Stéphane Moreau, ascension et décadence du magnat liégeois
L’arrestation de Stéphane Moreau et son inculpation pour abus de biens sociaux, détournement par personne exerçant une fonction publique, faux, usage de faux et escroquerie marque une étape de plus dans la descente aux enfers du magnat liégeois. L’homme qui a incarné un temps un modèle de redressement économique dans la Cité ardente est aujourd’hui en prison comme d’autres protagonistes du dossier Nethys.
Né à Paris en 1964, Stéphane Moreau a été élevé par ses grands-parents dans une cité sociale d’Alleur (Ans), avant de s’éloigner de ce terreau modeste à la faveur de ses études à l’université de Liège, où il a suivi les sciences économiques et s’est diplômé en sciences politiques.
Militant socialiste dès l’âge de 16 ans, il évolue alors dans l’ombre du bourgmestre d’Ans et ministre PS Michel Daerden. Dans les années 1990, il travaille aux cabinets des ministres Alain Van der Biest et Guy Mathot, puis du bourgmestre de Liège Henri Schlitz, avant de devenir échevin.
C’est à cette époque qu’il entre à l’Association liégeoise d’électricité (ALE), intercommunale dont il accompagnera la diversification (gaz, télédistribution) pour en devenir directeur en 2005, alors que l’ALE est devenue Tecteo.
Menacé dans son monopole de distributeur d’énergie par la libéralisation des marchés à l’échelle européenne, ainsi que par la concurrence de Belgacom/Proximus sur son monopole de télédistribution, l’organe s’est progressivement transformé en un acteur public majeur de l’énergie, des médias et de l’investissement, en renforçant ses sociétés anonymes.
En 2007, Michel Daerden choisit Stéphane Moreau comme bourgmestre faisant fonction d’Ans. Mais le « Papa » de la politique locale soupçonne rapidement son « fils spirituel » de vouloir l’écarter et fait remplacer en 2010 celui qu’il qualifie désormais de « Brutus« . Quelques mois plus tard, Stéphane Moreau évince Michel Daerden du mayorat après avoir noué de nouvelles coalitions politiques.
Son pouvoir d’influence ne cesse de croître. Il siège au bureau national du PS et appartient à l’ex- « club des cinq » du PS liégeois, avec le bourgmestre de Liège Willy Demeyer, le vice-président du gouvernement wallon Jean-Claude Marcourt, le député-bourgmestre de Seraing Alain Mathot et le président du collège provincial André Gilles, qui préside aussi Tecteo.
Régulièrement attaqué sur le conflit d’intérêts entre de ses activités managériales et politiques, sur le poids qu’on lui prête pour orienter des législations en gestation à l’avantage de son groupe industriel (qui échappe plusieurs années à la tutelle régionale), Stéphane Moreau donne aussi l’image d’un dirigeant dur face aux syndicats dans un conflit social en 2009.
Il n’apparaît pas dans les médias, cultive le secret sur ses rémunérations plantureuses, qui explosent les plafonds en vigueur dans des organismes publics.
Aux yeux de tous, toutefois, Stéphane Moreau est alors considéré comme le principal artisan de la « success story » Nethys qui, avec ses marques Voo/Be TV, Resa, L’Avenir, Moustique, etc, est sur le point de démontrer la capacité d’une holding publique à jouer sur des marchés hyperconcurrentiels tout en maintenant l’activité économique et l’emploi sur un terrain local.
Mais la révélation, le 20 décembre 2016 par Le Vif, de l’affaire des comités de secteur (des mandataires locaux perçoivent de généreuses rémunérations pour un travail léger voire inexistant dans trois organes d’avis de Publifin) choque l’opinion publique, tout autant que les rémunérations des dirigeants de Nethys.
Pointé par bon nombre comme le principal responsable, Stéphane Moreau est exclu du PS qui lui demande de quitter le mayorat d’Ans, ce qu’il ne fait que quelques mois plus tard.
Ce scandale est la première étape du déclin de Stéphane Moreau.
Le parlement wallon met sur pied une commission d’enquête qui, dans ses conclusions rendues en juillet 2017, réclame son éviction, une modification draconienne du périmètre d’action de l’intercommunale ainsi que la vente de certaines filiales. Les révélations vont se succéder sur la façon dont Stéphane Moreau et son entourage gèrent l’empire Nethys.
Il faudra pourtant attendre octobre 2019 pour qu’un conseil d’administration renouvelé de Nethys rompe avec effet immédiat et sans indemnité les contrats de trois dirigeants: Bénédicte Bayer, Stéphane Moreau et Pol Heyse.
Ces limogeages ne mettront pas fin aux affaires qui impliquent Stéphane Moreau, loin s’en faut. Régulièrement, la presse dévoile les pratiques douteuses des dirigeants de Nethys. Il semble que ce sont les « indemnités de rétention » accordées par le comité de rémunération à quatre d’entre eux qui ont entraîné leur inculpation et leur incarcération. Pour compenser la réduction de salaire que leur imposait un décret wallon, ils ont reçu pas moins de 18,6 millions d’euros. D’autres dossiers examinés par les enquêteurs pourraient encore avoir des suites judiciaires. Une affaire, celle concernant le fonds de pension Tecteo/Ogeo, s’est soldée par une transaction.
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