Sophie Wilmès sera restée un an pile à la tête du pays. © GETTY IMAGES

Une note d’espoir dans une année pourrie: Sophie Wilmès, décidément pionnière

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Une pandémie qui survient pile la seule année où la Belgique est dirigée par une femme. Sophie Wilmès aurait pu rêver meilleur contexte, en tant que première Première. Mais, dans sa gestion, la libérale a fait l’unanimité. Et, dans sa foulée, un gouvernement paritaire a été nommé.

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C’était en février. Quand les Belges ne télétravaillaient pas encore, quand les centres-villes n’étaient pas morts, quand aucune pandémie ne rôdait. Un journaliste du Morgen s’était promené dans les rues d’Anvers en brandissant la photo de Sophie Wilmès sous le nez de passants. « Une reine? », avait hasardé l’un. « Connais pas », « Boh », « Sophie qui? »… Sur soixante-cinq personnes abordées, à peine huit l’avaient correctement identifiée. Elle dirigeait pourtant le gouvernement fédéral depuis plus de trois mois. Mais en affaires courantes, mais ultra-minoritaire, mais placée là par un Charles Michel démissionnaire parti vers l’Europe. Et soit visionnaire, soit qui avait tablé sur une simple intérimaire.

Les Affaires étrangères, c’est ce qu’il y avait de plus prestigieux pour quelqu’un qui a occupé son poste et qui était loin d’avoir démérité.

Un virus chinois, ça vous forge un nom. « Sophie » tout seul, maintenant, ça suffit! Une première Première pour gérer une crise économique et sanitaire sans précédent, ça vous bâtit une réputation. Peu d’hommes auraient voulu occuper son poste. D’ailleurs, aucun ne s’est trop pressé pour le lui prendre, durant les premiers mois de l’épidémie. Parmi tous ceux qui l’entouraient, lors des conférences de presse succédant aux conseils nationaux de sécurité, il n’y a pas un ministre-président qui mouftait. Au sein des cabinets ministériels, plusieurs se demandaient d’ailleurs très sérieusement si ce silence n’était pas fait exprès. En mode: trop risqué de parler, laissons-la se débrouiller.

La Rhodienne ne sera restée à la tête du pays qu’un an, pile. Rétrogradée, en octobre dernier, au rang de vice-Première en charge des Affaires étrangères. « C’est le seul poste dont elle pouvait hériter, nous confiait alors un observateur libéral avisé. C’est ce qu’il y avait de plus prestigieux pour quelqu’un qui a occupé son poste et qui était loin d’avoir démérité. » Ainsi s’en souviendront les livres d’histoire politique: Sophie Wilmès, première femme à siéger comme Premier ministre en Belgique, gestion incontestée des débuts de la crise du coronavirus.

De l’inconnue à l’incontournable

Lorsque Le Vif/L’Express lui a consacré un long portrait, en avril, pas un interviewé ne l’a férocement dénigrée (même pas en off, faut pas demander). Ses interlocuteurs politiques appréciaient sa manière d’écouter, de concilier puis de trancher. Son respect, sa rigueur, aussi. Et ses dents qui ne rayaient pas le plancher. Le ton juste pour communiquer, elle l’aurait trouvé, quitte à s’excuser lorsqu’il lui fut reproché d’y avoir dérogé. En octobre, dans le Grand baromètre Le Soir/RTL/Ipsos/Het Laatste Nieuws, elle était la personnalité politique la plus plébiscitée à Bruxelles et en Wallonie, alors que son parti y reculait. Si elle ne fait pas partie du top 3 en Flandre, elle y restait néanmoins l’élue la plus populaire. De l’inconnue du 16 à l’incontournable de la rue de la Loi.

Plus comme Première ministre, donc, depuis l’avènement de la Vivaldi. Les frasques de son président de parti, Georges-Louis Bouchez, lors des négociations ont sans doute compromis ses chances d’être reconduite, alors que celles-ci étaient déjà minces (position du MR et équilibres linguistiques obligent). Mais ce premier passage féminin à la tête du gouvernement fédéral, qui plus est dans un tel contexte, aura peut-être jeté les bases d’une meilleure représentation des femmes dans le monde politique.

Sans Sophie Wilmès, le gouvernement De Croo aurait-il été, pour la première fois, paritaire? Avec des ministres féminines en charge de maroquins qui n’avaient été, jusque-là, gérés que par des hommes? Comme la Défense, entre les mains de la socialiste Ludivine Dedonder. Ou les Affaires étrangères, responsabilité de… Sophie Wilmès. Décidément pionnière et classée dans le dernier top 100 des femmes les plus influentes du monde de Forbes.

Le défi

Une si fragile parité

Il y eut Margaret Thatcher aux commandes de la Grande-Bretagne entre 1979 et 1990. Puis Theresa May… vingt-six ans plus tard. Edith Cresson en France (à défaut d’une présidente) en 1992. Puis plus rien, jusqu’à ce jour. Combien de temps faudra-t-il à la Belgique pour qu’une Première ministre ne soit pas qu’une exception? Les progrès en matière de parité sont lents et fragiles. Ainsi, le nouveau gouvernement d’Alexander De Croo compte – tadam! – autant d’hommes que de femmes, toutefois ces dernières sont minoritaires parmi les vice-Premiers (deux sur sept). Et encore davantage parmi les chefs de cabinet (huit sur vingt-neuf).

L’épisode de la constitution de la Vivaldi a d’ailleurs fait la démonstration de cette vulnérabilité. Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, pour recaser l’ancien ministre des Classes moyennes et rival Denis Ducarme, n’avait pas hésité à éjecter la ministre wallonne de la Fonction publique, Valérie De Bue. Ce jeu de chaises musicales aura toutefois été fort bref: deux heures, le temps que le chef des libéraux se fasse faire remarquer que sa décision contrevenait au décret wallon en matière de parité, qui impose un tiers de personnes de l’autre sexe au sein d’un gouvernement. « Il est dommage que les femmes aient encore besoin de quotas pour exister », regrettait par la suite l’intéressée. Si fragile parité, vous disait-on.

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