Election présidentielle française: la chasse aux électeurs de Mélenchon est ouverte (analyse)
L’électorat du troisième candidat à avoir dépassé la barre des 20 % au premier tour de la présidentielle est l’objet de toutes les convoitises. Le « programme social » de Marine Le Pen en attirera certains, malgré l’appel de leur leader. Emmanuel Macron est prêt à des concessions sur le sien pour séduire les autres. Vraiment efficace ?
Le « vote utile » a marché à plein au premier tour de l’élection présidentielle en France, le 10 avril. Il n’a pas servi que le candidat d’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon, que la déliquescence du Parti socialiste et la campagne erratique du candidat écologiste exposaient à bénéficier de ce genre de dividendes dans le sprint final. Il a aussi souri à Emmanuel Macron et encore à Marine Le Pen. Avec, pour conséquence, un écart inédit entre les candidats arrivés aux trois premières places et les autres. Emmanuel Macron (27,85 %), Marine Le Pen (23,15 %) et Jean-Luc Mélenchon (21,95 %) comptabilisent à eux seuls près de trois quarts des voix (72,95 %). Le quatrième classé, Eric Zemmour, n’émerge qu’avec 7,1 % et tous les autres ne passent pas le cap des 5 % qui autorisent le remboursement de leur campagne.
Cette hyperconcentration du vote a pour conséquence que les électeurs du « troisième homme » sont devenus l’objet de toutes les attentions des deux candidats qualifiés pour le second tour, le 24 avril. Mais comment les séduire sans perdre son âme ? L’équation est particulièrement compliquée à résoudre pour le président sortant.
« La grande différence par rapport à 2017, ce n’est pas que le score d’Emmanuel Macron soit légèrement supérieur, mais c’est que le réservoir électoral qu’il espérait avoir à droite n’existe plus« , analyse Christophe Sente, collaborateur scientifique au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol) de l’ULB. En 2017, François Fillon avait appelé à voter Emmanuel Macron après sa défaite. Valérie Pécresse répète le même geste. Mais elle ne pèse plus qu’un peu moins de 5 %. La question est donc : que vont faire les électeurs de Jean-Luc Mélenchon puisque ceux d’Anne Hidalgo se sont déjà répartis entre Emmanuel Macron, le candidat de l’Union populaire, et, pour ceux des classes les plus défavorisées, Marine Le Pen. »
Electorat divisé
« Nous savons pour qui nous ne voterons jamais. Il ne faut pas donner une seule voix à Mme Le Pen. […] Je connais votre colère. Ne vous abandonnez pas à ce qu’elle vienne à vous faire commettre des erreurs qui seraient définitivement irréparables », a lancé le 10 avril Jean-Luc Mélenchon, au soir de ce qui sera sans doute la dernière campagne du leader de l’Union populaire. « Jean-Luc Mélenchon a été aussi clair qu’il le pouvait. Une proportion de ses électeurs voteront certainement pour Emmanuel Macron. Mais ils ne sont pas captifs de la décision du patron d’un mouvement qui n’affiche des performances autour des 20 % qu’au moment des présidentielles », commente Christophe Sente.
La preuve par un sondage Ipsos Sopra Steria du 10 avril : 34 % des électeurs de Mélenchon reporteraient leur vote sur Emmanuel Macron, 30 % sur Marine Le Pen, et 36 % se réfugieraient dans l’abstention. Des chiffres qui, comme le formule le chercheur de l’ULB, démontrent une érosion du vote hostile au Rassemblement national en vingt ans. Au second tour de la présidentielle de 2002, Jacques Chirac l’avait emporté avec 82,21 % contre Jean-Marie Le Pen. L’étude des intentions de vote du deuxième round de la joute de cette année prévoit au mieux une victoire du président sortant avec 54 % des voix. Rien n’est donc joué.
Un programme à « gauchiser »
Emmanuel Macron le sait, lui qui a plongé dans une campagne de terrain dès le lendemain de sa victoire du premier tour. Direction : des territoires de prédilection des électeurs de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon, Denain dans le nord de la France le 11 avril, Châtenois en Alsace le lendemain, Marseille où il tiendra un grand meeting le 16 avril. Séduire, convaincre, aller au contact (lire l’encadré ci-dessous) : pour cela, le candidat de La République en marche est prêt à amender son programme, et même une de ses mesures phares, avancée pour séduire son électorat de droite au premier tour, l’allongement du départ à la retraite à 65 ans. Mais sur ce thème comme sur celui du pouvoir d’achat, le président sortant se heurte au « programme social » de sa rivale, Marine Le Pen. « Le Rassemblement national propose un âge plus attractif (NDLR : 60 ans) sans beaucoup s’étendre sur les moyens économiques dont disposeraient les pensionnés selon la version de la réforme qui est préconisée. Sans parler de son mode de financement », explique Christophe Sente. Mais à force d’adapter son offre aux besoins du moment, Emmanuel Macron ne risque-t-il pas de s’exposer à un procès en versatilité et incohérence ?
« Sur un angle strictement analytique, les choses devraient être claires, souligne le collaborateur scientifique du Cevipol. Emmanuel Macron vient d’un gouvernement socialiste. Il a défendu une politique qui aurait pu être défendue par Tony Blair ou Gerhard Schröder. Son programme de 2017 avait une facture social-démocrate. Par contre, il a mené une politique qui était davantage dans l’ouverture à droite. Et pour compliquer encore un peu plus le paysage, la réponse qu’il a mise en place face à la crise des gilets jaunes était axée sur le dialogue et celle qu’il a opposée à l’épidémie de coronavirus relevait des politiques keynésiennes. Qu’il appelle, comme il l’a fait au soir du premier tour, à une grande alliance allant de la socialedémocratie jusqu’au néogaullisme, c’est ce qu’il essaie de faire depuis cinq ans. » Pas sûr cependant que les plus radicaux des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, échaudés par l’expérience de 2017, auront la même vision.
La débâcle des Républicains
Pas sûr non plus que le soutien qu’a apporté l’ancien président Nicolas Sarkozy au candidat Macron le 12 avril les aide à franchir le pas. Celui qui s’était gardé de se rallier officiellement à la candidature de Valérie Pécresse dans la campagne du premier tour accroît ainsi le désarroi qui règne au sein des Républicains. La déconvenue de la candidate de droite (4,78 %) rejoint celle, plus grave encore, de son homologue socialiste Anne Hidalgo (1,8 %). S’agit-il d’une crise conjoncturelle ou structurelle ? « Du côté des socialistes, même s’ils sont encore dans le déni, elle est structurelle, répond Christophe Sente. L’unité de l’organisation socialiste est fragile depuis la disparition de François Mitterrand. Le déclin s’est manifesté à partir du moment où Lionel Jospin a perdu son statut de candidat présidentiable au deuxième tour de l’élection de 2002. En définitive, il n’a pas été aussi rapide que cela. Mais aujourd’hui, il est évident. Avec 1,8 %, tout le socle électoral du Parti socialiste a disparu. Et à l’Assemblée nationale, il n’a plus que vingt-huit députés. Ce qui n’est rien pour ce qui était un parti présidentiel. »
Pour Christophe Sente, la crise du côté des Républicains n’est peut-être que conjoncturelle. « Elle s’est encore exprimée dans les appels pour le moins contradictoires à voter qui pour Marine Le Pen, qui pour Emmanuel Macron de la part de hauts responsables du parti. Le test décisif sera la recomposition à marche forcée pour la préparation de la campagne législative et l’issue qui en résultera lors du scrutin de juin. » Or, selon certains observateurs, des candidats du parti Les Républicains se sont hâtés de scruter qui de Marine Le Pen ou d’Emmanuel Macron était arrivé en tête du premier tour de la présidentielle dans leur région pour décider sous quelle bannière ils se présenteraient aux électeurs le 12 juin. Recomposition, recomposition…
Macron ou les limites du bain de foule
Pour assurer sa victoire au soir du 24 avril, Emmanuel Macron tente de renouer avec la proximité et le dialogue, même houleux, qu’il n’a pas pu développer dans sa non-campagne du premier tour de l’élection. On l’a vu dès le 11 avril, dans son premier déplacement à Denain, dans le nord de la France. Cet exercice peut-il être véritablement « productif » électoralement ? Après avoir été un président jupitérien, disruptif et professeur-animateur pendant le Grand débat national, « Emmanuel Macron développe encore un autre registre de sa communication, explique Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’Ihecs et à Sciences Po Paris : la volonté de chercher le contact, de rentrer dans un rapport presque affectif avec les citoyens et d’engranger du capital sympathie, pour humaniser son image. Mais comme il est apparu le lundi 11 avril à Denain, il y a toujours un gouffre entre la parole présidentielle, parfois technocrate dans ses réponses, et la façon dont les citoyens la perçoivent. Reprendre les citoyens sur les propos qu’ils utilisent en jouant parfois sur les mots peut accroître l’impression de condescendance qu’on lui reproche en d’autres circonstances. Il faut peut-être qu’il se montre plus pédagogue et plus humble. » L’ administration d’une gifle, comme il l’a déjà vécu le 8 juin 2021 dans la Drôme, ruinerait-elle toute sa stratégie ? « Tout dépendrait de la réaction, explique Nicolas Baygert. Emmanuel Macron a décidé de garder son calme quoi qu’il arrive. Cette résilience face à l’aversion de ses concitoyens peut bien fonctionner. Mais si l’agression était trop violente, les images seraient désastreuses. » Les services de sécurité du candidat-président en sont bien conscients.
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