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Pourquoi boycotter les pompes à essence Lukoil est une fausse bonne idée

Sur les réseaux sociaux, les appels au boycott des pompes à essence du géant pétrolier russe Lukoil fusent. Freiner l’économie russe en boycottant les stations-service Lukoil, c’est faire fausse route, s’accordent experts et fédérations pétrolières. Face au marché global du pétrole, des mesures étatiques et le recours aux énergies alternatives seraient plus appropriés.

Alors que l’invasion russe est en cours depuis plus d’une semaine, sur les réseaux sociaux, les appels au boycott des pompes à essence du géant pétrolier russe Lukoil fusent. Mardi 1er mars, la banque Belfius a même pris la décision de désactiver, pour les stations à essence Lukoil, son application de paiement mobile « Car-Pay Diem ». Pour mettre à mal l’économie poutinienne et ainsi lutter contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie, faut-il boycotter les pompes à essence Lukoil ?

Pour Olivier Neirynck, directeur technique de la Fédération belge des négociants en combustibles et carburants (Brafco), il s’agit d’une fausse bonne idée. « La seule conséquence que ce boycott pourrait entraîner, c’est le licenciement du personnel belge des stations-service de Lukoil », craint-il. Energia, la fédération pétrolière belge, souligne également que « les stations-service sont gérées en partie par des indépendants belges, localement ».

Face à l’appel au boycott des pompes russes, la filiale belge de Lukoil se défend de « ne pas être une entreprise publique ». Forte de 180 stations essence en Belgique, la deuxième plus grande compagnie pétrolière de Russie (après Rosneft) emploie environ un millier de personnes dans le Benelux. L’entreprise précise qu’elle opère « entièrement localement » et « paye des impôts en Belgique ».

D’autant plus que Lukoil n’est pas l’unique station-service fournissant du pétrole russe aux automobilistes belges, rappelle Energia. Selon la fédération pétrolière belge, 32% du pétrole acheminé en Belgique proviendrait de la Russie, suivie par le Moyen-Orient avec 23% et la mer du Nord avec 14%. Enfin, le pétrole en provenance d’Afrique, et plus précisément du Nigeria, représenterait 11% du pétrole importé.

Un marché global

Professeur à l’Université de Liège, Damien Ernst estime qu’un boycott citoyen des pompes à essence Lukoil n’est pas la solution pour mettre à mal l’économie russe. « Il s’agit d’un marché global du pétrole », explique le spécialiste des énergies. « Si Lukoil ne vend plus son carburant à ses propres pompes, les produits russes seront vendus à d’autres. » En effet, selon lui, « tous les majors pétroliers, tels que BP, Total, Shell ou encore ExxonMobil, ont des contrats avec la Russie ». Damien Ernst remarque toutefois que les géants du pétrole, comme BP et Shell, abandonnent progressivement ces contrats.

Pour contrecarrer l’import russe de pétrole en Belgique, Bertrand Candelon, professeur de finance à l’UCLouvain, préconise de prendre des mesures de rétention au niveau fédéral ou européen, plutôt que de mener une vindicte populaire.

Taxation des produits fossiles russes

Le jeudi 3 mars, au septième jour de l’offensive, dans une lettre adressée aux dirigeants européens, 25 ONG ont réclamé l’imposition d’une taxe sur les produits fossiles provenant de Russie. Les organisations estiment que, en échange de gaz et de pétrole, l’Union européenne paie chaque jour 80 à 85 millions d’euros au régime russe. Les organisations déplorent aussi que les sanctions européennes à l’encontre de la Russie ne visent pas directement le marché russe des énergies.

Pour éviter de soutenir l’économie du régime de Poutine, et donc de financer l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les ONG demandent également que les stations essences indiquent clairement le pays d’origine du carburant qu’ils proposent. Elles appellent aussi à accélérer la transition énergétique, et à adopter un plan d’action pour réduire rapidement la consommation de pétrole. Leur crainte est que, pour compenser un éventuel arrêt de l’approvisionnement russe, l’Europe aille se fournir en pétrole au Moyen-Orient.

Transition énergétique

Bertrand Candelon estime également que l’Union européenne doit se tourner vers les énergies alternatives, plutôt que de négocier avec d’autres importateurs, du Moyen-Orient ou des Etats-Unis. « L’idée est de diversifier l’approvisionnement d’énergie, pour être moins affectés par un choc géopolitique », explique-t-il.

Selon lui, les sanctions européennes impactent indirectement le carburant provenant de Russie. « Le gel des revenus russes, générés notamment par le pétrole, au niveau des banques ou des institutions financières, va rendre l’approvisionnement difficile », poursuit-il. Des contre-réactions des autorités russes sont à prévoir, ainsi qu’une augmentation générale du prix du carburant.

Ce jeudi 3 mars 2022, le prix du baril de pétrole a dépassé les 110 dollars. Un record depuis 2013. Si « les consommateurs belges paient déjà deux euros pour leur litre d’essence, ils en payeront bientôt trois », redoute le professeur Damien Ernst.

« Nous prônons un arrêt rapide du conflit armé »

Au septième jour de l’invasion russe, ce jeudi 3 mars, dans un communiqué de presse, le conseil d’administration de Lukoil a déclaré prôner « un arrêt rapide du conflit armé » via « un processus de négociation et des moyens diplomatiques », une première pour un géant russe. Le même jour, la Bourse de Londres a suspendu les titres financiers de Lukoil, qui s’effondraient depuis le début de l’invasion russe en Ukraine.

Mis à part Lukoil, d’autres entreprises russes sont actives en Belgique.

  • NLMK, le plus grand producteur d’acier de Russie, emploie environ 1200 personnes en Wallonie. Si, pour la première fois depuis de nombreuses années, l’entreprise sidérurgique russe a commencé l’année dans le vert, les sanctions occidentales contre le régime de Poutine pourraient impacter l’approvisionnement en acier des usines belges du groupe, provenant de Russie.
  • Eurochem, producteur mondial d’engrais, emploie près de 400 personnes à Anvers. Son patron, l’oligarque russe Andrey Melnichenko, craint que son voilier (le plus grand du monde), qui est actuellement en travaux en Italie, ne soit saisi en raison des sanctions européennes contre la Russie.
  • La compagnie russe Airbridge Cargo représente environ 6% du tonnage total de l’aéroport de Liège. Suite à la fermeture de l’espace aérien européen aux compagnies russes, la compagnie cargo de Russie a suspendu ses contrats avec l’aéroport.

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