« Macron est proche de la culture politique de Michel Rocard »
Pour Jean-Pierre Rioux, spécialiste du centre dans l’histoire de France, le candidat d’En marche ! est plus proche de la culture politique de l’ancien Premier ministre socialiste Michel Rocard.
Jean-Pierre Rioux est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire politique française (1) et notamment celle du centre. Il remet en perspective le programme du favori du second tour de l’élection présidentielle.
Emmanuel Macron est-il un centriste du xxie siècle ?
Jamais Emmanuel Macron n’a dit qu’il était centriste ou qu’il aspirait à le devenir. D’ailleurs, ses adversaires de droite le présentent comme un clone de François Hollande et ceux de gauche comme un sous-marin de François Fillon, sans jamais le dénoncer comme l’avatar d’un centrisme. Sa culture politique, de surcroît, ne relève directement ni du libéralisme politique pur et dur, ni du radicalisme et du solidarisme, ni, surtout, de la démocratie chrétienne soucieuse d’équité sociale, qui ont été aux xixe et xxe siècles, à doses variables, les trois sources des valeurs et des pratiques de la famille centriste en France. Les composantes propres du politique selon Emmanuel Macron seraient plutôt, il me semble, un mélange de la philosophie humaniste de Paul Ricoeur, des combats contre toute désespérance de la revue Esprit, à laquelle il a longtemps collaboré, et d’une fidélité à un rocardisme dernière manière, celui du parler-vrai – quand le Premier ministre socialiste, Michel Rocard, » lessivé » par François Mitterrand en 1991, avait entrepris de dire ses quatre vérités à un Parti socialiste épuisé et incapable d’inventer autre chose que du mitterrandisme à la petite semaine.
Aucun centrisme en ligne directe, donc ?
Non. En revanche, on peut dire qu’il est de ceux qui ont tenté et tentent toujours, quand la crise s’aggrave et que le danger, à l’intérieur comme à l’extérieur, se fait plus pressant, d’inventer et d’assumer une politique » centrale » qui récuse les extrémistes et qui entend dépasser le clivage droite-gauche cadenassé et stérilisé par un duopole partisan, par l' » UMPS « , comme dit Marine Le Pen ; une politique qui se veut » démocrate, sociale et européenne « , pour citer Raymond Barre, qui se bâtit sur un refus du gauche-droite en version ve République et que – les sondages le confirment depuis plusieurs années – 2 Français sur 3 approuveraient. En ce sens, Emmanuel Macron a des racines historiques.
Il y a dans le « macronisme » comme un relent de Rassemblement du peuple français d’inspiration gaulliste »
Le voilà piégé dans une Ve République qui n’a jamais toléré ces rassemblements ?
La Ve République est en effet, par sa Constitution et par sa défense bec et ongles du scrutin majoritaire, une machine à laminer les solutions centrales, à cantonner tout centrisme original. Les centristes de parti en ont fait la cruelle expérience depuis 1958 : ils ont été réduits à n’être qu’une force d’appoint temporaire pour des gouvernements en mal de majorité forte (ainsi l’ont-ils été de Valéry Giscard d’Estaing en 1974 ; ainsi Rocard était-il prêt à se rapprocher d’eux en 1988, mais Mitterrand, qui haïssait les centristes, l’en a empêché) ou contraints de devenir à jamais, comme le croit aujourd’hui l’Union des démocrates et indépendants (UDI) non sans cacophonie, le » partenaire naturel mais exigeant de la droite « , selon l’expression d’Hervé Morin (NDLR : ministre de la Défense de 2007 à 2010 sous Nicolas Sarkozy).
Or, au contraire, Emmanuel Macron porte le fer au vif de la Ve République en misant tout, à la hussarde, sur la présidentielle, seule susceptible de forger de nouvelles majorités pour mieux gouverner ensuite. Il y a dans le » macronisme » naissant comme un relent de Rassemblement du peuple français d’inspiration gaulliste. Ce qui n’éloigne pas la météorite Macron des quelques figures du centre qui ont parié sur la présidentielle, avant d’échouer honorablement : Jean Lecanuet en 1965, Alain Poher en 1969, Raymond Barre en 1988 et François Bayrou en 2007 ; Valéry Giscard d’Estaing constituant l’exception qui confirme la règle puisque, homme de la droite républicaine ralliant des centristes, il a triomphé en 1974, avant d’échouer en 1981 pour avoir trop tardivement rameuté son camp au sein d’une Union pour la démocratie française (UDF) dont il espérait qu’elle pourrait rassembler 2 Français sur 3. Ce n’est donc pas un hasard si Macron a fait si volontiers alliance avec le seul centriste, ancien ténor de l’UDF, qui, lui aussi, a tenté à trois reprises l’aventure présidentielle avec les mêmes espoirs : François Bayrou. Si l’on compare leurs livres, Révolution, signé Macron, et Résolution française, signé Bayrou, les similitudes sont toutes à épingler au tableau d’honneur des valeurs centrales : refus de la désespérance, écoute des aspirations nouvelles de la société civile, libération de la force productive et de l’investissement, Etat impartial, refus du mensonge économique et du laxisme dans la gestion des finances publiques, confiance dans une Europe à reconstruire.
Mais est-il possible de constituer une majorité parlementaire ?
Oui, répond Macron. Et Bayrou fait chorus, en rappelant le raisonnement de Mitterrand en 1981 : pourquoi les Français qui viennent d’élire un président refuseraient-ils de lui donner une majorité pour gouverner ? Pourquoi, en effet ?
(1) Les Centristes. De Mirabeau à Bayrou (Fayard). Ils m’ont appris l’histoire de France (Odile Jacob).
Entretien: Éric Mandonnet.
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