Antivax, hésitants: les racines d’un mouvement à contre-courant
Ils craignent le vaccin comme la peste ou le refusent par principe ou par conviction. Leurs motivations sont multiples, pas forcément rationnelles, ni totalement contestables. Témoignages de frondeurs, et décryptage.
Le contexte
Malgré les invitations répétées de la part des autorités, malgré l’introduction du Covid safe ticket à Bruxelles et sans doute bientôt en Wallonie, subsiste une poignée d’irréductibles: 27% des Belges ne sont pas vaccinés contre le coronavirus. Qui sont-ils, quelles sont leurs motivations? Loin de faire l’apologie des théories antivax, Le Vif décrypte les raisons qui poussent un quart de la population à refuser l’aiguille.
C’est oui, c’est non, c’est jamais, c’est peut-être, c’est plus tard… Alors que la généralisation du Covid safe ticket (CST) est imminente à Bruxelles et en Wallonie, ils sont encore des centaines de milliers à se tâter ou à refuser catégoriquement de recevoir l’injection. Bars, restaurants, clubs de sport, boîtes de nuit, salles de spectacle, foires commerciales: les clients qui ne seront pas en mesure de montrer patte blanche se feront tout bonnement refouler à l’entrée de ces établissements ou événements.
Mine de rien, ça va en faire du monde sur le banc de touche. A Bruxelles, 45% de la population globale (30% des plus de 18 ans) n’a pas encore reçu de première dose. Avec une cadence moyenne de dix mille injections par semaine, alors que l’objectif fixé est de seize mille, on sent bien que le spectre du pass sanitaire ne provoque pas de ruée vers les centres de vaccination fixes ou décentralisés. Davantage convaincus que les Bruxellois, sept Wallons et huit Flamands sur dix ont reçu au moins une dose. Evidemment, rien n’est joué et il n’est pas impossible que la courbe s’élève une fois le CST étendu aux secteurs concernés. Mais dans les rangs des chercheurs et des professionnels de la santé qui observent les comportements des citoyens face à la crise, on s’interroge: qu’est-ce qui alimente cette méfiance? Inégalités sociales, prudence, anxiété, motifs politiques ou religieux: la réponse est complexe.
Notre premier réflexe est d’envisager les choses de façon binaire: les pros et les antivaccins. La réalité est plus nuancée.
Membre du Service universitaire de promotion de la santé (Reso) de l’UCLouvain, Hélène Lambert donne un début de réponse. Dans un rapport sur l’hésitation vaccinale cosigné par d’autres chercheuses, elle confirme un sentiment négatif à l’égard des vaccins alimenté par la fatigue pandémique, l’accroissement des inégalités sociales, les critiques au sujet de la gestion de crise, les informations erronées ou encore les rumeurs de conspirations circulant dans les médias. « De plus, comme l’efficacité des vaccins contre la Covid-19 pour limiter la transmission du virus n’est pas assurée à ce jour, la stratégie de vaccination doit s’accompagner d’une sensibilisation sur le maintien des gestes barrières, ce qui pourrait sembler contradictoire pour la population », écrivent également les chercheuses.
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L’effet gilets jaunes
Ce sentiment négatif serait plus marqué chez certains profils, comme l’affirment une autre chercheuse de l’université de Maastricht, Roselinde Kessels, et son équipe: globalement, les attitudes et perceptions négatives liées à la vaccination se retrouvent souvent chez des personnes issues de milieux socio-économiques défavorisés ou de minorités ethniques et religieuses, plus particulièrement chez les femmes de moins de 55 ans qui présentent un niveau d’éducation faible et qui s’occupent d’enfants à la maison. La plupart d’entre elles ne sont pas à risque sur le plan médical et n’ont pas connu dans leur entourage de personnes ayant été hospitalisées à cause de la Covid.
L’équipe a également démontré que l’intention de se faire vacciner dépend principalement de l’âge de la personne, de son opinion sur la manière dont son gouvernement a géré la crise, du risque médical encouru, de la langue qu’elle parle et, dans une moindre mesure, de son sexe. On aurait donc toute une série de caractéristiques qui, seules ou combinées avec le vécu de chacun, façonneraient l’opinion des antivax.
Mais c’est quoi au juste, un antivax? Lorsque nous sommes confrontés à des phénomènes difficilement explicables, notre premier réflexe est souvent de créer des catégories pour mieux appréhender la complexité du réel. Ou d’envisager les choses de façon binaire: les pro et les antivaccins. La réalité est plus nuancée: il y a ceux qui souhaitent attendre encore un peu, ceux qui ont réellement peur des effets secondaires, ceux qui voudraient plus de garanties sur la fiabilité du vaccin, ces derniers étant fréquemment un peu vite assimilés aux complotistes alors qu’ils ne demandent qu’à se laisser convaincre.
On n’est donc pas face à un groupe homogène mais bien à une constellation de profils plus ou moins proches de certains mouvements et qui affichent des motivations différentes ou entremêlées. « Un peu comme c’était le cas avec les gilets jaunes, note Guillaume von der Weid, professeur de philosophie à Sciences Po Lille et spécialiste des questions éthiques dans le secteur médical. On observe une dissonance cognitive, un décalage entre un discours médiatique hyperalarmiste de type « on va tous mourir » et, dans la réalité quotidienne des gens, une absence presque totale de conséquences réelles. Dans le discours des gilets jaunes, on note aussi ce décalage entre une élite sûre d’elle-même et qui détient les ressources, et ces gilets jaunes qui se sentent marginalisés dans un système. Le vaccin est le prisme à travers lequel cette distance sociale s’exprime, alimentée par les auteurs de complots et de récits fantaisistes qui renforcent cette défiance. »
On observe une dissonance cognitive entre un discours médiatique hyperalarmiste et, dans le quotidien des gens, une absence de conséquences réelles.
Interrogations légitimes
Vice-présidente du comité consultatif de bioéthique de Belgique et chercheuse FNRS à l’ULiège, Florence Caeymaex distingue aussi les personnes qui ont une attitude prudentielle des laissés-pour-compte de la société. Les premiers font partie d’un public qui n’est pas opposé à la vaccination en tant que telle mais qui doute. « Il s’agit de gens assez éduqués mais qui émettent des réserves par rapport au suivi effectif de la vaccination. Ils ne remettent pas en cause le discours scientifique mais se demandent si on dispose de suffisamment de données sur les effets secondaires, si un suivi est bien assuré en matière de pharmacovigilance, etc. Les professionnels de la santé ont déjà apporté de nombreuses réponses et certaines polémiques ont été éteintes mais ces personnes estiment qu’on manque encore de preuves. » Ceux qui s’interrogent ont parfois soulevé des arguments pertinents bien avant que ces questions ne soient portées par les experts, comme les risques de myocardites chez les jeunes, souligne la chercheuse.
Quant aux seconds, ils ont déjà un rapport compliqué avec le système des soins de santé. « Ce sont ceux qui ne sont pas vraiment les mieux servis, qui ne se sentent pas écoutés, pris en compte. Ils ne voient pas les structures de soins comme un lieu de confiance ou sécurisé. Avec la Covid, ce système dont ils se méfient est venu vers eux mais avec des injonctions. Aujourd’hui, on est en train d’essayer de les rassurer en menant des campagnes dans les quartiers mais encore faut-il cerner quelles sont leurs réticences. » Pour rétablir la connexion avec ces populations, Florence Caeymaex met en avant la piste des « relais », plusieurs fois évoquée par des professionnels de la santé: « On pourrait s’appuyer sur certains piliers de la communauté. Pas des blouses blanches mais des relais sociaux qui seraient porteurs d’un message d’hygiène. C’est ce que l’on fait dans certains pays africains pour lutter contre Ebola. On pourrait réfléchir à la transposition de ce modèle. »
Le bout du tunnel
Recalibrer une fois de plus la communication autour de la vaccination et du Covid safe ticket ne serait pas inutile, abonde Olivier Luminet, psychologue de la santé à l’UCLouvain et membre du groupe d’experts « Psychologie et corona ». « On a beaucoup insisté sur l’aspect sécurité du pass sanitaire en lien avec l’évolution des chiffres, sur son utilité pour assurer le bon fonctionnement des soins de santé et sur le fait qu’il serait temporaire. Mais si la mesure devient trop large et empêche pratiquement toute activité, les gens risquent de craquer encore plus. »
Pour le psychologue, le gouvernement a commis une erreur en promettant aux citoyens à chaque Codeco qu’on était dans la dernière ligne droite: « Je ne sais pas trop si c’était par calcul politique ou par ignorance. En tout cas, les politiciens savaient pertinemment que ça n’allait pas s’arrêter du jour au lendemain. A force de dire qu’on est presque au bout du tunnel, on fait des déçus. Aujourd’hui, on doit changer de message et communiquer sur le fait qu’on est entrés dans une gestion chronique de l’épidémie. »
Aujourd’hui, on doit changer de message et communiquer sur le fait qu’on est entrés dans une gestion chronique de l’épidémie.
Les convictions religieuses comme frein
L’hésitation serait également très présente parmi ce que les spécialistes de la santé appellent, sans trop oser les nommer, « les minorités ethniques ou religieuses« . Aux Etats-Unis, certains leaders religieux se sont clairement positionnés contre le vaccin. En France aussi, certains mouvements religieux ou spirituels, comme les adeptes de l’anthroposophie, ont exprimé leur méfiance.
En Belgique, le mouvement est plus diffus mais certainement pas inexistant. « Il faut éviter de stigmatiser certains groupes mais on ne peut pas nier non plus que cela existe chez nous, affirme sans ambages Louis-Léon Christians, docteur en droit et en droit canonique, professeur à l’UCLouvain. Il faut aussi distinguer ce qui se dit et ce qui se construit à l’extérieur. Il suffit de regarder la manière dont les premiers arrêtés ministériels ont été écrits au début du confinement. On a établi des restrictions dans les lieux de culte mais pas pour les événements organisés par les groupes non confessionnels. Je ne suis pas dans la théorie du soupçon mais je ne peux m’empêcher de penser que nos dirigeants ont cette image de rassemblements religieux qui se dérouleraient dans la ferveur tandis que les organisations non confessionnelles seraient plus rationnelles. » Une différence de traitement qui aurait fâché nombre de fidèles.
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De là à ce qu’ils se braquent? Difficile à évaluer. Ce qui, par contre, est tout à fait plausible, poursuit Louis-Léon Christians, c’est que chez certains de ces fidèles, les convictions religieuses sont tellement fortes qu’elles sont un véritable frein à la compréhension des informations sur la vaccination. « A la limite, ils sont de bonne foi mais pour eux, les notions scientifiques sont incompatibles avec la religion. » D’autres sont prosaïquement dans une logique de salut: « Dieu nous sauvera. »
On les retrouve, énumère le spécialiste des religions, dans certains groupes évangéliques, rigoristes chrétiens, juifs orthodoxes ou musulmans. « Dès le début de la pandémie, les leaders religieux ont pourtant fait preuve d’une très grande prudence et ont agi en faveur de la science. Au point même de déplaire à certains adeptes qui les ont pris pour des pleutres. D’ailleurs, lorsque ces fidèles récalcitrants se sont adressés au Conseil d’Etat, celui-ci leur a rappelé que c’étaient leurs leaders religieux qui avaient voulu ça. » Autre motif de refus puisé dans la religion: la composition du vaccin, qui serait elle-même problématique. « On a entendu dire que les doses contiendraient des foetus écrasés ou de la gélatine de porc. Le pape lui-même est intervenu pour balayer ces arguments et prendre position en faveur du vaccin », relate encore Louis-Léon Christians.
Décrisper le débat
Aussi surprenant soit-il, le doute est parfois instillé dans l’esprit des patients par les soignants eux-mêmes. Un discours qui circulerait davantage chez les praticiens adeptes de médecine douce. « On ne connaît pas l’ampleur du problème mais à partir du moment où un médecin, généraliste ou pas, dit à ses patients de ne pas se faire vacciner, c’est dévastateur, déplore Paul De Munck, président du Groupement belge des omnipraticiens (GBO). Je crois néanmoins que ça doit rester très marginal car le taux de vaccination chez les médecins eux-mêmes est énorme. »
Ce qui tracasse davantage Paul De Munck, c’est la possibilité que les réticences au vaccin anti-Covid telles qu’elles s’expriment aujourd’hui s’étendent à d’autres programmes de vaccination, contre le tétanos, la coqueluche et la diphtérie, notamment.
C’est très énervant de voir les non-vaccinés dans les hôpitaux mais il faut tenir bon et protéger les valeurs que sont l’égalité et l’accès aux soins de santé.
Comment sortir de l’impasse? Dans les rangs académiques, des voix s’élèvent pour qu’on en finisse avec l’hypocrisie que représente le Covid safe ticket, soit une forme d’obligation vaccinale déguisée. On s’inquiète aussi de la stigmatisation des non-vaccinés et de tensions grandissantes entre les deux groupes. Pour Florence Caeymaex, il est urgent de responsabiliser les citoyens plutôt que de les infantiliser. « On sait que le paternalisme est un réflexe dans notre système de santé. Au lieu de se focaliser sur ceux qui refusent la vaccination, il faut se demander « qu’est-ce que je peux faire, moi? Quelles réponses je peux apporter? »
Et surtout décrisper le débat. C’est très énervant de voir les personnes non vaccinées dans les hôpitaux mais il faut tenir bon et protéger les valeurs que sont l’égalité et l’accès aux soins de santé. Si on commence à débattre sur le fait qu’ils méritent ou non qu’on les soigne, après on le fera aussi pour les fumeurs, les obèses et ceux qui font du 180 km/h sur l’autoroute. Il faut comprendre que les inégalités de santé ne sont pas liées à la volonté des gens. On doit réfléchir aux conditions défavorables qui créent cette érosion et trouver des solutions pratiques. »
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