Elections françaises, J-5: comment Macron a préservé le pouvoir d’achat des Français… grâce aux gilets jaunes
Grâce à des mesures fiscales ciblées et la création d’emplois, le budget des ménages français a été préservé ou dopé sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Mais il a fallu la révolte populaire des ronds-points et le « quoi qu’il en coûte » de la crise sanitaire pour que le gouvernement prenne cette orientation sociale. Pouvait-il faire mieux?
La première hausse des prix de l’énergie, due à la relance de la croissance après la crise sanitaire, l’avait déjà propulsée en tête des préoccupations des Français. L’impact économique de la guerre en Ukraine n’a fait que renforcer cette tendance. La question du pouvoir d’achat joue un rôle central dans le sprint final de la campagne pour l’élection présidentielle des 10 et 24 avril en France.
Pourrait-elle décider du nom du vainqueur? Pour en avoir fait un axe majeur de son programme, la candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, lui doit d’avoir conservé la deuxième position, derrière Emmanuel Macron, dans les études d’intentions de vote. Sa préoccupation sociale aurait fait de la sorte la différence avec son rival d’extrême droite, Eric Zemmour, dont le discours s’ adresse davantage aux classes sociales supérieures. Ce n’ est pas pour rien que Marine Le Pen est accusée par celui-ci de défendre, en matière économique, une politique de gauche.
Paradoxalement, face à un candidat à sa réélection épinglé comme « président des riches » au début de son mandat, la candidate de la droite radicale trouverait là un argument pour séduire des électeurs issus des classes sociales plus défavorisées. Sauf que la gestion de la crise des gilets jaunes et de l’épidémie de Covid a objectivement modifié la politique d’Emmanuel Macron et son image. Le « quoi qu’il en coûte » prononcé au plus fort des infections au coronavirus restera comme un marqueur et un tournant de la présidence qui se termine.
Le constat
Une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), publiée le 17 mars 2022 (1), a confirmé ce sentiment. Entre 2017 et 2021, le pouvoir d’achat du revenu disponible brut (RDB) par unité de consommation a augmenté de 0,9% par an pour un gain, en moyenne, de 300 euros annuels en faveur de chaque Français. « Ce chiffre représente effectivement une augmentation relativement significative, surtout en regard de la quasi- stagnation du pouvoir d’achat observée au cours des dix années précédentes, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, marqué par la crise financière de 2008, et sous celui de François Hollande, décrypte Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l’OFCE. On retrouve une dynamique plutôt positive sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. Mais quand on regarde l’évolution du pouvoir d’achat sur les trente dernières années, le résultat enregistré depuis 2017 correspond à peu près à la moyenne. »
Il y a eu un rééquilibrage assez net de la politique du gouvernement à la suite de la crise des gilets jaunes. »
Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l’OFCE.
Deux éléments expliquent cette progression malgré le coup porté à l’économie par l’épidémie de coronavirus: le soutien fiscal aux ménages et la création d’un peu plus d’un million d’emplois. « A la suite de la crise des gilets jaunes, beaucoup de mesures fiscales ont ciblé la classe moyenne, la baisse de l’impôt sur les revenus, la valorisation de la prime d’activité, la défiscalisation des heures supplémentaires… Plus de quinze milliards ont été débloqués. Cette baisse significative de la fiscalité sur les ménages a plutôt bénéficié à la classe moyenne. En revanche, les créations d’emplois ont profité d’abord à la classe moyenne inférieure et aux catégories de la population plus modestes », analyse Mathieu Plane.
Professeur d’économie à l’université de Paris et cofondateur de l’Observatoire société et consommation, Philippe Moati nuance ce diagnostic. « L’année 2021 se termine avec une croissance du pouvoir d’achat par unité de consommation de 1,9%, ce qui est plutôt un bon chiffre. En 2020, pendant la crise sanitaire, il s’est stabilisé à 0% alors que le PIB a chuté de 10%. Collectivement, les ménages s’en sont plutôt bien sortis. Maintenant, quand on va au-delà du chiffre global, on peut constater qu’une partie de la population y gagne, une autre y perd. Tout le monde n’a pas bénéficié d’une hausse de 1,9% de pouvoir d’achat en 2021. Cela ne marche pas comme cela. On manque de données plus affinées. Le calcul des indicateurs de la croissance du niveau de vie se détermine à partir de la compilation des données fiscales et sociales. Un travail de longue haleine. On est loin de pouvoir faire le bilan du quinquennat de Macron, même si les mesures adoptées par le gouvernement, dont la prime énergie, peuvent laisser penser que les catégories les plus défavorisées n’ont pas nécessairement trop perdu. Mais cela risque d’être différent avec les conséquences de la guerre en Ukraine« , avertit l’ économiste.
Gouverner, c’est renoncer
Incontestablement, la crise des gilets jaunes a marqué un tournant dans la politique du plus jeune président de la Ve république. Elle trouve son origine dans la contestation de la hausse des prix du carburant consécutive à l’instauration d’une taxe carbone, à l’automne 2018. Au défi des fins de mois qui est devenu une réalité pour de nombreux Français issus de territoires ruraux et contraints d’utiliser leur voiture pour pouvoir se déplacer, le gouvernement d’Edouard Philippe est accusé de préférer la recherche de solutions à la fin du monde, via la transition énergétique requise par les effets de plus en plus préjudiciables du dérèglement climatique.
« Le début du quinquennat d’Emmanuel Macron est marqué par un déséquilibre très fort dans le soutien fiscal. Le président et le gouvernement font le choix, parmi leurs premières mesures, d’une réforme de la fiscalité du capital, souligne Mathieu Plane. Les gagnants en sont clairement les plus riches. Et les perdants sont les retraités, qui ont subi une hausse de la contribution sociale généralisée (CSG), et les catégories les plus modestes de la population, à cause de la taxe carbone et de la hausse des prix du tabac. Le bilan de la première année du mandat en 2018 tourne donc autour de la question des inégalités, entre perte de pouvoir d’achat chez les plus défavorisés et gains importants chez les plus riches. C’est à ce moment-là qu’émerge la critique du « président des riches ». »
Au défi des fins de mois, l’équipe d’Edouard Philippe a été accusée de préférer la recherche de solutions à la fin du monde.
Le mouvement des gilets jaunes et les violences qui l’accompagnent jusque sur les Champs-Elysées changent tout. Au-delà du désamorçage politique de cette situation quasi insurrectionnelle à travers l’organisation du Grand débat national dans toute la France, des mesures qui n’étaient pas programmées sont mises en place pour soutenir le pouvoir d’achat (doublement de la prime d’activité, baisse de l’impôt sur les revenus, diminution de la CSG pour certains retraités…) et d’autres qui l’impactaient négativement sont annulées. L’exemple le plus emblématique de ce renoncement est la hausse de la taxe carbone. Elle devait augmenter à cinq reprises, avec un effet progressif sur les prix de l’essence. Elle ne l’a été qu’une seule fois, en 2018. Au lieu des douze milliards attendus de cette taxe dans les caisses de l’Etat, seuls trois milliards ont été récoltés.
« Est-ce du pragmatisme? Le sentiment d’avoir commis certaines erreurs ou d’avoir sous-estimé certaines réalités? Ce qui est sûr, c’est que ce n’était pas l’axe principal au départ, observe Mathieu Plan. Il y a eu un rééquilibrage assez net de la politique du gouvernement à la suite de cet événement-là. Et lors de la crise du Covid, les mesures prises dans le même registre ont été importantes aussi. Avec, au final, un mélange de politique en faveur des entreprises comme initialement prévu qui a été maintenue, et des dispositions fiscales pour doper le pouvoir d’achat des ménages, qui n’ étaient pas prévues. »
Mesures conjoncturelles
Le gouvernement français pouvait-il faire mieux face à cette accumulation de crises dont il n’est pas encore sorti? Sur la question du pouvoir d’achat, certains candidats en vue foisonnent de propositions. Un salaire minimum élevé à 1 400 euros net (contre environ 1 270 euros actuellement) et des négociations par branche pour des augmentations salariales chez Jean-Luc Mélenchon. Des exonérations de cotisations patronales pour les entreprises qui augmenteraient le salaire de leurs ouvriers et employés jusqu’à trois fois le smic pour Marine Le Pen. Une hausse de 10% des salaires d’ici à 2027 jusqu’à 2,2 fois le salaire minimum dans le chef de Valérie Pécresse… « Il est très facile de promettre en période de campagne électorale. Après, il faut pouvoir tenir ces promesses, commente Philippe Moati, de l’Observatoire société et consommation. Augmenter les salaires n’est pas absurde. Mais ce n’est pas le gouvernement qui peut décider de le faire. Hormis pour le smic et les salaires des fonctionnaires, cela dépend des entreprises. La sagesse en ces périodes de campagne électorale est d’avoir des idées claires et de ne pas promettre la lune au risque d’alimenter encore davantage la défiance à l’égard du politique. Je pense que le gouvernement, que je ne soutiens pas particulièrement, a pris la bonne option. Face à des chocs qui sont encore pour l’instant de nature conjoncturelle, il faut adopter des mesures conjoncturelles. Il faut repérer le plus précisément possible les catégories qui en sont les premières victimes et les aider sans enclencher des phénomènes que l’on ne maîtriserait plus. » Reste à savoir si, par des dispositions ciblées, l’inflation pourra être contenue.
Face à des chocs qui sont encore pour l’instant de nature conjoncturelle, il faut adopter des mesures conjoncturelles.
« La pire conséquence possible qui pourrait résulter de cette situation serait que l’on soit confronté à une véritable inflation, insiste Philippe Moati. Actuellement, on a des hausses de prix. La différence entre l’inflation et les hausses de prix limitées dues à des ajustements entre l’offre et la demande que l’on connaît jusqu’à présent, c’est la perte de valeur de la monnaie. On peut s’orienter vers une inflation, notamment si on déclenche cette fameuse boucle « salaires – prix ». On augmente les salaires pour permettre aux salariés de ne pas perdre du pouvoir d’achat. Ce faisant, on augmente les coûts des entreprises. Elles perdent en compétitivité sur les marchés internationaux. Et cela risque d’affecter la balance commerciale de la France, qui est déjà dans un état pitoyable… »
L’équilibre est fragile et la surenchère de propositions à laquelle peut donner lieu une campagne électorale n’est pas nécessairement propice à des projets raisonnables. Pourtant, le professeur d’économie de l’université de Paris n’ exclut pas que la conjoncture autorise une marge de manoeuvre sans provoquer un emballement inflationniste. « Le partage de la valeur ajoutée sur plusieurs décennies s’est fait plutôt en défaveur des salariés et les profits des entreprises, surtout les grandes, ont quand même été assez confortables. Il y a sans doute du grain à moudre pour augmenter les salaires. D’autant qu’avec la réduction du chômage et les remises en cause existentielles que la crise sanitaire a provoquées chez beaucoup d’actifs, on constate des pénuries de main-d’oeuvre. Dans ce cas de figure, si vous voulez recruter, il faut remonter les salaires. Des mécanismes de marché spontanés permettront donc peut-être de les augmenter, dans des conditions chirurgicales tandis que des mesures au bulldozer risquent, elles, d’avoir des conséquences inattendues », juge Philippe Moati. Entre les promesses mirifiques mais incertaines et la continuité de la gestion de crise, quel sera le choix d’une majorité d’électeurs?
(1) Une analyse macro et microéconomique du pouvoir d’achat des ménages en France, par Pierre Madec, Mathieu Plane et Raul Sampognaro, OFCE.
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