Le Président de la République, un roi que les Français aiment détester (décryptage)
Quels ingrédients faut-il réunir pour être un bon président? Savoir enthousiasmer et proposer un récit national. Illustrations à travers les souvenirs de la journaliste politique Catherine Nay.
Dans le deuxième volume de ses mémoires intitulé Tu le sais bien, le temps passe (1), la journaliste Catherine Nay retrace l’histoire des présidents de la République, de Jacques Chirac à Emmanuel Macron. Un parcours qui éclaire les attentes des Français en 2022.
François Mitterrand est-il le président le plus machiavélique que vous ayez connu? Vous expliquez comment il a entravé les ambitions de Michel Rocard, son Premier ministre, et comment, par la suite, il a aidé Jacques Chirac, du RPR de droite, lors de l’élection présidentielle de 1995…
François Mitterrand était en tout cas florentin. Michel Rocard a été le rival perpétuel qui s’est effacé devant lui au dernier moment. Il l’avait jaugé comme un barreur de petite mer, pas de haute mer. Il le méprisait. Et puis, il avait compris qu’après quatorze ans de socialisme, la France avait besoin d’une alternance. Comme il ne supportait pas Edouard Balladur, il a pensé que c’était le tour de Jacques Chirac, qui avait été son Premier ministre. Il a oeuvré pour qu’il soit élu, tout en en pensant du mal. Sept ans auparavant, il disait qu’il était voyou, vulgaire, velléitaire. Puis, tout à coup, il l’a paré de vertus d’homme d’Etat. Dans les derniers mois de sa vie, François Mitterrand voyait des gens de droite, Jean d’Ormesson, René Monory… Il aimait parler avec eux. Dans le fond, il retombait dans son milieu ancien. Il en avait soupé des courants socialistes. Il ne les supportait plus.
Les Français ont envie d’avoir quelqu’un dont ils sont fiers, même si après, ils dénoncent son pouvoir personnel. »
Catherine Nay, journaliste et éditorialiste.
Quand Jacques Chirac est élu président, on voit la puissance de son parti, le Rassemblement pour la République (RPR), avec des personnalités très fortes comme Charles Pasqua ou Philippe Séguin. Comment a-t-il réussi à s’imposer?
Par son entrain, sa force de frappe… Il était joyeux. Il drainait des foules enthousiastes derrière lui. C’était un battant. Il avait été jaugé quand il était au cabinet du président Georges Pompidou (NDLR: de 1969 à 1974). Celui-ci disait: « Si un arbre me gêne, le lendemain quand je me lève, Chirac l’a coupé. » Chirac avait subjugué tout le monde par son talent pour être élu en Corrèze, un fief de gauche. Succédant à Georges Pompidou qui donnait l’image d’un homme malade, sa vitalité a séduit. Quelque fois, on le prenait pour un imbécile. Mais, en réalité, c’était un homme secret qui avait une culture extraordinaire. D’emblée, il a eu conscience d’un monde multi-polaire. Il connaissait très bien l’ Afrique, l’ Asie… Il avait une vision à l’échelle internationale. De ce point de vue, il a été un grand président.
La principale caractéristique de Nicolas Sarkozy est-elle qu’il aura été un bon président de temps de crise?
Je le pense. Dans les crises, il est calme, il sait ce qu’il veut, il réussit à entraîner les gens. Il a été exceptionnel dans celle des subprimes. Les autres dirigeants européens ont été très contents d’avoir un leader, difficile de caractère, et qui, parfois, les brusquait. Un député m’ a dit à cette époque: « Quand il y a une tempête et que les vagues sont hautes, on ne demande pas en plus au skipper d’être sympathique et bien élevé. » Il est parvenu à entraîner Angela Merkel qui freinait des quatre fers parce qu’elle croyait que les banques allemandes ne seraient pas affectées par la crise. Et puis, quand elle a vu que plusieurs d’entre elles s’écrouleraient, elle a été bien heureuse de trouver quelqu’un qui avait pris les choses en main. Et là, elle l’a suivi. Sarkozy a donné le meilleur dans cette crise. Je me souviens de son premier discours devant le Parlement européen quand il a assumé la présidence tournante de l’Union. Il a parlé cinquante minutes sans notes. C’était exceptionnel. A l’écouter, on avait envie d’être Européen. Ensuite, il est revenu sur le terrain hexagonal où il a commis une gaffe par jour, emporté par son tempérament. Son drame réside dans ce conflit entre son intelligence hors norme et ce tempérament qu’il ne maîtrise pas. Il réussissait à se créer lui-même ses ennemis.
Y a-t-il forcément une dimension monarchique dans la fonction de président de la République française? Avoir voulu, comme François Hollande, être un « président normal », était-ce une erreur?
Oui, c’était le signe d’une incompréhension totale de la fonction. Les Français ont envie d’avoir quelqu’un qui les représente dignement, dont ils sont fiers, même si après, ils dénoncent son pouvoir personnel. On est dans une monarchie républicaine. Vouloir être un « président normal » en faisant la file chez le boucher comment un acheteur lambda, en prenant le train, et en ayant toujours la cravate de travers démontre qu’il n’a pas compris ce qu’ était la fonction. En outre, il était intimidé parce qu’il n’avait passé que quelques mois à l’Elysée comme collaborateur du temps de Mitterrand, parce qu’il n’avait jamais été ministre, parce qu’il n’avait jamais « cheffé »… Il ne savait pas le faire et il l’a montré. Je me souviens des premières études d’opinion après son élection où les Français pensaient qu’il ne ferait rien. Il est vrai que c’était l’antisarkozysme qui l’avait fait élire, qui plus est avec seulement 51% des voix. Résultat: un an et demi avant l’échéance de la présidentielle de 2017, 82% des Français ne voulaient pas qu’il se représente.
Une opportunité rêvée pour Emmanuel Macron?
Oui, c’est pour cela qu’Emmanuel Macron y est allé. Il avait vu François Hollande à l’oeuvre et n’ avait pour lui aucune considération. Alors, il s’est dit « Pourquoi pas moi? ». Et cela a marché. Parce qu’il a apporté une ductilité intellectuelle et un récit national. En proclamant qu’il allait prendre ce qu’il y a de mieux à droite et à gauche, il proposait un projet de nature à séduire un peu tout le monde. Tandis que François Hollande n’a jamais su expliquer le sien aux Français. Il n’a pas réussi à construire un récit national, au contraire d’Emmanuel Macron.
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