Cinq pistes pour penser la relance de la Belgique autrement
A trois mois de la remise de son plan de relance, la Belgique pourrait utilement s’inspirer des travaux d’une douzaine de chercheurs prêts à donner un coup de fouet à l’économie du pays. En pariant sur la résilience et la justice sociale.
On ne peut pas plaire à tout le monde. Même un plan de relance à 5,9 milliards d’euros ne peut satisfaire chacun. Mais l’occasion est historique: ce n’est pas tous les jours que la Belgique disposera d’un tel pactole, tombé des cieux européens. Certes, le pays est lessivé par la crise sanitaire et ses conséquences socio- économiques. Il s’agit donc de lui administrer un traitement de choc pour qu’il retrouve des couleurs. Mais il faut impérativement voir plus loin.
L’Europe, à l’origine de cette jolie dringuelle, l’exige d’ailleurs: pour que les plans de relance proposés par les Etats soient avalisés, il faut que 37% des dépenses envisagées pour les projets retenus aient pour cibles des objectifs environnementaux, notamment la neutralité carbone d’ici à 2050. Quelque 20% des fonds devront servir à financer la digitalisation de l’économie. Le troisième bloc devra porter sur des projets de recherche et d’inclusion sociale. « Cet argent, on peut l’utiliser plus ou moins bien, analyse Olivier De Schutter, professeur à l’UCLouvain et rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté. Il faut placer la barre haut pour que les choix ne soient pas de court terme et préparent effectivement l’avenir. Jusqu’à présent, on a tout sacrifié à l’efficience au détriment de la résilience. »
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Face à une crise d’ampleur, comme celle du coronavirus, ce modèle ne résiste pas. Or, sans aucun doute, d’autres chocs surviendront, même si l’on ignore quand et lesquels: des inondations catastrophiques? Des afflux de migrants en raison du réchauffement climatique? Une nouvelle crise financière? Une raréfaction du lithium, si nécessaire à la fabrication des batteries électriques? Nul ne le sait.
Il s’agit néanmoins de s’y apprêter, ce qui impose de régler rapidement les problèmes structurels que connaît la Belgique, notamment en matière de mobilité, de productivité et de durabilité. « La crise du coronavirus est le moment idéal pour agir aussi au niveau du climat et mieux nous préparer à la prochaine pandémie », confirme Thomas Dermine, secrétaire d’Etat en charge de la Relance et des Investissements stratégiques, interviewé dans Knack. Chaque projet proposé dans le plan de relance sera d’ailleurs évalué à l’aune de sa contribution aux dix-sept objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies qui visent à la fois à préserver la planète et à assurer davantage de prospérité pour tous.
25 pages de recommandations
D’ici au 30 avril, donc, la Belgique devra déposer sur la table de la Commission européenne son plan « pour la reprise et la résilience ». Or, en octobre dernier, à la demande de l’Institut fédéral de développement durable (IFDD) et de sa ministre de tutelle d’alors, Marie-Christine Marghem, une douzaine d’économistes, sociologues, fiscalistes, juristes, spécialistes du développement durable ou de la pauvreté, ainsi que des consultants de Ecores et PricewaterhouseCoopers, ont formulé une série de recommandations susceptibles d’alimenter la réflexion des gouvernements. « Nous formions une équipe assez hétéroclite, relève Marek Hudon, professeur d’économie à la Solvay Brussels school of economics and management de l’ULB et co-coordonnateur de ce travail. Nous n’avons roulé pour aucune tendance politique. »
Quels seraient donc les choix les plus judicieux à poser en matière de résilience de l’économie, de gouvernance, de soutien aux plus vulnérables et de réduction des inégalités, tous ces leviers qui permettraient à la Belgique de se rapprocher de ses objectifs de développement durable? « La crise provoquée par la pandémie met en lumière les failles et les vulnérabilités de nos sociétés, résument les auteurs de l’étude pour une Belgique plus durable, plus inclusive et résiliente à construire après la crise de la Covid-19: la dépendance de certaines chaînes d’approvisionnement dans l’économie mondialisée, la résistance de nos systèmes de santé et de sécurité sociale, la fragilité de certaines activités économiques, les inégalités croissantes, etc. »
Un moment clé
Pour formuler leurs suggestions, les chercheurs et experts mandatés par l’IFDD ont choisi de combiner une réflexion économique avec une dimension sociale, en lien avec la question environnementale. « La sortie de crise constitue un moment charnière pour changer les habitudes et les comportements, insiste Marek Hudon. Il faut en profiter. »
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Pour élaborer leurs 25 pages de recommandations, les chercheurs se sont appuyés à la fois sur les nombreux témoignages récoltés sur le terrain social, sur la littérature universitaire et sur les pratiques inspirantes en vigueur en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. On y évoque la sélectivité des aides financières aux entreprises en fonction de leur impact sur le budget commun et la taxation des transferts vers les paradis fiscaux, la modification de la fiscalité liée à la digitalisation mais aussi la mise au point d’un mode de fonctionnement et d’alignement des communications officielles en périodes de crise. Mais les experts suggèrent également, par exemple, de préparer des scénarios d’anticipation et de gestion des futures crises potentielles à très court terme (psychologique, économique) et à moyen et long terme (hydrique, énergétique, climatique), d’augmenter le nombre des soins mentaux remboursés, principalement pour le personnel en première ligne en cas de choc: personnel médical, policiers, commerçants alimentaires, etc.
Enfin, le rapport insiste pour que se développent des politiques de lutte contre les inégalités, avec une attention particulière pour les « oubliés » de la crise que sont les sans-abri, les migrants, les handicapés, les prisonniers ou les victimes de violences conjugales. L’idée de lancer un test de résilience pour les entreprises, de manière à vérifier leurs capacités à endurer un choc de n’importe quelle nature y figure également.
Le prix du court terme
Les recommandations sont donc multidirectionnelles. « Il y a un enjeu culturel à ce rapport, analyse Zakia Khattabi, ministre fédérale du Climat: nous devons prendre conscience que nos fragilités sont systémiques et ne doivent pas être considérées isolément, en silos. » Le Vif a épinglé cinq de ces propositions, développées dans les pages suivantes. Le fruit des réflexions de ces chercheurs, disponible sur le Net, a été envoyé à tous les partis et directions des services d’études.
« La Belgique est peu préparée aux chocs à venir, affirme Marek Hudon, notamment si on la compare aux Pays-Bas. Or, c’est une faiblesse de ne pas penser en amont. Et avec le plan de reprise actuellement sur la table, on est très peu dans la logique de résilience. Il y a un vrai risque de saupoudrage alors qu’il faudrait une vue transversale et une boussole de la transition juste. Les gouvernants sous-estiment l’investissement nécessaire pour faire face à une crise de santé mentale et, parallèlement, à une crise économique. Lorsque la pression diminuera, de nombreux citoyens tomberont. On ira alors vers une crise majeure au niveau des organisations. Penser uniquement à court terme se paiera d’autant plus cher. »
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