une base de données centralisée et le fait que ces données puissent être communiquées à des tiers, l’Autorité de protection des données estime que cela  » constitue une ingérence considérable dans le droit à la protection des données personnelles« . Sont épinglés, par exemple, la durée pendant laquelle les données seront conservées, le fait que les buts poursuivis ne soient pas définis avec précision, ni les organismes qui pourront les utiliser.

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