Marine Le Pen et Emmanuel Macron © belga

Marine Le Pen présidente? « Une surprise n’est pas à exclure, mais… »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La période de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle française comporte son lot d’inconnues. Abstention, récupération des voix, débat télévisé: plusieurs facteurs peuvent faire pencher la balance du côté d’Emmanuel Macron ou de Marine Le Pen. Quels sont les scénarios les plus probables? Entretien avec Benjamin Biard, politologue au Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP).

Benjamin Biard, quelles sont, selon vous, les grandes inconnues qui subsistent avant le second tour de l’élection présidentielle entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron?

Il y a plusieurs éléments. La première inconnue, c’est l’abstention. Lors du premier tour, elle était particulièrement élevée, plus élevée qu’en 2017. Il faudra voir s’il y a une capacité chez Emmanuel Macron ou chez Marine Le Pen à mobiliser cette abstention. Ou si, à l’inverse, elle va se renforcer.

La deuxième inconnue est de savoir où se dirigeront les voix de la gauche. Avec, surtout, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, qui a talonné Marine Le Pen sans parvenir à se qualifier. Où iront les voix de Mélenchon, mais aussi des autres candidats de gauche ? Se porteront-elles vers Emmanuel Macron, qui incarne la continuité, dans un quinquennat fortement marqué par les gilets jaunes ? Macron est aussi présenté comme un président « Républicain ».

Ou les mélenchonistes se dirigeront-ils vers Marine Le Pen, qui reste largement considérée comme un danger pour la démocratie, en tant que représentante de l’extrême droite. Mais qui entend avancer davantage sur le terrain social, à travers des positions fortes en matière de retraites ou encore avec la volonté de réduire la TVA sur un certain nombre de produits, notamment énergétiques. Le Pen essaie donc de se démarquer d’Emmanuel Macron sur la question du pouvoir d’achat. Chacun essaie d’attirer vers lui les électeurs de gauche. En sachant également que l’on se dirige vers une abstention moins importante lors du second tour que lors du premier. On se situerait aux alentours de 24,5% d’abstention, selon l’Ifop.

Quel est le scénario le plus probable, selon vous?

Le résultat sera vraisemblablement plus serré qu’en 2017. Notamment parce qu’il y a cette volonté de Marine Le Pen de faire porter le débat sur la question du pouvoir d’achat. En 2017, ce n’était pas du tout la thématique centrale dans les débats. La première volonté de Marine Le Pen était de quitter l’Union européenne. Aujourd’hui, elle n’entend plus quitter l’UE mais veut imposer une série de conditions. On voit bien qu’il y a un changement assez profond, pas nécessairement dans le programme mais plus dans les discours et dans ce que chacun des candidats essaie de mettre en avant. Si on croit les derniers sondages, Emmanuel Macron se situe aux alentours des 53%, Marine Le Pen des 47%. Ce qui veut dire, par rapport aux sondages qui précèdent, que l’écart tend à se desserrer. Une victoire de Macron apparaît comme assez probable. On ne peut jamais exclure une surprise de dernière minute. Le Brexit ou l’élection de Trump sont des illustrations assez claires qui permettent d’indiquer que la lecture d’un sondage ne permet pas d’anticiper nécessairement ce qui va se produire.

On n’est pas à l’abri d’une surprise. Cela étant, Marine Le Pen reste largement considérée comme un danger pour la démocratie.

On n’est donc pas à l’abri d’une surprise. Cela étant, Marine Le Pen reste largement considérée comme un danger pour la démocratie. Elle reste la leader d’un parti d’extrême droite, qui a essayé de se normaliser. Éric Zemmour a contribué à normaliser Marine Le Pen et son discours. Il y a aussi une volonté, chez Marine Le Pen, de récupérer les électeurs qui ont voté pour Zemmour lors du premier tour. On sait que chez Zemmour, ce ne sont pas que des électeurs d’extrême droite mais aussi de la droite traditionnelle. Qui, donc, pourraient aussi être tentés par Emmanuel Macron. C’est aussi un enjeu. Macron aura une capacité à emporter les suffrages en faisant conserver à Marine Le Pen l’image d’une représentante de l’extrême droite. Il pourrait donc englober des gens qui n’ont pas nécessairement envie de voter pour lui, mais qui, à défaut, exprimaient leur suffrage en sa faveur pour éviter que l’extrême n’arrive au pouvoir.

Sur quelles thématiques Macron risque-t-il de tabler lors des prochains jours?

Il y a d’abord les sujets liés à sa propre candidature, évidemment. Puis, au-delà des thématiques de campagne, il pourra mettre en avant son statut de président, qui a affronté des crises majeures durant son quinquennat. Une sorte d’homme à la tête d’un navire toujours en période de tempête. Il va certainement incarner sa stature présidentielle au maximum – il le fait déjà, d’ailleurs. Une stature que Marine Le Pen n’a pas encore acquise, y compris en tant que candidate. C’est certainement un élément sur lequel il va tabler, notamment dans le cadre du conflit en Ukraine. La proximité de Marine Le Pen avec le régime russe de Vladimir Poutine par le passé ne constitue pas le coeur de la campagne, y compris du deuxième tour. Mais c’est un élément qui peut intervenir et qui peut être mobilisé par les partisans d’Emmanuel Macron. Afin de démontrer la volatilité de Marine Le Pen dans ses discours, ou à tout le moins des rapports de proximité parfois délicats qui pourraient la caractériser.

Le fait que Macron n’ait quasi pas fait campagne peut-il le pénaliser? Pourrait-il être vu comme ‘suffisant’?

Il y a l’Emmanuel Macron du premier tour, et celui du deuxième tour. On voit qu’il accélère quand même sa campagne dans le cadre de ce second tour. Notamment dans le Grand Est, des territoires pas nécessairement favorables à Macron mais plutôt à Jean-Luc Mélenchon. Il y a une véritable bataille qui s’engage pour récupérer les voix de la gauche radicale.

Pour un certain nombre, ils n’ont envie de voter ni pour l’un ni pour l’autre. Est-ce que cela va nourrir l’abstention ou est-ce que ces électeurs vont partiellement se mobiliser en faveur de l’un ou de l’autre? Là est le grand enjeu.

Il y a une véritable bataille qui s’engage pour récupérer les voix de la gauche radicale.

Pour conserver sa stature présidentielle, il montre qu’il ne rentre pas dans des jeux purement politiques mais qu’il assume sa fonction jusqu’au bout. Et puis, les sondages donnaient Macron gagnant au premier tour depuis un moment et la plupart du temps au second tour également. Macron avait d’une certaine manière un intérêt à se laisser bercer par les sondages, qui lui étaient favorables dans un contexte où sa présidence a été contestée. Durant les gilets jaunes de manière particulièrement intense. Dans sa gestion de la crise sanitaire également. A propos de laquelle les mobilisations ont été beaucoup plus intenses qu’en Belgique face aux mesures imposées.

Le débat de l’entre-deux-tours peut-il faire basculer l’élection dans un sens ou dans l’autre, ou cela reste-t-il marginal?

Effectivement, le débat du second tour peut être important pour l’un comme pour l’autre pour se démarquer et tenter de creuser l’écart. Ce ne sera peut-être pas déterminant, mais ça peut clairement jouer. On attend certainement de voir la performance de Marine Le Pen, qui n’avait pas convaincu lors du débat de 2017. Son débat avait d’ailleurs suscité la critique en interne – Florian Philippot avait quitté le parti quelques semaines plus tard. Cela dépendra également des thématiques qui sont au coeur de ce débat, c’est-à-dire certainement le pouvoir d’achat et les questions migratoires et sécuritaires, qui ont quand même été au coeur de la campagne depuis quelques mois. Il faudra voir comment se positionne Marine Le Pen, notamment pour récupérer l’électorat de Zemmour, qui est globalement encore plus radical que son électorat de base. Mais en même temps, si elle va trop sur ces terres-là, elle risque de renforcer son image de leader d’extrême droite. Ce qu’elle essaie absolument d’éviter pour briser le plafond de verre électoral.

Risque-t-on d’assister à des « votes sanction » contre Emmanuel Macron, et donc pour Marine Le Pen?

Un vote protestataire, cela peut effectivement intervenir. La démarche n’est pas de voter pour Marine Le Pen, pour son programme, mais plus pour envoyer un signal. On retrouve là des personnes désabusées, qui se disent que voter Le Pen est un signal fort, sans vouloir qu’elle passe pour autant, mais pour montrer que l’immunité de Macron n’est pas si forte qu’il peut l’espérer. C’est un premier type de comportement.

Un deuxième type de comportement, qui va encore plus loin, sont ceux qui espèrent véritablement qu’elle accède au pouvoir. On peut repérer ce type de discours dans le Nord, notamment, et qui dit : « On a essayé les socialistes, les Républicains, et puisque notre pouvoir d’achat et nos conditions de vie ne s’améliorent pas, essayons aussi Marine Le Pen. » C’est un vote sanction, mais qui est aussi un vote de désespoir. On a là deux types de votes qui s’expriment en faveur de Marine Le Pen mais qui sont surtout en défaveur de d’Emmanuel Macron. Ce qui ne veut pas dire que tous les votes en faveur de Marine Le Pen sont des votes de ce type.

Les appels à faire barrage à l’extrême droite sont-ils encore suffisamment entendus, ou pourrait-on cette fois assister à une forme de lassitude?

C’est peut-être une action qui faiblit à travers le temps. Ça n’a pas toujours été le cas non plus : dans les années 80, on a pu voir des alliances entre la droite et l’extrême droite. En France, il n’y a jamais eu ce cordon sanitaire aussi strict qu’on le connaît en Belgique. On verra quels seront les effets de ces appels : si les voix de gauche se dirigent vers Macron ou si elles traduiront éventuellement dans l’abstention.

Mais on voit aussi certains candidats Républicains qui n’appellent pas directement à voter pour Le Pen, mais qui ont en tout cas annoncé ne pas voter pour Macron. On pense ici à Eric Ciotti, qui a tout de même remporté le meilleur score de la primaire des Républicains. On peut donc avoir une série de personnes, les plus conservatrices, qui se dirigeraient vers Marine Le Pen. Alors qu’ils se retrouveraient classiquement dans le giron des Républicains.

Ce barrage à l’extrême droite s’affaiblit avec le temps et à mesure que la stratégie de normalisation et de dédiabolisation de Le Pen progresse.

Globalement, ce barrage à l’extrême droite s’affaiblit avec le temps et à mesure que la stratégie de normalisation et de dédiabolisation de Le Pen progresse, sur la forme. Mais en termes de proposition électorale, ça reste un parti d’extrême droite, assez fidèle à ce qu’il était il y a une vingtaine d’années. Ces éléments-là font que la dédiabolisation n’est pas poussée à son terme. Cette formation reste considérée comme dangereuse. Et il restera donc une efficacité de ce barrage à l’extrême droite.

Marine Le Pen présidente, quelles seraient les conséquences pour la Belgique et l’Europe?

Il faudrait évaluer cette hypothèse en deux temps. Le Pen présidente, cela voudrait évidemment dire un gouvernement formé par elle-même, avec des noms qu’elle a déjà mais qu’elle ne veut pas dévoiler. Mais il y a aussi la nécessité, quelques semaines plus tard, d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. Et puis au Sénat. C’est selon moi peu probable car on est face à mode de scrutin majoritaire. Ce sont des élections moins personnalisées que ne le sont les élections présidentielles. Je pense que Marine Le Pen rencontrera beaucoup plus de difficultés à bénéficier d’une majorité parlementaire. Il faudra dès lors voir ce que cela implique, comme une cohabitation par exemple. On voit donc qu’en termes d’impact, il serait a priori limité. C’est le premier scénario qui me paraît le plus crédible.

Dans le deuxième scénario, où elle obtiendrait une majorité confortable à l’Assemblée nationale, je pense qu’on pourrait voir un repositionnement de la France très clair au niveau européen. Avec des alliances avec la Hongrie, la Pologne, pour défendre la primauté du droit national sur le droit international, les traités européens, etc. Il pourrait donc avoir des impacts au niveau européen, et donc aussi sur la Belgique. Cela dit, on a déjà eu des voisins qui ont été caractérisés par des prises de pouvoir de l’extrême droite. On pense aux Pays-Bas, à l’Italie et ou à l’Autriche. Il y a des décisions qui peuvent être prises en matière sécuritaire, ou autres, qui peuvent effectivement impacter les pays voisins. Mais c’est un impact relativement limité parce qu’il existe énormément de collaborations entre la France et la Belgique, notamment en matière sécuritaire. Pour un parti qui défend la sécurité, il serait malvenu de remettre en cause l’ensemble de cet accord.

La dégringolade du PS et des Républicains en France représente-t-elle un avertissement pour les partis traditionnels belges?

Dans une certaine mesure, oui. La seule précaution, c’est qu’on est dans un système politique très distinct. On n’a pas d’élection présidentielle, on a un mode de scrutin proportionnel. En France, il est majoritaire, en tout cas pour le niveau national. Pour le reste, si l’on regarde le résultat des élections fédérales de 2019, on voit que les six partis traditionnels (les deux socialistes, libéraux et sociaux-chrétiens), ensemble, ont récolté moins de 50% des suffrages. Ce qui était une première dans l’histoire politique du pays. On voit donc effectivement une érosion des formations dites traditionnelles. Les premiers touchés sont les sociaux-chrétiens, les Engagés par exemple, à propos desquels le dernier sondage à Bruxelles indiquait qu’ils n’obtiendraient même plus 5%, c’est-à-dire le seuil électoral. On voit des évolutions similaires en Europe. Idem pour les socialistes. Cela s’observe très bien avec le s.pa qui s’est rebaptisé Vooruit. On voit aussi ce besoin de se réinventer, à travers une nouvelle appellation notamment. Le PS ne s’en sort pas si mal mais accuse aussi, depuis une trentaine d’années, un déclin lent et progressif, constant dans le temps. Pour les libéraux, on peut observer un déclin, mais plus nuancé. D’autant plus qu’il y a quand même plusieurs chefs de gouvernements européens qui sont libéraux. Mais pour eux aussi demeure cette difficulté propre aux formations traditionnelles.

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