Elections françaises: 10 raisons qui expliquent pourquoi Marine Le Pen pourrait gagner
Marine Le Pen mise sur son image lissée, l’antimacronisme et une campagne axée sur le pouvoir d’achat pour gagner son duel face à Emmanuel Macron, favori du second tour. Comment la candidate d’extrême droite a-t-elle navigué pour se retrouver si près de l’Elysée?
Jamais deux sans trois? En 2002, les électeurs français de gauche comme de droite ont voté massivement Jacques Chirac pour contrer Jean-Marie Le Pen (82% pour le président sortant, 18% pour le candidat du Front national), son rival inattendu du second tour de l’élection présidentielle. En 2017, l’appel à « faire barrage » à l’extrême droite a été une nouvelle fois entendu: Emmanuel Macron a largement battu Marine Le Pen (66% contre 34%). Cinq ans plus tard, le match retour Macron-Le Pen s’annonce plus serré et imprévisible, même si le président sortant creusait légèrement l’écart ces derniers jours dans les intentions de vote. Toute une génération de jeunes électeurs de gauche se lasse d’un scénario qui se répète: voter « contre » au second tour. Les manifestations de rejet de l’extrême droite organisées, le 16 avril, dans une trentaine de villes de France ont peu mobilisé. Les Français semblent nombreux à ne pas trop s’inquiéter des conséquences majeures qu’aurait pour leur pays et l’Europe une victoire de Marine Le Pen, dont le projet emprunte beaucoup au nationalisme europhobe du Premier ministre hongrois Viktor Orban. La candidate du Rassemblement national veut modifier la Constitution par référendum, y inscrire la primauté nationale et imposer la supériorité du droit français sur le droit européen. Elle prévoit de rétablir les frontières du pays, de réduire la contribution française au budget de l’Union et de sortir la France du commandement intégré de l’Otan. Marine Le Pen est pourtant jugée plus crédible qu’en 2017 et elle bénéficie cette fois du dégagisme anti-Macron. Voici ses principaux atouts pour séduire de nouveaux électorats.
Marine Le Pen bénéficie cette fois du dégagisme anti-Macron.
1. Pas de « cordon sanitaire »
Considérée comme dangereuse pour la démocratie, l’extrême droite est infréquentable en Belgique francophone. Ce « cordon sanitaire » médiatique et politique ne s’est pas relâché depuis 1991, année de la percée électorale sans précédent du Vlaams Blok, rebaptisé Vlaams Belang. Rien de tel en France. Fondé en 1972 à l’instigation de responsables du groupuscule néofasciste Ordre nouveau, le Front national, ancien nom du Rassemblement national, trouble l’establishment politique français depuis les municipales de 1983, fort de son idéologie sécuritaire et de sa dénonciation du poids de l’immigration. Le 13 février 1984, son sulfureux leader, Jean-Marie Le Pen, resté longtemps un marginal de la politique, est l’invité de L’Heure de vérité, sur Antenne 2, sa première grande émission de télévision. Ce ne sera pas la dernière, car le tribun assure le spectacle et garantit un bon audimat.
2. Une diabolisation inopérante
En juin de cette année-là, l’élection européenne fait sortir pour de bon son parti de l’ombre: le FN franchit la barre des 10% des voix et obtient dix sièges d’eurodéputés. Le 21 avril 2002, à la surprise générale, Jean-Marie Le Pen accède au second tour de la présidentielle, face à Jacques Chirac. En 2017 et en 2022, sa fille, Marine, se qualifie aussi pour la finale, ce qui n’étonne plus personne: le FN, puis le RN, ont raflé à la gauche une grande part de l’électorat populaire. Au fil des premiers tours depuis quinze ans, le score du parti n’a cessé de s’ améliorer: 10% en 2007, 18% en 2012, 21% en 2017 (34% au deuxième tour), 23% en 2022. Dès lors, une stratégie anti- extrême droite fondée sur des arguments moraux – la diabolisation du lepénisme – ne fonctionne plus, comme le constatent aujourd’hui les macronistes.
3. Un « front républicain » affaibli
Clamé haut et fort en 2002, le principe d’une union de la gauche et de la droite pour barrer la route de l’Elysée à l’extrême droite n’est plus invoqué vingt ans plus tard. Emmanuel Macron lui-même récuse, aujourd’hui, l’existence d’un « front républicain » autour de sa candidature en 2017. En 2022, les recalés du 10 avril ont donné leurs consignes de vote: l’écologiste Yannick Jadot, la socialiste Anne Hidalgo et le communiste Fabien Roussel ont appelé leurs électeurs à voter pour le président sortant. L’Insoumis Jean-Luc Mélenchon, qui a raté d’environ 500 000 voix la marche du second tour, a martelé: « Pas une voix ne doit aller à Madame Le Pen. »
A droite, Valérie Pécresse a fait savoir qu’ elle voterait pour Macron, mais le bureau politique de son parti, Les Républicains, n’appelle pas explicitement à voter pour lui. Si le « front républicain » n’ est plus ce qu’il était il y a vingt ans, c’est surtout parce que les deux formations traditionnelles françaises se retrouvent dans un état de décrépitude avancé: la droite républicaine a connu une défaite historique au premier tour – Valérie Pécresse n’atteint pas la barre des 5% – et les socialistes menés par Anne Hidalgo font pire encore (1,7%).
4. L’antimacronisme
L’ ex-locataire de l’Elysée Nicolas Sarkozy, qui a annoncé qu’il voterait Macron le 24 avril, a traîné pendant tout son mandat l’image d’un « président bling-bling ». Emmanuel Macron, lui, n’est pas parvenu à se débarrasser de l’étiquette de « président des riches » (il a supprimé l’impôt sur la fortune, réduit les aides au logement…). Il est aussi qualifié de « président du mépris », à cause de ses petites phrases polémiques (« Je traverse la rue, je vous trouve du travail », « Je veux emmerder les non-vaccinés »…). Le président sortant coalise des sentiments de défiance, de rancoeur, de haine. Un rejet dont la manifestation la plus visible a été le mouvement social des gilets jaunes. A ce qui subsiste du concept de « front républicain », Marine Le Pen oppose le slogan « tout sauf Macron », qui peut toucher divers électorats, des mélenchonistes aux militants antivax et complotistes en lutte contre un prétendu « nouvel ordre mondial ».
Sa popularité n’a pas souffert de son attitude pro-Poutine.
5. La montée des droites dures
Au premier tour de la présidentielle, près d’un tiers des électeurs ont voté pour un candidat du camp de la droite dure, dite « nationale ». Une première dans l’histoire politique de la France. Au second tour, Marine Le Pen (23,1% au premier tour) pourra compter sur une réserve de voix, à commencer par celle des électeurs de Reconquête!, le parti d’Eric Zemmour: le polémiste (7,1%) a appelé à voter pour la candidate du RN. Le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan (2,1%) aussi. Eric Ciotti, ex-finaliste de la primaire de la droite républicaine, a indiqué qu’il ne voterait pas Macron et n’excluait pas de soutenir Le Pen. L’idéologie nationaliste et xénophobe s’enracine dans l’Hexagone. Le pays n’échappe pas à une tendance lourde européenne: les partis traditionnels reculent et les droites autoritaires et extrêmes progressent.
6. Un « effet Zemmour »
De septembre 2021 à février 2022, la plupart des commentateurs ont présenté la candidature d’Eric Zemmour comme une « menace » pour Marine Le Pen. « Elle joue sa survie », assurait l’un d’eux. « Son parti est en sursis », estimait un autre analyste. Prédictions obsolètes: Zemmour est arrivé en quatrième position le 10 avril, loin derrière sa rivale. En revanche, le discours rétrograde et provocateur du fondateur de Reconquête! a contribué, par effet de comparaison, à « normaliser » Marine Le Pen, à la rendre moins clivante. Pour autant, sur le fond, les positions de Le Pen et Zemmour sont proches: tous deux veulent expulser les clandestins et délinquants étrangers. L’un et l’autre ont affiché leur proximité avec Vladimir Poutine. Eric Zemmour a chuté dans les sondages après l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. A l’inverse, la popularité de Marine Le Pen n’a pas souffert de son attitude pro-Kremlin.
7. Le thème du pouvoir d’ achat
Bien au contraire, l’opposition de Marine Le Pen aux sanctions occidentales contre la Russie, mesures qui ont provoqué une hausse des prix de l’énergie et des céréales, met en relief son souci affiché de « protéger les Français sur le plan économique », de défendre leur pouvoir d’achat.
8. La candidate antisystème
Comme d’autres leaders du courant national-populiste européen, la cheffe du Rassemblement national tient un discours antiélite. En 2016, elle se comparaît à Donald Trump, alors candidat républicain à la présidence des Etats-Unis. « Nous ne sommes pas du sérail, assurait-elle sur la chaîne américaine CNN. Nous ne participons pas du système, nous ne dépendons de personne, nous n’allons pas prendre d’ordres auprès de telle puissance financière ou de tels intérêts de multinationales. » Elle a vu dans le succès électoral du trumpisme la preuve qu’une offre populiste, antisystème et anti- média pouvait l’emporter dans une grande démocratie occidentale.
9. Sa nouvelle image lissée
La méthode du « no limit » de Donald Trump, qui a cassé tous les codes de la bienséance politique dans son vocabulaire, son comportement et sa gouvernance, a inspiré Marine Le Pen. Lors du débat d’entre-deux-tours de la présidentielle de 2017 face à Emmanuel Macron, la candidate a adopté une attitude agressive et moqueuse. Ses approximations et ses outrances lui ont fait perdre plusieurs millions de voix. Elle a tiré les leçons de cet échec: loin de singer Trump en 2022, elle s’applique à bâtir une image de candidate souriante, polie, chaleureuse et modeste.
10. Le pouvoir des chats
Le capital sympathie de la députée du Pas-de-Calais s’est encore accru avec la mise en scène de sa passion pour les chats sur les réseaux sociaux. Elle a décroché pendant le confinement un diplôme d’éleveuse professionnelle de chats. Elle hébergeait déjà six félins, dont trois femelles reproductrices, et a accueilli l’an dernier cinq nouveaux chatons Bengal. « Ils me procurent une joie profonde, me consolent, me donnent énormément de douceur dans ce monde de brutes », confiait-elle à Paris Match. Sa colocataire s’en occupe quand elle n’est pas là. Si Marine Le Pen est élue ce 24 avril, ses fidèles compagnons la suivront à l’Elysée, signalait-elle sur RTL.
Ce 24 avril, suivez en direct l’évolution de l’élection présidentielle sur levif.be. Les premiers résultats y seront dévoilés avant les médias français, tenus de respecter un embargo jusqu’à 20 heures.
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