Pensions, fiscalité,…: les contreparties belges au plan de relance européen que tous semblent ignorer
Le volet belge du plan de relance prévoit des investissements publics pour 5,9 milliards. Une révolution, après des années d’austérité budgétaire. Mais, en échange de ces milliards, l’Union européenne exige de la Belgique des réformes des pensions, du marché du travail et de la fiscalité. On ne se refait pas…
Il y a de la peinture, des rails et des boulons, dans ce plan de relance, mais il n’y a pas que ça. Il y a une vis sans fin aussi. Dans les 717 pages du Plan de reprise et de résilience (PRR), envoyé par la Belgique fin avril à la Commission européenne, que la présidente Ursula von der Leyen a, le 23 juin, évalué positivement, et que le Conseil européen, dans les semaines qui viennent, devrait accepter, on compte 87 projets d’investissement dont tout le monde parle, et 34 projets de réforme, que tout le monde semble ignorer.
Les premiers sont décrits au poil de pinceau près – la fiche sur l’extension du métro de Charleroi jusqu’à Châtelet prévoit « le recouvrement de trois couches de peinture » de certains ouvrages en béton. C’est pour eux que l’Union européenne s’endette à travers sa Facilité de reprise et de résilience (FRR), ce sont eux que financera l’argent européen, et ce sont eux qui s’installeront le plus visiblement dans le paysage, de la mer du Nord, d’où le PRR fera émerger un « îlot énergétique offshore » à la pointe sud de la Wallonie, où une attention toute particulière sera donnée à la ligne ferroviaire vers Luxembourg. Leur financement par l’investissement public européen et leur réalisation par différents stratèges étatiques, fédéral, régionaux et communautaires, laissent penser que l’Europe, à l’occasion de la crise sanitaire, a tourné la page douloureuse de ses décennies d’austérité.
Les réformes promises à l’Europe dans le plan de relance sont copiées-collées de l’accord du gouvernement De Croo.
Les seconds, les projets de réformes structurelles, en revanche, sont beaucoup moins évoqués. Il y a pourtant plus que quelques couches de vernis climatique, numérique, mobile, social et économique, comme l’annoncent cinq des six axes du PRR, dans ces 34 réformes à mettre en oeuvre sous peine de risquer de perdre les subsides européens.
Le sixième des axes, d’ailleurs, ne compte pas d’investissement, il ne compte que les sous. Son intitulé, « Finances publiques », ne trompe pas: il porte des méthodes budgétaires qui doivent, stipule le PRR, « améliorer la composition de nos dépenses publiques. En offrant une meilleure compréhension de la manière dont les ressources publiques sont et devraient être dépensées, les revues des dépenses prévues dans l’unique composante de cet axe aideront les gouvernements à améliorer la composition d’une partie de leurs dépenses, en les ciblant, par exemple, vers des postes favorables à la croissance ou vers des postes qui favorisent la durabilité à long terme, y compris de l’environnement. Améliorer le contrôle des dépenses permet de libérer des ressources pour de nouvelles politiques ou pour aider à l’assainissement budgétaire, notamment dans les contextes où la marge de manoeuvre budgétaire est limitée, et de garantir la résilience de notre pays sur le plan budgétaire. » Bref, même si les critères de Maastricht et le Pacte de stabilité ont été mis en veille, dès mars 2020, dès que la « clause dérogatoire générale » a été activée par les institutions bruxelloises, le corona n’a pas dissous le droit européen dans un calicot de la FGTB.
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Réviser les dépenses de la sécurité sociale
Les fiches « revue des dépenses » qui composent l’axe « Finances publiques » du PRR rappellent en effet des constats et des objectifs chiffrés. « Le projet de plan budgétaire 2021 prévoit que le ratio de la dette publique au PIB augmentera sensiblement pour atteindre 116,5% à la fin de 2020 et qu’il diminuera à 114,4% en 2021 », peut-on y lire. Ceux-ci n’invitent donc pas au relâchement le plus absolu. Les mesures de « revue des dépenses », appelées à « devenir des éléments pérennes du cycle budgétaire annuel », sont censées contribuer à limiter les dépenses superflues par des analyses, ligne par ligne et colonne par colonne, des montants d’argent public engagés chaque année.
Cette fiche fédérale qui projette des « expériences pilotes » abreuvées de l’assistance technique de spécialistes de l’OCDE a déjà connu quelques effets: les groupes de travail ont déjà été installés au début de cette année, et les fonctionnaires qui s’y attellent remettront leur rapport cet été, dans le cadre des travaux pour le budget 2022. L’exercice suivant sera lui aussi aiguillonné par ces expériences-pilotes, et, « à cette date, le processus deviendrait récurrent et ferait partie intégrante de la procédure budgétaire. »
Le périmètre de ces expériences ne se limite pas au budget de l’Etat fédéral: celui de la sécurité sociale n’échappera pas à cet examen scrupuleux des dépenses. Il y a quelques années, sous le gouvernement Michel, l’opposition, particulièrement socialiste et écologiste, se déchaînait à chaque évocation de possibles économies dans le budget de la sécu. Or ici, un exécutif à participation écologiste et socialiste, censé rompre avec l’austérité budgétaire et marquer « le retour du coeur », s’engage à une « revue des dépenses » de sécurité sociale qui aiderait à « réorienter » la dépense publique vers des investissements plus productifs. Secrétaire d’Etat à la Relance, le socialiste Thomas Dermine infirme l’hypothèse austéritaire. « C’est un raisonnement fallacieux, (lire page 15) un argumentaire qu’on entend souvent à droite, mais qui est faux. Bien sûr, nous pensons que le Plan de relance permettra de limiter certaines dépenses publiques. Mais pas par l’austérité. C’est même précisément le contraire: les dépenses publiques vont augmenter à court terme, et, à moyen terme, en augmentant les investissements publics, nous ferons baisser les dépenses, y compris en matière de sécurité sociale, puisque nous créerons davantage d’emplois durables, et les fins de carrière seront plus douces, par exemple », déclare-t-il.
Pensions, marché du travail et fiscalité
Les réformes des pensions et du marché du travail, comme celle de la fiscalité, figurent en effet également parmi les fiches remises à la Commission européenne. Celles-ci affichent des ambitions souvent entendues dans le monde d’avant l’entrée dans le monde d’après: respectivement assurer la « viabilité budgétaire du système de pension, notamment en limitant les possibilités de sortie précoce du marché du travail » pour la première, « d’investir dans la formation, mais aussi d’activer largement les chômeurs et les personnes qui ne participent pas au marché du travail » pour la deuxième, et de réduire les « charges sur le travail » pour la troisième.
La réforme des pensions, pilotée par la ministre socialiste Karine Lalieux, est en cours de discussion et sera présentée à la rentrée prochaine. C’est le ministre fédéral de l’Economie et du Travail socialiste Pierre-Yves Dermagne tenu d’élaborer, d’ici au second semestre 2023, un dispositif d’incitants sociaux et fiscaux qui devra « rendre le travail plus gratifiant pour ceux qui doivent actuellement malheureusement recourir aux allocations de chômage ou au revenu d’intégration ». Et le ministre CD&V des Finances, Vincent Van Peteghem, est censé, d’ici au dernier trimestre de 2023, mettre en musique une réforme fiscale vouée à notamment « réduire le montant global des impôts et des cotisations de sécurité sociale prélevés sur les revenus du travail ».
La plume et la vis
L’intégration de ces engagements à des réformes structurelles au Plan national pour la reprise et la résilience (PRR) provient d’une autre imbrication, qui vient quant à elle d’une autre incorporation, issue elle-même d’une autre ingurgitation, et ainsi de suite jusqu’à l’infini ou presque. C’est la vis sans fin des réformes structurelles en copier-coller, qui a enfoncé le monde d’avant et qui tourne toujours dans le monde d’après. En effet, le PRR belge a dû intégrer le Programme national de réforme (PNR) pour 2021 de la Belgique. En vertu des traités européens, tout Etat membre doit faire parvenir, chaque année, un PNR à la Commission, que celle-ci évalue à partir des Country specific recommendations (CSR) validées par le Conseil et envoyées tous les ans dans le cadre du « Semestre européen » à chaque pays. Le compromis sur la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) adopté par le Conseil européen, le 21 juillet 2020, coulé ensuite, en février 2021, dans le « Règlement du Parlement européen et du Conseil établissant la Facilité pour la reprise et la résilience » pose en effet que le respect des recommandations des CSR et des engagements des PNR soit un critère décisif de l’acceptation de chaque PRR.
Mais le fichage du PNR belge et des CSR européennes dans le PRR belge via la FRR européenne n’a pas constitué un effort sur- humain pour le secrétaire d’Etat à la Relance: le premier tour de vis avait déjà été bouclé à la fin de l’été 2020, au Palais d’Egmont, où Thomas Dermine, alors directeur de l’Institut Emile Vandervelde, participait à la rédaction de l’accord du gouvernement De Croo (AGDC). Si bien que d’intégration de sigles en incorporation d’abréviations et de digestion de recommandations en imbrication de programmations, les réformes structurelles promises par le fédéral à l’Europe ne sont, en réalité, que des copier-coller de paragraphes entiers de son accord de gouvernement effectués, clic gauche, sélection du texte à copier, par le chef de la délégation socialiste au Palais d’Egmont, puis, clic droit, choix de l’endroit où coller, par le politique chargé de expédier les fiches au rond-point Schuman.
« Les recommandations et les demandes de réformes que fait la Commission européenne se basent sur les recommandations spécifiques dans le cadre du Semestre européen. Je peux vous jurer, en tout cas au niveau fédéral pour avoir contribué à la rédaction de l’accord de gouvernement, que s’il y a bien un document qu’on a en permanence à côté de soi quand on rédige un accord de gouvernement, ce sont les Country Specific Recommendations de la Commission européenne. Ce n’est donc pas par hasard que, dans l’accord de gouvernement, on s’engage sur une réforme des pensions en début de législature, qu’on s’engage sur certains éléments de réforme fiscale, notamment sur certains aspects de la fiscalité verte, parce qu’on sait que ce sont des points sur lesquels nous sommes attendus par la Commission européenne », disait récemment, à la Chambre, Thomas Dermine, dont la plume aura ainsi servi à serrer quelques vis.
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