Agité, Chovanec est emmené dans une cellule du commissariat de l'aéroport. Ses analyses toxicologiques ne révéleront cependant aucune trace d'alcool, de stupéfiants ou de médicaments.

Le récit des dernières heures de Jozef Chovanec

Atteint de troubles psychiques, Jozef Chovanec est-il mort des suites de l’intervention musclée de policiers de l’aéroport de Charleroi, des coups qu’il s’est donnés ou de l’injection d’un calmant ? Voici le récit de ses dernières heures de vie.

Jozef Chovanec, 39 ans, est un homme solide aux pommettes larges, yeux et cheveux clairs : environ 100 kilos pour plus de 1,80 mètre. A l’aéroport de Charleroi, ce vendredi 23 février 2018, il n’est pas dans son état normal. Après un séjour en Belgique pour son travail, il retourne en Slovaquie. Son épouse Henrieta, à qui il a téléphoné à deux reprises, va venir l’attendre à l’aéroport de Bratislava, avec Lucia, leur petite fille de 2 ans.

Jozef Chovanec, son épouse Henrieta et Lucia, leur petite fille de 2 ans.
Jozef Chovanec, son épouse Henrieta et Lucia, leur petite fille de 2 ans. © DR

Il a vraiment la tête ailleurs, Jozef Chovanec. Au contrôle de sécurité, il oublie son blouson où se trouvent son smartphone, son portefeuille et sa carte d’identité. Impossible de revenir en arrière. Son stress est manifeste quand il s’adresse à des compatriotes.

Que faire ? A la porte d’embarquement 9, il prend sa décision et passe à toute allure sur la gauche du comptoir. Cela va si vite que l’employée de l’embarquement doit s’écarter pour ne pas être touchée par son trolley. Une autre employée se lance à sa poursuite. Lorsqu’elle arrive à la hauteur de ce grand gaillard, elle pose sa main sur son épaule, il se retourne, la regarde et reprend sa marche vers l’avion de Ryanair dont le départ est imminent, 18 h 55. Elle lui a pris le boarding pass qu’il tenait en main. Il hésite, revient sur ses pas, fait non de la tête, se remet à marcher, tirant toujours son trolley derrière lui.

Confus mais « pas agressif »

Dans l’avion, il s’est installé au premier rang, confus, égaré mais « pas agressif « , témoignera plus tard Roman Behúl, l’un des passagers interrogés par la VRT. L’hôtesse de l’air l’invite à s’en aller, mais « il a droit à ce siège, il ne descendra pas « . Pourtant, il se laisse emmener sans résistance par des policiers qui, eux, ont  » un comportement violent », dit Vojtech Eksler à la VRT, l’homme avec lequel Jozef Chovanec avait échangé quelques mots dans le hall des départs. Pour Roman Behúl, « ils devraient quand même pouvoir distinguer si quelqu’un est malade et ne peut dès lors pas parler ou montrer ses documents ou s’il s’agit vraiment de quelqu’un qui met les autres passagers en danger… » Le commandant de bord ne voulait pas, ne pouvait pas, décoller avec ce passager.

Sur le tarmac, une femme tente de le persuader de suivre les agents de la police aéronautique. Ce département de la police fédérale est chargé des contrôles et de la surveillance aux frontières extérieures des six aéroports Schengen de Belgique. Jozef Chovanec n’est pas violent, juste affolé. Pour son malheur, il est grand et fort et ne parle pas français. Les policiers présents demandent le renfort de la Team 2. A quatre, ils procèdent à une « mise au sol ». Trois autres policiers les rejoignent. Chovanec est relevé, mais il se laisse tomber lourdement par terre. On va le traîner par les jambes sur quelques mètres. Un combi VW arrive en renfort et le reconduit au bâtiment de l’aéroport. Pendant le trajet, il s’oublie sous lui.

Rébellion non armée

Maintenant, Jozef Chovanec est escorté de neuf fonctionnaires de police, assis sur une chaise roulante, ses mains menottées dans le dos. Il est conduit dans une des cellules du commissariat de l’aéroport. Elle est vidéosurveillée en permanence. La caméra n’enregistre pas le son. Le cachot d’environ deux mètres sur trois est équipé d’une cuvette de WC en inox, d’une banquette avec un matelas et une couverture bleue. A 19 h 25, les pompiers de l’aéroport sont appelés pour soigner le suspect de rébellion non armée, ainsi que les agents de police. L’un souffre d’une contusion au poignet gauche, l’autre d’une contracture musculaire. Les pompiers n’ont pas accès à la cellule, vu  » l’état d’énervement et le comportement violent de l’intéressé « .

Avocat et médecin de garde

L’officier de police administrative et la parquetière de garde sont mis au courant de la situation. Des instructions judiciaires sont données : priver Jozef Chovanec de sa liberté pendant 24 heures, saisir les images caméras de son parcours, le faire voir par un médecin et reporter son audition au lendemain,  » quand il ne sera plus sous influence « . Car, avec ses pupilles dilatées, il pourrait bien être sous l’emprise de quelque substance. L’aide d’un avocat lui est proposée par l’intermédiaire d’une interprète slovaque, au téléphone. Il refuse.

Pour son malheur, chovanec est grand et fort et ne parle pas français.

Conformément aux directives, le service Allô Santé des médecins de garde de la région est appelé à 20 h 05. Le médecin n’arrivera qu’à 23 h 25, après un rappel.  » Des problèmes de communication, se justifiera-t-il. C’est le téléphone de son chauffeur qui a été appelé…  » Il repart à 23 h 46, non sans avoir griffonné sur un feuillet de son carnet :  » Il n’y a a priori aucune contre-indication à le maintenir en cellule toute cette nuit.  » Vu la barrière de la langue, la communication était difficile. Peut-on parler d’une consultation ? La caméra n’a enregistré aucune entrée dans la cellule. Peut-être Jozef Chovanec a-t-il été observé par la porte entrouverte.

Le 2 septembre dernier, la divulgation de images de 2018, y compris celles du salut nazi de la jeune policière, provoquent un choc.
Le 2 septembre dernier, la divulgation de images de 2018, y compris celles du salut nazi de la jeune policière, provoquent un choc.© DR

Faute de parvenir à joindre son mari par téléphone, Henrieta prévient son beau-frère Pavel, qui habite à Anvers, que Jozef n’est pas arrivé avec le vol Ryanair. A 23 h 30, Pavel se présente avec deux amis au commissariat de l’aéroport de Charleroi. Le médecin de garde est toujours sur place – les locaux ne sont pas vastes -, mais ils n’ont pas l’occasion de se parler. Pavel aurait pu lui expliquer ce qu’il vient dire aux policiers, à savoir que son frère aîné a des problèmes psychologiques, qu’il a été renvoyé de son boulot, qu’il prend des médicaments pour la thyroïde, qu’il a bu trois ou quatre verres de bière pendant la journée,  » mais pas de médicaments « . Plus tard, Henrieta Chovancova ajoutera que son mari souffrait de troubles schizophréniques, mais qu’il n’était plus sous traitement depuis avril 2017. Et de fait, les analyses toxicologiques n’ont décelé aucune trace d’alcool, de stupéfiants ou de médicaments. Pavel est dissuadé de voir son frère, « parce qu’il est en train de dormir ».

Y a-t-il un manque de vigilance à l’égard d’éventuelles bavures policières?

La nuit du 23 au 24 février 2018

Dormir ? La scène qui se déroule dans la cellule est d’une tout autre nature. Syndrome de délire agité (EDS) ou bouffée délirante de type schizophrénique ? Le diagnostic de l’état dans lequel se trouvait Jozef Chovanec relève de la médecine. Si les extraits de la vidéosurveillance diffusés dans les médias et sur Internet sont explosives, par écrit, elles sont suffocantes. Leur description, plan par plan, débute à 23 h 04 et se termine à 7 h 51, quand deux nettoyeuses protégées des pieds à la tête quittent la cellule après l’avoir entièrement nettoyée.

Ce travail minutieux de rapportage a été réalisé par les enquêtrices du service d’enquête du comité permanent de contrôle des services de police (comité P), sous la direction de la juge d’instruction saisie le 27 février 2018 pour coups et blessures volontaires. Les policiers impliqués ont été entendus et confrontés à ces images. Le 2 septembre dernier, face au choc de leur divulgation, face aux accusations de l’avocate de la partie civile sur la lenteur supposée de l’enquête, sans parler du salut nazi de la jeune policière en intervention que la police et la justice sont soupçonnées d’avoir voulu cacher, le parquet général de Mons sort de sa réserve.  » Toutes les images de vidéosurveillance ont été […] minutieusement analysées par les enquêteurs du Comité P qui, dans la foulée, ont entendu les policiers impliqués, précise-t-il par communiqué. Les auditions ont porté sur l’ensemble des faits, dont notamment le salut nazi, et se sont déroulées entre avril et mai 2018. Les procès-verbaux de ces auditions ont été déposés au dossier. L’enquête s’est poursuivie sur les causes du décès, objet de la saisine du juge d’instruction. »

Description minutée

Une trentaine de pages sont, en effet, consacrées au minutage et à la description de ce qui s’est passé dans la cellule, la nuit du 23 au 24 février, en particulier, l’action policière et l’intervention des secours entre 4 h 38 et 5 h 09. Elles montrent, à partir de 23 heures, un homme de plus en plus agité, avec de rares accalmies, riant, pleurant, dansant, se mettant nu, se rhabillant, « jouant » avec la couverture bleue de la banquette de la cellule, se touchant le visage, les cuisses, se balançant dans tous les sens, toussant, se couchant, se levant, sautillant et gonflant ses muscles, puis, se lançant avec de plus en plus de violence contre la porte métallique de sa cellule. Quelques extraits.

Les policiers ont utilisé le plaquage ventral, technique controversée mais toujours autorisée en Belgique.
Les policiers ont utilisé le plaquage ventral, technique controversée mais toujours autorisée en Belgique.© ISOPIX

1 h24 Jozef Chovanec assène trois coups d’épaule contre la porte. Derrière son écran de surveillance, l’opérateur donne l’alerte. Un inspecteur entre dans la cellule et lui demande de se calmer et de se coucher. On lui apporte de l’eau dans un gobelet en plastique.

1 h 30 Il se lève d’un bond et se jette sur la porte contre laquelle il se frappe la tête une quinzaine de fois. Il se rassied. On allume dans la cellule. Il se lève et se place devant la porte. Il recule et va se recoucher sous la couverture. Pendant un moment, il a les yeux exorbités et puis, il se frotte le front de la main gauche. Il se couche sur le côté gauche tourné vers le mur. Il bouge un peu les bras et la tête.

1 h 43 Nouveaux coups sur la porte des mains, des pieds, des épaules. Jozef Chovanec semble parler tout seul.

2 h 34 Quatre violents coups de poing sur la porte.

2 h 52 Il boit le verre d’eau qu’on lui tend.

3 h 04 Il se donne des coups de poing au visage, prend de l’eau à la cuvette des WC, tape sur la porte avec son épaule. Plusieurs quintes de toux le plient en deux, il tire la langue, tombe face contre terre tout en se couvrant et se découvrant la tête avec la couverture. Il regarde sans cesse la porte, s’en approche en gonflant ses muscles comme un boxeur.

4 h 23 Il se fracasse la tête contre la porte à une vingtaine de reprises et s’écroule, le front ensanglanté.

4 h 27 Jozef Chovanec est pris de tremblements, il y a du sang partout dans la cellule.

4 h 30 Il se cogne la tête contre la porte quarante fois de face ou de côté.

La police et les pompiers ont été appelés à 4 h 20. Ils découvrent l’état de Jozef Chovanec, la cellule maculée de sang, d’urine et d’excréments, sa puanteur infernale. Il faut l’empêcher de mettre sa vie en danger et le conduire à l’hôpital : tel est le but de l’intervention qui débute à 4 h 38. Elle est difficile, cette intervention, l’homme ne se laisse pas mettre facilement les menottes et déploie une force hors du commun.

Les images diffusées dans les médias donnent l’impression d’une action confuse, hors contrôle et hors norme, avec ces pas de danse, ces rires déplacés, ce geste nazi d’une policière de 22 ans en direction d’un interlocuteur, dans le couloir, pour expliquer que Jozef Chovanec parle en allemand comme ce type, là, dont elle ne retombe pas sur le nom… Hitler… Les policiers ont utilisé le plaquage ventral, une technique d’immobilisation controversée mais toujours autorisée en Belgique. Le Slovaque se débat tellement que ses liens en plastique (colsons) sautent. Un homme se met sur lui pour le maintenir (seize minutes, selon le minutage de l’expert requis par l’avocate de la partie civile), puis, un autre encore (pendant trois minutes). Une policière ou un pompier se relaient à sa tête et surveillent sa respiration, comme le veut la procédure. Le service 100 et le Service mobile d’urgence et de réanimation (Smur) de l’hôpital civil Marie Curie de Lodelinsart (CHU de Charleroi) arrivent peu avant 5 heures. A 5 h 04, un calmant est administré à Jozef Chovanec. Il fait un arrêt cardiaque.

Les images de cette séquence ont choqué le monde entier.

4 h 31 Un policier entre dans la cellule avec un bouclier en plexiglas. Jozef Chovanec est hors du champ de vision. Il y a des mouvements de lutte.

4 h 33 L’homme est mis à plat ventre sur la banquette, sa tête sur la couverture. Des colsons sont placés à ses poignets ; il semble calme.

4 h 45 Il se débat, cinq policiers le maintiennent. Le calme revient, les policiers rient entre eux.

4 h 54 Chovanec se débat à nouveau. Les policiers resserrent leur prise.

5 h 01 Une policière fait le salut nazi et rit avec quelqu’un qu’on ne voit pas, puis se précipite vers la banquette où le prisonnier recommence à s’agiter.

5 h 04 Une infirmière du Smur abaisse le pantalon de Jozef Chovanec et lui fait une piqûre.

5 h 05 Une policière se penche vers la tête de Jozef Chovanec, se redresse et dit quelque chose. Tous semblent relâcher la pression qu’ils exerçaient sur lui.

5 h 06 Le médecin du Smur entre dans la cellule et contemple la scène. L’infirmière prend le pouls au cou de l’homme étendu sur le ventre.

5 h 07 Le médecin et l’infirmière rentrent à nouveau dans la cellule ; les policiers ont fait rouler le corps de Jozef Chovanec sur le côté, et puis sur le dos. Le médecin examine ses yeux et tâte son cou.

5 h 08 Un pompier fait un massage cardiaque. L’infirmière entre, puis, ressort avec sa perfusion. Jozef Chovanec est emmené inerte en dehors de la cellule.

Une réanimation est tentée dans le couloir. Le coeur repart. A 5 h 29, le Slovaque est conduit à l’hôpital Marie Curie. Il y décédera le 27 février, après des soins infructueux en soins intensifs.

Les événements de la nuit sont relatés à la magistrate de garde du parquet. Le 25 février, Henrieta Chovancova dépose plainte à la police locale de Charleroi, accompagnée de Pavel Chovanec. Elle vient de faire plus de 1 100 kilomètres en voiture avec sa petite-fille et ses beaux-parents, Anna et Jozef. Jozef Chovanec décède le 27 février à l’hôpital Marie Curie, entouré des siens. Peter, son autre frère (il était l’aîné), est venu de Suisse.

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Qui était Jozef Chovanec ?

Selon le portrait qu’en a réalisé De Morgen, Jozef Chovanec est né dans une famille catholique de la région de Zilina, à deux cents kilomètres au nord-est de Bratislava. Il est titulaire d’un master en théologie de l’université de Nitra. Il aurait voulu devenir prêtre, mais ne voulait pas du célibat. En 2007, il arrive en Belgique avec Pavel. Son job consistait à fournir de la main-d’oeuvre slovaque à des entreprises en bâtiment. De jeunes travailleurs détachés qu’il recrute, loge et fait travailler pour la société Jovabouw qu’il a créée avec un compatriote. Avant de le connaître, sa femme vivait et travaillait en Grande-Bretagne. Ils se marient en 2014. Animé, confie-t-il à un ami flamand, par le souci de  » rendre  » ce qu’il a reçu de la société, il se présente en 2016 aux élections municipales de la commune de Terchova. Son slogan :  » Vivre dans la vérité « . Il perd à dix voix près. Entre-temps, il a créé une nouvelle société en Belgique, ce qui l’aurait mis en difficulté avec son ex-associé.

Avant même le décès de son mari toujours dans le coma à l’hôpital Marie Curie, Henrieta Chovancova se constitue partie civile dans les mains d’une juge d’instruction de Charleroi pour coups et blessures volontaires à charge d’inconnu (x). La magistrate se rend immédiatement à l’aéroport. Trois jours se sont écoulés depuis les faits. Comme il est d’usage lors d’une descente, elle est accompagnée d’un membre du parquet, de deux enquêtrices du comité P et de trois enquêteurs du Service d’enquête et de recherches de la police locale de Charleroi. Elle ordonne la saisie des images de vidéosurveillance de la cellule. Sous sa direction, le petit groupe visite le cachot – qui a déjà été nettoyé – et visionne les terribles vingt-cinq dernières minutes de la vie de Jozef Chovanec.

Les causes possibles du décès

En mai dernier, un collège d’experts a été constitué sur une base mixte instruction-partie civile. Très attendu, son rapport devrait éclaircir la ou les causes de la mort de Jozef Chovanec.

De quoi est mort le Slovaque Jozef Chovanec ? Tel est l’objet de la saisine d’une juge d’instruction de Charleroi depuis février 2018.  » Contrairement à ce qui a pu être affirmé, indiquait le parquet général de Mons dans son communiqué du 2 septembre dernier, il ne semble pas prouvé, à ce stade de l’enquête, que les gestes posés par les policiers sont la cause directe du décès de la victime. Il s’agit là du noeud de l’enquête. Par leurs comportements, les policiers peuvent-ils être considérés comme pénalement responsables de la mort de la victime ? Sur ce point, de nombreuses expertises ont été ordonnées par le juge d’instruction (autopsie, anatomopathologie, analyses toxicologiques, etc.). En l’état actuel des expertises, aucun élément ne démontre de signe de compression thoracique exercée par les policiers qui serait en lien avec le décès de la victime. « 

Cette thèse ne satisfait pas, mais alors pas du tout, l’avocate de la partie civile, Ann Van de Steen (photo), elle qui avait demandé et obtenu des devoirs d’enquête complémentaires et, le 27 mai dernier, déposé un rapport de son conseiller technique pointant les lacunes des expertises judiciaires.  » Suite à ce rapport, poursuit le parquet général de Mons, le juge d’instruction a désigné un collège de trois experts dont un psychiatre pour rencontrer les arguments du conseiller technique de la partie civile. « 

Thèse de la pression sur le dos

En l’état, il y a plusieurs hypothèses. Dans la nuit du 23 au 24 février 2018, Jozef Chovanec s’est tapé la tête plus de soixante fois sur la porte métallique de sa cellule, la vidéosurveillance en faisant foi. Cela peut-il expliquer l’oedème cérébral (hémorragie) postanoxique (par insuffisance d’oxygène) constaté au scanner ? Le calmant DHBP, un antipsychotique connu sous le nom de Droperidol qui lui a été injecté par une infirmière sur prescription et en présence du médecin du Smur (Service mobile d’urgence et de réanimation) de l’hôpital Marie Curie de Lodelinsart, a-t-il pu provoquer l’arrêt cardiaque ? Dans son communiqué, le parquet général relève que  » suite à cela (NDLR : l’administration du calmant), Monsieur Chovanec fera un arrêt cardiaque « . La partie civile objecte qu’il avait déjà arrêté de bouger avant cet instant. Elle privilégie la thèse de la pression exercée sur le dos de Jozef Chovanec par un policier pendant seize minutes, puis par un autre pendant trois minutes. Cette pression l’a-t-elle empêché de respirer ? Y a-t-il une cause unique ou partagée ? Les conclusions très attendues des experts seront cruciales.

Les rouages méconnus de la justice

La mort de Jozef Chovanec oblige le duopole justice-police à faire son introspection.

Petit rappel institutionnel : les parquetiers et les juges d’instruction, tous magistrats de l’ordre judiciaire, appartiennent à deux  » espèces  » différentes. Le parquet recherche les infractions avec la police et dirige des enquêtes au stade dit de l’information. C’est le moteur de l’action publique. Il représente les intérêts de la société définis au travers d’une politique criminelle et dépend hiérarchiquement du ministre de la Justice, même si, dans l’exercice de ses fonctions, son indépendance a été consacrée par la Constitution. Le juge d’instruction est désigné par mandat au sein du corps des magistrats du siège qui forment le vrai pouvoir judiciaire, à côté du législatif et de l’exécutif. Le juge d’instruction est indépendant, mais il ne mène une enquête (instruction) avec la police (ou le comité P dans l’affaire Chovanec) que si le parquet ou une partie civile le saisissent. Le parquet peut aussi le requérir dans le cadre d’une  » mini-instruction « , où des actes intrusifs sont nécessaires (perquisition, écoutes, autopsie, etc.). Dans ce cas, le juge d’instruction peut décider de s’autosaisir, c’est-à-dire de prendre l’affaire. Dans tous les cas, le parquet est tenu informé de la progression des investigations du magistrat instructeur.

Les enquêtes qui concernent les policiers sont particulièrement délicates, car ces derniers constituent un corps puissant, bien organisé et défendu par des organisations syndicales au taquet. Professionnellement, la magistrature dépend du travail des policiers qui prennent la forme de procès-verbaux, base de toute procédure judiciaire. Y a-t-il, de ce fait, un manque de vigilance à l’égard d’éventuelles bavures policières ? La vie n’est pas facile, ni pour les policiers confrontés en première ligne à toutes les misères du monde, ni pour les justiciables qui n’ont pas les moyens de se payer un bon avocat face à des pénalistes aguerris, lorsque que des fonctionnaires de police sont soupçonnés d’avoir fait un usage disproportionné de la force. Dans l’affaire Chovanec, il est impossible de se contenter d’un classement sans suite ou d’un non-lieu.

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