Megan Winterfield
« Des dérives autoritaires sont observables dans la lutte contre le coronavirus en Belgique » (carte blanche)
Juriste et psychologue sud-africaine vivant en Belgique, Megan Winterfield déplore « l’assimilation systématique de la critique de la règle à de l’incivisme ou à de l’ignorance ».
Certaines dérives autoritaires sont observables dans la lutte contre le Covid-19 en Belgique. Le mot peut sembler fort, déplacé, absurde, tout juste sorti des élucubrations d’une complotiste, d’une personne sans éducation manipulée, d’une intégriste antivaccins ou d’une militante opposée au gouvernement. Il s’avère pourtant que je ne suis rien de cela et ce simple fait dérange déjà. J’ai plusieurs formations universitaires, aucun a priori sur le gouvernement fédéral ou sur ceux des entités fédérées.
Je suis fière de ma terre d’adoption et parfaitement consciente du bien-être procuré par un système de santé dont peu de pays bénéficient. Mais, ayant grandi et vécu dans deux dictatures (Afrique du Sud et Zimbabwe), je garde un oeil vigilant sur tout ce qui apparaît comme de potentielles dérives affectant l’Etat de droit, quel que soit le degré de maturité démocratique atteint par le pays dans lequel je me trouve.
Or, sereinement, après un examen des faits sur les mois que nous venons de vivre, il apparaît que, oui, nous sommes en présence de certaines – je dis bien certaines – dérives nuisant à des fondements de l’Etat de droit en Belgique.
Je ne prétends nullement que la Belgique est devenue une dictature. Mais il existe une spirale assez préoccupante de faits indiquant que l’Etat belge – à des degrés divers – met à mal activement ou passivement certains fondamentaux démocratiques, dans une série de ses mesures de lutte contre le Covid-19, et que ces coups de canif antidémocratiques sont accompagnés d’un cortège d’éléments propices à renforcer leur acceptation par la population. Sans entrer dans une analyse juridique ou sociologique de ces dérives, on pourrait pointer quelques faits parmi les plus saillants.
Premièrement, il y a le caractère répétitif des entorses juridiques par les autorités : des actes législatifs dont des juristes et magistrats ont dénoncé les failles extrêmement problématiques voire l’illégalité patente, des bourgmestres prenant des arrêtés de police illégaux, des législations bafouant allègrement le droit européen en matière de respect de la vie privée…
Deuxièmement, il y a ce que l’on pourrait appeler l’annihilation du principe de proportionnalité et l’acceptation à la fois institutionnelle et tacite que la fin justifie tous les moyens. Cela a été observé avec cette mesure peu connue du public : l’interdiction faite à des centaines de médecins de pratiquer une série de prestations (mammographie, radiographie notamment) au sein de certains services hospitaliers – sous peine de contrôle Inami -, ce qui a conduit à ce que des examens pourtant cruciaux n’ont pas été effectués. Contrairement à ce qui a pu être répété par les autorités, il y avait tout à fait moyen de procéder à ces examens sans pour autant faire tomber les précautions nécessaires à la lutte contre le virus.
Troisièmement, la place accordée sur la scène publique aux discours d’une série d’experts a pris une dimension qui dépasse le cadre des fondements de leur fonction. La culture du relais médiatique immédiat et sans décryptage de chaque pensée du jour improvisée par tel ou tel expert renforce lentement mais sûrement une tendance au dogmatisme et une absence de débat et d’analyse. Cela est d’autant plus frappant que les gouvernants semblent tantôt s’en accommoder, voire s’en servir comme paravent pour légitimer leur propre actions, tantôt s’en plaindre pour mieux masquer leur responsabilité dans la place démesurée prise par ces experts au sein de l’architecture de l’action publique.
Enfin, quatrièmement, une caractéristique peut- être moins visible parce que ne se matérialisant pas formellement, mais tout aussi présente, est celle de l’assimilation systématique de la critique de la règle à de l’incivisme ou de l’ignorance. Cette tendance est cultivée consciemment et inconsciemment par un discours officiel mêlant constamment paternalisme, argument d’autorité et absence d’autocritique (notamment l’absence de sanction effective des membres du gouvernement qui auraient fauté). Elle vient polariser la population en deux camps : ceux – les « conscients » – qui obéissent et ceux – les « inconscients » – qui questionnent. Car insidieusement, le simple fait de questionner la légitimité de la règle revient dès aujourd’hui à faire de nous soit des inciviques, soit des ignorants. Or, si une démocratie a un besoin fondamental de règles, elle a aussi un besoin fondamental de questionnements, surtout en état de crise.
Au regard de tous ces aspects, il convient d’appeler à un sursaut démocratique général en rappelant que la nécessité et l’urgence d’une action publique pour lutter contre le Covid-19 ne peut en aucun cas être prétexte ni à brader les éléments constitutifs d’une société démocratique, ni à ostraciser la réflexion et le débat de fond face aux méthodes utilisées dans cette lutte ô combien importante contre ce virus.
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