Sarah Heylen, architecte d'intérieur, s'est laissée entraîner dans la propagande anti-vax et la pensée conspirationniste © ANNELEEN VAN KUYCK

Monologue d’une ancienne adepte des théories du complot: « J’ai honte d’avoir été si naïve »

Sarah Heylen, architecte d’intérieur, s’est laissée entraîner dans la propagande anti-vax et la pensée conspirationniste. Comment se retrouve-t-on happé par les théories du complot et – plus important encore – comment en sortir ? « Les coronasceptiques disent beaucoup de choses qui semblent plausibles. Puis vous gobez le reste. »

PARTIE 1 : Des maux chroniques

J’ai des problèmes intestinaux depuis aussi longtemps que je me souvienne. J’ai eu des migraines à sept ans et un oedème lymphatique chronique à seize ans. Mes grossesses ont été accompagnées d’infections. Bref, je souffre de façon chronique de plusieurs maux physiques. A chaque fois les médecins donnaient un nom aux symptômes, prescrivaient une pilule et c’était tout. Pas un seul ne m’a demandé : « Que mangez-vous ? Y a-t-il un lien entre toutes ces choses? »

Il se trouve que je suis du genre tout ou rien et me lance dans tout à corps perdu. En tant qu’architecte d’intérieur, je travaille dans un magasin de rideaux. En 2016, mon patron m’a demandé de diriger une nouvelle branche. C’était un rêve devenu réalité et me suis jetée à corps perdu dans mon travail en oubliant au passage de bien manger. Parfois, je passais une journée avec un paquet de spéculoos. Cet excès de sucre a aggravé mes symptômes.

Dans une tentative désespérée, j’ai cherché des solutions sur Facebook. J’ai vu des conseils nutritionnels qui listaient tous mes symptômes. Je me suis dit : « quoi, tout cela pourrait-il être lié » ? Finalement, je suis tombée sur le guérisseur américain Anthony William, plus connu sous le nom de Medical Medium. J’en étais sûre : c’était là la solution à mes problèmes. En ligne, j’ai trouvé un coach qui habitait à Hawaï. Cela a commencé par un questionnaire de 4 heures qui, enfin, donnait l’impression d’avoir une vue d’ensemble.

William prétend obtenir ses informations d’un « esprit ». Son livre commence d’ailleurs par le récit dont, par l’imposition des mains et à l’âge de quatre ans, il a découvert le cancer du sein de sa grand-mère. Au début, je ne cache pas que j’ai eu du mal avec cela, car je suis trop terre à terre pour y croire. Mais ses informations étaient si intéressantes que j’ai préféré oublier le côté un peu perché.

D’autant plus que mon coach hawaïen avait trouvé la cause de tous mes problèmes : « Vous avez trop de streptocoques, c’est pour ça que vous avez des infections. Votre alimentation nourrit ces streptocoques, qui prolifèrent alors dans tout votre corps. » Ça semblait super logique. La solution du coach pour y remédier s’est avérée être un régime et un tas de suppléments. Cela m’a coûté des centaines d’euros, mais j’ai payé sans broncher.

Je ne pouvais plus consommer de céréales, de sucres raffinés, d’édulcorants artificiels, de produits animaux, de soja, de maïs, d’huile de colza, d’acide citrique ou d’arômes naturels. Ce régime imposé a fonctionné. Mes jambes, malgré l’oedème lymphatique, n’avaient jamais été aussi fines. Les migraines, les infections et les troubles intestinaux avaient disparu.

Toute ma vie, les médecins conventionnels m’avaient envoyé promener en me disant que c’était « dans ma tête » ou « héréditaire et que je devais apprendre à vivre avec ». Or, après à peine quelques mois, je découvre qu’en changeant mon régime alimentaire, mes problèmes physiques ont disparu. Ce constat a pulvérisé ma foi en la science. Mes maux disparus, j’ai décidé de repousser encore les limites. Après la naissance de mon quatrième fils, en 2018, je me suis jetée encore plus dans le métier de mes rêves. Je pouvais affronter le monde. Mais ça ne dure pas, n’est-ce pas ?

PARTIE 2 : Période sombre

Je venais de tourner le dos à la science et puis est arrivé le Covid.

Au début de la pandémie, personne ne savait réellement à quelle sauce nous allions être mangés. Personne, sauf les praticiens alternatifs et les thérapeutes holistiques que je suivais sur Instagram et Facebook. Eux me disaient : « C’est n’importe quoi : nous savons comment fonctionne notre système immunitaire. Cela n’a rien à voir avec ça : il s’agit du gouvernement qui veut nous contrôler. Le Covid est juste une grippe sévère qui ne nous affecte pas, nous, les personnes en bonne santé. » Je trouvais cela crédible, car leurs conseils en matière de nutrition m’avaient vraiment aidée.

Sur Instagram, j’ai vu une carte des foyers du Covid, avec une carte des emplacements des mâts 5G posée en travers. Ils coïncidaient, il n’en fallait pas plus pour me convaincre. Aujourd’hui, je pense que ce n’est pas parce que deux cartes se chevauchent qu’il y a un lien de cause à effet. J’avais perdu mes certitudes et j’en cherchais de nouvelles. De plus, un confinement avec quatre enfants n’a certainement pas aidé. J’avais besoin de contrôle. J’en ai trouvé en collectant des informations sur ce soi-disant virus.

En octobre 2020, nous avons organisé un dîner familial. Je dis à mon père, un médecin : « Ils n’ont pas encore isolé l’ADN du coronavirus. »Il me répond : « D’où tu sors ça ? Ce n’est pas vrai du tout. »

Dans ma tête, c’était clair: bien sûr qu’il dit que c’est faux puisqu’il est coincé dans sa vision médicale. Il n’y avait aucun moyen d’argumenter avec moi pendant cette période. Dans un premier temps, ceux que je suivais en ligne m’avaient convaincue que j’étais un esprit critique, puis ils m’ont dit que j’étais la seule à comprendre.

Mes informations proviennent d’une avocate qui a critiqué la politique du Covid sur Facebook. Une avocate, donc une personne sensée qui est capable de découvrir la vérité, ai-je pensé. Elle comptabilisait elle-même ses propres chiffres et les a comparés aux chiffres officiels de Sciensano. Sa conclusion était la suivante : ils nous font marcher. Son argumentaire contenait des demi-vérités et justifiait la critique de la politique menée par le gouvernement.

Par exemple, l’idée que le gouvernement ne se préoccupe pas de notre santé, car sinon il aurait promu une alimentation plus saine ou interdit le tabac. Et effectivement, cette opinion se défend. Les coronasceptiques disent d’ailleurs beaucoup de choses qui semblent plausibles. Du coup vous gobez plus facilement le reste.

Petit à petit, de plus en plus d’absurdités se glissent entre les demi-vérités, comme ce lien entre 5G et le Covid. Les gens que je suivais voyaient des actions planifiées partout. Bill Gates dirigeait, pour ainsi dire, le monde entier depuis un bunker. Je ne l’ai jamais vraiment cru, mais je me suis demandé : peut-on faire confiance à cet homme ? Vous vous écartez rapidement de ce que vous pensiez être raisonnable. On se fait comme aspirer.

Je n’avais guère d’argument, mais j’étais tellement coincée dans ma colère que je me suis enfoncée un peu plus

Sur la base de toutes ces informations, en septembre 2020, j’étais convaincue qu’il n’y avait pas de deuxième vague. Poussée par la colère, j’ai posté ça dans un message sur Facebook. Mon patron – un homme honorable et sensé – a répondu : « Mais quel est le problème ? Nous devons porter un masque buccal, qu’est-ce qu’il y a de si mal à ça ? » Je n’avais guère d’argument, mais j’étais tellement coincée dans ma colère que je me suis enfoncée un peu plus. Selon un « neurologue » cité par l’avocate, les masques buccaux entraîneraient une privation d’oxygène et, à long terme, davantage de démence.

Ma confiance dans le monde médical avait disparu depuis longtemps, mais ma confiance dans les médias va rapidement prendre le même chemin. Les journaux m’énervaient, car ils ne rapportaient que les chiffres officiels de Sciensano. J’ai donc commencé à me tourner encore plus vers les réseaux sociaux. Ma vision du monde rétrécissait de plus en plus.

Je n’ai quand même pas été jusqu’au bout du bout puisque j’ai toujours continué à voir que Trump est Trump et non un sauveur dans la lutte contre un réseau satanique et pédophile issu de l’élite, comme j’ai pu le lire dans les messages de QAnon. Celui qui a partagé ça, je l’ai supprimé. C’était trop tiré par les cheveux.

Tous mes enfants ont reçu des vaccins lorsqu’ils étaient bébés. Je ne m’étais jamais posé de questions à ce sujet, et puis soudain, on est assailli par le doute. J’avoue que j’ai quand même suivi jusqu’à un certain point ce que je considère aujourd’hui comme du blabla antivax. Implanteraient-ils une puce via le vaccin Covid ? À l’époque, j’ai pensé : « Oh là là, ils le feraient ? » Maintenant je pense : non !

Les choses dont je doutais à l’époque semblent totalement absurdes maintenant, mais j’étais très sensible à ces histoires. Ma vision du monde était très noire : putain, j’ai amené quatre enfants dans un monde qui est complètement foutu. Et je me sentais appelée à propager cette idée comme une sorte de prophète. J’ai commencé à en parler tout le temps. C’était irritant pour mon entourage : je pensais tout savoir et les considérais comme des suiveurs sans esprit critique. Eux voulaient que je me taise et ne souhaitaient pas me suivre sur ma « vision ». Rétrospectivement, à juste titre, car je déblatérais des absurdités. En tant qu’adepte des théories du complot, j’étais dans un trou noir.

PARTIE 3 : Enlever les oeillères

Après le licenciement d’un collègue, j’ai commencé à travailler encore plus dur. Un matin, j’ai envoyé les enfants à l’étage pour qu’ils se brossent les dents et se préparent, mais quinze minutes plus tard, ils jouaient encore. J’ai explosé. J’étais complètement hors de contrôle, j’ai crié de façon hystérique et j’ai cassé une assiette. Je n’ai pas pu m’en empêcher.

Ils pleurent, je pleure, on pleure tous dans la voiture. Après avoir déposé les enfants à l’école, j’ai appelé une amie : « Je peux venir pleurer chez toi ? ». Je m’installe sur le canapé et lui dit : « C’est trop, je n’en peux plus ».

Au début, j’ai pensé : un jour de congé et cela ira mieux. Ce jour est devenu une semaine, une semaine est devenue un mois. À la fin, j’ai dû admettre que j’étais épuisée et souffrais d’un grave burn-out.

En thérapie, j’ai appris qu’il faut se reposer de temps en temps. Aussi mentalement. Par un concours de circonstances, j’ai fait ce burn-out – étrange, mais vrai – juste à temps. Sinon, mes idées conspirationnistes auraient encore pu gagner en ampleur et je serais tombée plus profondément dans ce trou. Et cela m’aurait coupée des autres. Ce burn-out m’a sauvée.

J’ai supprimé Facebook de mon téléphone portable, ce qui m’a procuré une énorme tranquillité d’esprit. Sur Instagram, j’ai fait un grand nettoyage : les influenceurs douteux ont été supprimés. Sans cet afflux constant d’angoisse, j’ai retrouvé mon calme. J’ai également commencé à suivre consciemment des comptes positifs.

Je vois maintenant que Medical Medium n’est pas la vérité. Des régimes similaires, fondés sur des données scientifiques, fonctionnent tout aussi bien tout en étant moins extrêmes et sans suppléments coûteux. Car c’est vrai qu’en ajustant mes habitudes alimentaires, tous ces problèmes ont disparu, mais je ne suis plus antiscience.

La réalité est bien plus complexe que l’image que j’avais du monde

De nombreux scientifiques ont une vision d’ensemble et ne prétendent pas tout savoir. Entre-temps, j’ai aussi découvert que la science fonctionne par essai-erreur et non avec la vérité. La plus grande différence entre ma pensée d’alors et celle d’aujourd’hui est qu’elle est moins noire ou blanche. La réalité est bien plus complexe que l’image que j’avais du monde.

Je suis cependant toujours critique à l’égard de Big Pharma. Vous ne pouvez pas nier qu’ils jouent un rôle majeur dans la crise des opiacés aux États-Unis. Certaines sociétés pharmaceutiques ont activement promu les analgésiques aux États-Unis, car il y avait beaucoup d’argent à gagner. Cette histoire est vraie, mais est-ce pour autant que l’ensemble du monde pharmaceutique est pourri ? Non. Je connais plusieurs personnes qui travaillent dans l’industrie pharmaceutique avec les meilleures et très nobles intentions.

Le commerce des compléments alimentaires tenu par les charlatans que j’ai suivis rapporte également beaucoup d’argent. Tout comme dans les grandes entreprises pharmaceutiques, il existe dans ce domaine aussi des personnes qui tirent profit des gens.

Je reste surtout déçue par le big tech. Leurs algorithmes m’ont poussée de plus en plus profondément dans les délires. Dans la vie réelle, j’ai eu la chance d’être entourée de personnes compétentes et instruites. Sans ces voix discordantes, j’aurais sombré plus profondément et je ne m’en serais peut-être jamais sortie.

En réalité, je n’avais pas d’esprit critique. Au contraire même et c’est ça l’ironie de la chose. J’étais le mouton, le suiveur. Je n’étais pas « réveillée », mais plongée dans le cauchemar d’une réalité parallèle. D’une certaine manière, j’ai honte d’avoir été si naïve. Comment ai-je pu être assez stupide pour tomber dans le panneau ?

The Social Dilemma (un documentaire sur les effets néfastes des grandes technologies) m’a ouvert les yeux. « Faire ses propres recherches », c’est des conneries. Vous avez l’idée que vous recherchez vous-même les informations. Ce n’est pas vrai. Les informations vous parviennent via les algorithmes. Vous ne trouvez que des choses qui confirment votre opinion.

Fin décembre, j’ai eu ma troisième injection. Entre-temps, mes enfants ont également été vaccinés. Aux États-Unis, sept millions d’enfants ont déjà été vaccinés. Tout le monde a les yeux braqués sur le Covid. Si quelque chose avait vraiment mal tourné, nous l’aurions su. Il n’y a pas de conspiration au monde assez grande pour garder une telle chose secrète.

LES EXPERTS RÉAGISSENT : « NE DISCUTONS PAS DES FAITS ».

Knack a présenté le témoignage de Sarah aux experts Nathalie Van Raemdonck (VUB), Sander Van de Cruys (UAntwerpen) et Michael Bang Petersen (Université d’Aarhus) et leur a demandé comment traiter au mieux la pensée conspirationniste.

PARTIE 1

Nathalie Van Raemdonck
Nathalie Van Raemdonck© DR

Le fait que Sarah n’ait pas été prise au sérieux par certains médecins est un élément que Nathalie Van Raemdonck (VUB), experte en cybersécurité, juge important : « Ce traumatisme a semé la méfiance. Elle a eu un réflexe de méfiance : « Je n’ai pas confiance ». Cette attitude est saine en soi, mais elle peut aussi devenir trop forte, de sorte que l’on commence à tout mettre dans le même sac ». Le chercheur et psychologue Sander Van de Cruys (UAntwerpen) considère la découverte de Medical Medium par Sarah comme un moment important de son parcours : « Un tel moment « eureka », est une chose que connaissent aussi les scientifiques, c’est pour eux un point de départ pour examiner systématiquement les liens. Alors que pour Sarah, ce sentiment était une sorte de point final : enfin la reconnaissance. Pour les adeptes de la théorie du complot, un tel moment de réflexion est l’étape cruciale vers la radicalisation. L’histoire de Sarah montre clairement que les adeptes de la théorie du complot ne sont pas des adeptes passifs et crédules, comme on le pense souvent. Ils font activement leurs propres recherches. »

PARTIE 2

Le fait que davantage de personnes soient sensibles à la pensée conspirationniste pendant la crise du Covid n’est pas surprenant, estime Nathalie Van Raemdonck : « Une crise crée de l’incertitude : combien de temps va-t-elle durer, comment en sortir ? Les gens veulent un contrôle et cherchent une « cause plus grande » pour les souffrances de la crise. C’est plus facile à accepter. Une théorie du complot fournit généralement un ennemi extérieur. Il est plus facile d’être en colère contre l’élite dirigeante, par exemple, que de vivre dans l’ignorance ». Le psychologue Van de Cruys est d’accord : « Il existe, étonnamment, de nombreux parallèles entre la science et la théorie du complot.

Michael Bang Petersen
Michael Bang Petersen© DR

De nombreuses théories du complot reposent sur trois principes de base : rien n’est ce qu’il semble être, rien n’arrive par hasard et tout est lié. Dans un certain sens, les scientifiques en sont également convaincus. Ils recherchent également des liens de causalité sous-jacents et tentent de les intégrer dans une théorie globale. Cependant, les méthodes du scientifique et du théoricien de la conspiration sont très différentes. L’un expérimente pour ajuster les hypothèses, l’autre commence à croire aux fables. Les « preuves » manipulées de ces fables peuvent être trouvées en ligne. Van Raemdonck : « Vous pouvez donc vraiment vous retrouver dans un monde parallèle. Un monde rempli de désinformation qui, sans une formation universitaire en virologie, par exemple, est presque impossible à réfuter. Pourtant, la désinformation en ligne est relativement peu répandue, selon le politologue Michael Bang Petersen, qui étudie le phénomène à l’université d’Aarhus : « Depuis la pandémie, les instigateurs de la désinformation se sont naturellement concentrés sur le Covid. Mais il n’y en a pas plus. Elle est limitée et concentrée sur un petit nombre de comptes. La plupart des gens voient surtout des sources fiables. Une étude danoise montre que plus de la moitié des utilisateurs de Twitter partagent des fake news pour s’en moquer. Ils savent que c’est un non-sens. »

Certains sont quand même parvenus à faire douter Sarah. Après avoir perdu sa foi en la science médicale, elle a progressivement commencé à douter des médias grand public et même à se méfier de son propre père. Comment une telle chose a-t-elle pu se produire ? Van Raemdonck : « Lorsqu’un article de journal ou son père la confronte à des preuves qui montrent que sa théorie n’est pas tout à fait correcte, elle a deux options : soit elle accepte ces faits et dit « OK, ma théorie est (partiellement) fausse », soit elle doit donner plus d’ampleur au complot : « Mon père essaie aussi de cacher quelque chose ». Une fois qu’elle est dans ce trou noir, elle croit que les journalistes et son propre père font partie de cette puissante élite et qu’ils couvrent un plus grand secret. C’est ainsi qu’une saine méfiance à l’égard du gouvernement, des médias ou de Big Pharma se transforme en une vision étroite. Si vous vous méfiez même de vos amis et de votre famille, la solitude vous guette. En ligne ou dans les manifestations, vous rencontrez des gens qui partagent votre vision étroite du monde. Alors ça ne semble plus si effrayant. Soudain, vous avez un groupe de 10 000 personnes qui croient la même chose. Heureusement, Sarah ne s’est jamais retrouvée dans ces groupes sur Facebook, Telegram ou MeWe.

PARTIE 3

Selon le psychologue Van de Cruys, les qualités cognitives de Sarah n’ont pas changé durant tout le processus : « Ce qui a changé, c’est sa situation. Dans cette course du quotidien, elle a ressenti beaucoup d’insécurité, mais elle n’a pas réussi à trouver un bon moyen de la gérer. Son épuisement a ouvert la porte à l’incertitude. Sa curiosité l’y a poussée, mais l’a aussi aidée. Elle a délibérément choisi le documentaire The Social Dilemma, qui l’a fait réfléchir. Elle a également pris des mesures en réduisant sa consommation de médias sociaux et en cherchant d’autres sources. Les adeptes de la théorie du complot ne sont pas plus stupides. Même dans mon milieu, il y a des gens intelligents, comme Sarah, qui finissent là-dedans. »

Sander Van de Cruys
Sander Van de Cruys© DR

Les trois experts soulignent que les décisions de chacun déterminent à la fois le processus d’entrée et de sortie de ce trou noir : « La déradicalisation en tant que processus extérieur n’existe pas vraiment », déclare Van Raemdonck. On ne peut pas forcer les gens. Sarah voulait en sortir et elle a pris ses propres mesures. En outre, son contexte social ne cessait de lui offrir d’autres perspectives. S’ils avaient également été bloqués dans la pensée conspirationniste, cela aurait été beaucoup plus difficile ».

Par le biais de questions, vous pouvez remettre en cause la « méthode de recherche » d’un conspirationniste », ajoute M. Van de Cruys. N’entrez pas dans une discussion avec un théoricien de la conspiration sur le contenu. Un exposé des faits ne sert à rien et crée davantage de conflits. Vous devez écouter ses convictions sans porter de jugement. Vous pourrez ensuite explorer ensemble l’origine de ces informations. Ou vous pouvez simplement demander : où et comment avez-vous trouvé cela ? Vous travaillez de manière socratique.

L’analyse de Sarah est-elle correcte, à savoir que les algorithmes l’ont radicalisée ? Van Raemdonck : « C’est son sentiment sincère, mais les algorithmes lui ont seulement montré un chemin qu’elle ne connaissait pas autrement. Elle a choisi cette voie ». Petersen est d’accord : « Les gens choisissent de rechercher certaines résonnances chez d’autres. Supposons qu’il y a trente ans, vous ayez eu une théorie du complot, vous seriez probablement le seul dans votre entourage. Vous ne seriez pas en mesure de vous unir. Mais les médias sociaux permettent de former des groupes. Le problème n’est pas tant un piège des algorithmes, mais plutôt la structure que les médias sociaux fournissent aux groupes marginalisés pour se retrouver. C’est là que vous ne rencontrez plus les opinions dominantes ».

Enfin, la pensée conspirationniste est-elle une maladie contemporaine ? Non, répond fermement Petersen, mais c’est le symptôme d’une maladie bien plus grave de la société. Le grand défi n’est pas les fake news ou QAnon, mais le fait que d’importants groupes minoritaires se sentent marginalisés. La vraie maladie est qu’ils se méfient du gouvernement et du système. Van de Cruys insiste lui aussi sur ce point : « Nous avons tendance à marginaliser certaines histoires ou expériences. Ce n’est pas parce qu’un mal inconnu ou un certain mode de vie ne s’inscrit pas dans notre système médical ou capitaliste que nous ne devons pas le prendre au sérieux. Lorsque les gens se sentent émotionnellement méprisés, ils sont plus sensibles aux croyances conspirationnistes. Pour Sarah, cela aurait pu faire la différence si un médecin avait regardé la situation dans son ensemble. Le sentiment de ne pas être entendu peut pousser les gens dans les bras des théoriciens de la conspiration.

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