Covid: pourquoi les vaccins sont moins performants qu’espéré (analyse)
L’émergence du variant Omicron pourrait obliger les Etats à reconsidérer leur calendrier vaccinal, un schéma complexe que seuls le recul et une meilleure connaissance du virus permettent d’établir.
Une, deux, trois piqûres ou un rappel annuel comme pour la grippe… Qui peut dire aujourd’hui à quoi ressemblera le calendrier vaccinal définitif pour la Covid-19? Une projection que rend plus précaire encore l’arrivée du variant Omicron qui pourrait obliger les Etats à revoir leur stratégie en matière d’inoculation. Ce sur quoi la communauté scientifique a par contre acquis la certitude, c’est l’essoufflement sur la longueur des vaccins qui ont été administrés jusqu’ici contre le variant dominant, le Delta. Alors que pour d’autres pathologies plus connues et sur lesquelles on a davantage de recul, une seule piqûre suffit parfois à protéger les populations vulnérables.
Des inconnues persistent sur la duru0026#xE9;e de la mu0026#xE9;moire immunitaire induits par les vaccins contre la Covid-19.
Comment expliquer une telle variation de l’efficacité dans le temps d’un vaccin? Pour répondre à cette question, il faut revenir au principe même de la vaccination qui consiste, rappelons-le, à préparer notre système immunitaire à réagir rapidement si nous rencontrons le microbe contre lequel nous sommes vaccinés. « Les vaccins exploitent la capacité de mémoire de notre système immunitaire. Cette mémoire est plus ou moins performante et persiste plus ou moins longtemps selon le type de vaccin considéré, conceptualise Michel Goldman, professeur émérite d’immunologie à l’ULB. De façon générale, les vaccins basés sur des microbes vivants comme le vaccin contre la rougeole ou la fièvre jaune restent efficaces pendant les durées les plus longues. Pour les autres types de vaccins utilisés depuis des années, des rappels sont nécessaires. Il en faut par exemple trois dans le cas des vaccins contre l’hépatite B et le papillomavirus. »
Étudier la mémoire vaccinale
Pour les vaccins contre la Covid-19 qui sont d’utilisation récente, nous ne disposons pas encore d’informations précises sur la durée de la mémoire immunitaire qu’ils induisent. « Ils sont en effet basés sur des technologies innovantes: vecteur adénoviral pour les vaccins d’AstraZeneca et Johnson & Johnson, ARN messager encapsulé pour les vaccins Pfizer/BioNTech et Moderna, approfondit Michel Goldman. Lorsque les campagnes de vaccination ont commencé, nous savions grâce aux études cliniques que ces vaccins garantissaient une excellente protection dans les semaines suivant l’inoculation mais nous n’avions pas d’information sur sa durée. Nous avons appris lors des dernières vagues de la pandémie que cette protection diminue au fil des mois mais qu’elle peut être rapidement rétablie, en quelques jours, par une injection de rappel, le « booster ». »
Jean-Michel Dogné, directeur du département de pharmacie de l’UNamur, pointe aussi la pratique limitée des techniques employées pour développer en un temps record les vaccins contre la Covid-19: » On a peu d’expérience avec les vaccins à ARN et à adénovirus. On ne sait donc pas à quoi se raccrocher pour évaluer le nombre de doses nécessaires. » Dans le cas des vaccins contre l’hépatite B ou le papillomavirus, qui sont des vaccins sous-unitaires qui s’appuient sur des protéines pour déclencher une protection immunitaire et qui ne contiennent pas de virus, on a déjà beaucoup plus de recul. On sait qu’il faut tabler sur trois doses pour obtenir une vaccination complète. C’est d’ailleurs ce procédé, qui a fait ses preuves, qui a été choisi pour développer le vaccin Covovax, fabriqué par la société de biotechnologie américaine Novavax et qui a récemment fait l’objet d’une demande d’autorisation de mise sur le marché européen. « Dans le cas de la Covid-19, poursuit celui qui est aussi membre de la taskforce Vaccination, on n’exclut pas que le schéma optimal soit aussi de trois doses espacées de quatre à six mois selon le vaccin, sauf pour celui de Janssen, à vecteur viral (NDLR: adénovirus), qui nécessite une dose plus précoce. »
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Question de stratégie
Si le vaccin de Johnson & Johnson ne nécessite qu’une seule dose, c’est parce que Janssen a opté pour une autre stratégie que ses concurrents pour réaliser ses développements cliniques. « La société pharmaceutique belge a demandé aux agences de régulation de valider ce schéma étant donné qu’avec une seule dose, la firme obtenait déjà des résultats très encourageants, expose Arnaud Marchant, immuno- logiste et directeur de recherches FNRS à la faculté de médecine de l’ULB. Mais c’est aussi la raison pour laquelle son efficacité s’évanouit un peu plus vite. Les autres firmes ont agi différemment. Elles n’ont pas produit de résultats cliniques portant sur une seule dose. Leurs données sont basées sur les anticorps décelés lors des études de phase 1 et 2 durant lesquelles elles ont pu observer que la deuxième dose apportait un bénéfice. Ils ont alors estimé qu’il y avait de bonnes raisons de penser que deux doses étaient nécessaires. »
Les deux stratégies se sont avérées payantes, juge Arnaud Marchant, étant donné que dans un cas comme dans l’autre l’efficacité du sérum s’élevait à plus de 50%, soit un taux suffisant pour être jugé « utile » et autoriser la mise sur le marché. « La question qui se pose davantage aujourd’hui, c’est: quand faut-il administrer une nouvelle dose?, poursuit le chercheur. Dans le cas de la grippe, les mutations sont telles que le vaccin doit être administré chaque année. Dans celui du H1N1, certains gros changements ont entraîné le fait qu’on repartait avec une immunité très faible. Dans le cas de la Covid-19, on ne sait pas ce qui se passera dans les années à venir. L’immunité collective sera-t-elle suffisante pour que le virus ne mute pas de manière importante? Si c’est le cas, quel sera le degré de mutation? En principe, les variants seront confrontés à une immunité de plus en plus large. D’autres coronavirus se sont transformés en virus pouvant être contrôlés par le système immunitaire. Des inconnues persistent mais on avance. »
Ne pas paniquer
Reste que les vaccins contre la Covid-19 présents aujourd’hui sur le marché européen ont été élaborés sur la base de ce qu’on connaissait de la première souche de la maladie, identifiée à la fin octobre et début novembre 2019, en Chine. Jusqu’ici, ils se sont montrés tout aussi efficaces contre les variantes de la maladie et auraient permis d’éviter 30 000 hospitalisations en Belgique en 2021. Mais quelles sont les garanties pour les mutations à venir?
« Si une nouvelle souche devait remplacer le variant Delta, il faudra voir, en effet, si le vaccin actuel nécessite une adaptation, confirme Jean-Michel Dogné. Ces vaccins de deuxième ou de troisième génération seront soit des vaccins adaptés en fonction de plusieurs variants, soit des vaccins adaptés dans l’urgence et destinés à lutter contre un variant spécifique. » Si un tel cas de figure devait se présenter, il faudrait quelques semaines, voire quelques mois, aux sociétés pharmaceutiques pour opérer une mise à jour de leurs vaccins. C’est du moins le délai habituel pour la grippe, évalue le directeur du département de pharmacie de l’UNamur pour qui rien n’indique actuellement qu’une adaptation soit nécessaire. « Si on avait précipité les choses il y a douze mois, on aurait fabriqué des vaccins contre le variant britannique, puis le variant Delta, et aujourd’hui le sud-africain. Or, on a constaté que le vaccin a perdu de son efficacité dans le temps mais pas sur les variants que nous avons rencontrés. »
Revoir un vaccin: une décision majeure qui ne doit pas être prise à la légère, estime également Arnaud Marchant. « Pour le moment, les données sont rassurantes, même avec le Delta, dit-il. Dans les prochaines semaines, toute la communauté scientifique regardera très attentivement l’évolution de la situation avec le variant sud- africain même si les laboratoires ont, tout comme c’était le cas lorsque le variant Delta s’est manifesté, sans doute déjà entamé des travaux préparatoires. »
Pierre Van Damme a le même sentiment. Selon le vaccinologue de l’UAntwerpen, les firmes n’attendront probablement pas d’avoir le portrait-robot d’Omicron pour anticiper les conséquences éventuelles sur la stratégie de vaccination: « Elles sont occupées à voir si les anticorps naturels et les anticorps induits par le vaccin peuvent neutraliser le virus. Sur le terrain, en Afrique du Sud, 25% des gens sont vaccinés et une grande partie de la population a contracté la maladie. Les résultats seront importants car ils permettront de savoir ce que donne l’exposition au variant: si les gens sont malades ou protégés, commente-t-il. En ce qui concerne les personnes à risque, on ne sait pas encore ce qu’il en est. Les premiers symptômes montrent surtout une fatigue prolongée de dix jours chez les jeunes. » Un suivi permettant d’objectiver les complications à long terme en cas de Covid long devra également être mis en place.
Les sociétés pharmaceutiques ont déjà pris les devants. Début de semaine, Pfizer, Johnson & Johnson et Moderna ont annoncé qu’elles travaillaient sur une nouvelle version du vaccin ciblant particulièrement Omicron.
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