Police: faut-il interdire le plaquage ventral?
Suite de l’affaire Chovanec: le plaquage ventral est partiellement prohibé. Bientôt une interdiction totale? Le débat devrait avoir lieu au Parlement.
Les policiers qui ont maîtrisé Jozef Chovanec à l’aéroport de Charleroi en février 2018 avaient tout faux. En tout cas, à la lecture de la nouvelle directive interne à la police intégrée concernant les cas du même genre, ils auraient tout faux aujourd’hui. Fin septembre dernier, une fiche de prévention « EDS » a été envoyée aux collaborateurs de police de première ligne. EDS: Excited Delirium Syndrom. Il s’agit de personnes qui se montrent extrêmement agressives ou donnent l’impression d’avoir consommé des stupéfiants. Par son comportement irraisonné et violent envers lui-même – il s’est tapé plusieurs fois la tête contre un mur de sa cellule -, Chovanec, le Slovaque décédé à la suite d’une intervention musclée de la police, peut être considéré comme un cas typique d’EDS.
L’arme principale du policier est la parole.
La nouvelle fiche en décrit les caractéristiques: « insensible à la douleur », « extrêmement confus et ne suit pas les indications de la police », « déploie une force surhumaine », « attiré par la lumière vive et les sons forts », « tient des propos incompréhensibles et émet des sons quasi bestiaux », « transpire abondamment »… Face à une personne en état d’EDS, les recommandations sont dès lors: faire en sorte qu’il y ait assez de collègues présents pour contrôler la personne sans frappe ni point de pression ou autres stimuli négatifs inefficaces, tenter de la calmer verbalement, éviter de l’enfermer dans une cellule de police et la transférer en urgence en ambulance sous le contrôle d’un médecin, éviter la position ventrale et demander à un collègue de contrôler la respiration.
La fiche de prévention, conséquente à la tragédie Chovanec, ajoute: « Ayez à l’esprit que les patients en état d’EDS ont souvent tendance à se blesser eux-mêmes, par exemple, en se frappant la tête contre le mur. Si tel est le cas, une intervention classique n’aidera pas. » Ce qui s’est passé à Charleroi, il y a deux ans, est quasi tout le contraire de ce qui est désormais officiellement préconisé au sein de la police. En attendant la finalisation d’un manuel, cette fiche EDS a été largement diffusée.
A l’Académie de police de Namur, le directeur Raymond Drisket s’en réjouit. « Il y avait un déficit évident dans l’approche des personnes présentant des troubles mentaux, dit-il. Or, depuis quelques années, ces situations sont de plus en plus fréquentes, a fortiori avec la Covid-19 et ses conséquences sur la santé mentale. Après la diffusion de la fiche EDS, j’ai directement envoyé des formateurs à Bruxelles, qui deviendront des référents pour nos moniteurs de pratique professionnelle. Ainsi, on pourra très bientôt former nos étudiants à la procédure EDS. »
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Pas de base légale spécifique
Un point remarquable: dans les nouvelles directives policières, la technique du plaquage ventral est désormais interdite pour les cas d’EDS. L’affaire Chovanec aura au moins eu ce mérite… Il y a un air de déjà-vu. Après la mort de Semira Adamu, lors de son expulsion en 1998, la technique du coussin, utilisée par les policiers qui l’escortaient dans l’avion vers le Nigeria, avait été proscrite. Mais au-delà des situations EDS, ne faudrait-il pas interdire le plaquage ventral pour tous les « tangos » (agresseurs ou suspects, dans le jargon policier)? Dès la fin août, la Ligue des droits humains (LDH) a posé la question à l’ex-ministre de l’Intérieur, Pieter De Crem (CD&V), et à plusieurs députés. En vain, jusqu’ici.
Le plaquage ou décubitus ventral est une technique policière controversée, médiatisée surtout depuis la mort de George Floyd en mai dernier à Minneapolis, étouffé sous le genou qu’un policier a pressé sur son cou pendant neuf minutes. La Suisse, depuis 2008, et des villes américaines, comme New York et Los Angeles, l’ont proscrite. En France, la liste des décès dus à cette pratique, ces dernières années, est longue. La LDH française et Amnesty France ont demandé son interdiction ou à tout le moins sa suspension le temps d’en évaluer la dangerosité.
En Belgique, aucune base légale spécifique n’entoure le plaquage ventral. « La loi sur la fonction de police règle la question de l’usage de la force, mais ce sont des principes généraux, de stricte nécessité et de proportionnalité », reconnaît le procureur général de Liège Christian De Valkeneer. Ces principes sont-ils bien respectés? « Toute la question est là, relève Philippe Hensmans, directeur d’Amnesty Belgique qui rejoint les revendications de ses collègues français. Dans le cas de Chovanec, il fallait à l’évidence le maîtriser, mais devait-on le faire pendant seize minutes avec un genou dans le dos et une couverture sur la tête? »
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Pour la LDH belge aussi, le fait de maintenir la position ventrale ou d’exercer une pression continue sur le thorax est très problématique. « D’où l’intérêt d’évaluer la manière précise dont est enseignée cette technique aux policiers », souligne Manu Lambert, juriste à la Ligue. D’après nos infos, le Comité P de contrôle des polices se penche sur la question. Sa présidente nous a confirmé avoir lancé une enquête générale sur les arrestations de « personnes indisciplinées », mais sans pouvoir en dire plus à ce stade.
Quant à la formation, Raymond Drisket signale que le plaquage ventral n’est plus enseigné tel quel, en tout cas pas comme lui-même l’a appris il y a belle lurette. « Tout cela a terriblement évolué, et encore plus depuis 2015, après la refonte des programmes, affirme le directeur de l’école namuroise. Le plaquage est un outil parmi d’autres, mais pas le premier. Croyez-moi, nous insistons énormément sur l’utilisation du dialogue avant tout: l’arme principale du policier est la parole, dans un contexte qu’on lui apprend à décrypter rapidement. Ensuite, s’il le faut, viennent le pepper spray, la matraque télescopique, le plaquage… »
Il y avait un déficit évident dans l’approche des personnes présentant des troubles mentaux. u0022
Un plaquage peut s’effectuer contre un mur ou une voiture. « C’est vraiment si le « tango » n’est pas coopérant du tout qu’on le couchera au sol sur le ventre, avec une pression modérée d’un genou au niveau des reins, juste le temps de lui mettre les menottes, détaille Raymond Drisket. Les policiers apprennent à accompagner la descente vers le sol et, surtout, à ne pas obstruer les voies respiratoires. Des médecins et infirmiers viennent à l’école expliquer les risques concrets d’une telle obstruction. » Le directeur est néanmoins conscient que les techniques évoluent et peuvent faire l’objet d’une évaluation. Mais ici, la balle est clairement dans le camp du pouvoir législatif.
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