Dans les coulisses de « l’accord » sur la sortie du nucléaire (analyse)
Le fédéral s’est accordé sur la sortie du nucléaire d’ici à 2025. Même si ce n’est pas très clair, parce que le plan A est confirmé sans que le plan B ne soit fermé, la prolongation des réacteurs nucléaires est devenue impraticable.
Neuf pages, huit points, sept réacteurs, une nuit blanche et, pourtant, encore et toujours un peu de fumée. Jeudi 23 décembre, au petit matin, se terminait la réunion du kern, convoqué par Alexander De Croo pour enfin sortir de la sortie du nucléaire. Un conseil des ministres était organisé dans la foulée pour valider le compromis, qui, à 11 heures, était présenté à la presse par des ministres lessivés. Ils avaient négocié toute une nuit, la précédente en avait retenu une bonne partie à la Chambre, qui débattait sur un budget voté le mercredi après une trentaine d’heures de débats. Leurs batteries étaient à plat et les réseaux sociaux leur avaient encore pris plus d’énergie.
Le nucléaire, c’est mort. C’est juste impossible. Ce que le MR a gagné, c’est la possibilité d’encore faire campagne pendant trois mois.
L’ accord sur la sortie du nucléaire à peine annoncé, à 8 h 16 sur Twitter par la ministre de l’Energie Tinne Van der Straeten (Groen) – « enfin des certitudes avec le switch énergétique vers 100% d’énergie renouvelable et la neutralité climatique », écrivait-elle – que le président du Mouvement réformateur Georges-Louis Bouchez lui répondait en effet déjà. « Aucune certitude. Raison pour laquelle le nucléaire reste sur la table avec une étude de l’AFCN pour le 17 janvier prochain. » Il était 8 h 19 et le compromis clair était déjà redevenu flou.
Aucune certitude. Raison pour laquelle le nucléaire reste sur la table avec une étude de l’AFCN pour le 17 janvier prochain.
— Georges-L BOUCHEZ (@GLBouchez) December 23, 2021
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Sortait-on ou ne sortait-on pas, à la fin? C’est presque clair désormais. Mais pas complètement. En effet, les neuf pages si chèrement négociées réaffirment ce que disait déjà l’accord du gouvernement: la Belgique éteindra ses sept réacteurs nucléaires d’ici à 2025. Mais, comme l’accord du gouvernement De Croo le prévoit, ces neuf pages n’excluent pas encore définitivement de devoir maintenir un ou deux réacteurs en activité si la sécurité d’approvisionnement n’est pas absolument garantie.
Ce qui a changé, depuis le rapport remis en novembre 2021, qui garantissait la sécurité d’approvisionnement électrique pour l’hiver 2025-2026 sans nucléaire, c’est que…rien n’a changé: la centrale à gaz de Vilvorde promise par Engie n’avait alors pas obtenu le permis requis de la ministre régionale flamande de l’Environnement, la N-VA Zuhal Demir, et elle ne l’a toujours pas.
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Le plan A, celui d’une sortie complète du nucléaire, s’en trouvant ainsi compromis, Tinne Van der Straeten devait donc se trouver un plan A bis, pour être certaine de ne pas voir se dérouler les accrocs du plan B, celui de la conservation d’un ou deux réacteurs. C’est ainsi que l’accord validé le 23 décembre par le kern prévoit un nouveau rendez-vous, à la mi-mars. Si Engie, qui a réintroduit une demande de permis pour l’usine à gaz de Vilvorde, ne l’a pas reçu à ce moment, le gouvernement en choisira une autre parmi celles que l’enchère de novembre (dite « T-4 2021 ») avait éconduites, et qui, elles, disposeront des permis nécessaires. « Compte tenu du nombre suffisant de projets proposés dans le cadre de la vente aux enchères, il peut être décidé – si aucun permis définitif en dernière instance administrative n’est disponible pour cette centrale avant le 15 mars – de sélectionner une autre capacité parmi les projets non sélectionnés », stipule la notification. Ces termes sûrs contournent à la fois les tentatives d’obstruction gazière de la N-VA depuis le gouvernement flamand et les velléités de résurrection nucléaire du MR depuis l’exécutif fédéral.
D’où vient alors que le président réformateur, dès l’aube du crépuscule du nucléaire, estimât possible que brille encore la flamme de l’atome après 2025? Du fait, assez basique, que le compromis de la nuit l’envisage toujours explicitement. L’accord prévoit en effet d’abord que « si le 18 mars, il apparaît que le rapport d’Elia sur la mise aux enchères T-4 2021 offre une sécurité d’approvisionnement suffisante, toutes les activités du plan B s’arrêteront », mais il précise juste après que « si le 18 mars, il apparaît que le rapport d’Elia sur l’enchère T-4 2021 n’offre pas une sécurité d’approvisionnement suffisante, on doit analyser immédiatement la mise en oeuvre de toutes les options possibles, dont le plan B », soit la prolongation du nucléaire.
Imprimé trop petit
Sous cet explicite apaisant pour le MR, l’implicite, pourtant, fait peu de doute: l’accord, en fait, consolide le plan A, révisé en A bis. Même si le plan B du nucléaire n’est pas fermé, le plan A du gaz est confirmé. « Le nucléaire, c’est mort. C’est juste impossible: l’AFCN redira en janvier ce qu’elle dit depuis des mois, à savoir qu’il n’y a pas d’opérateur industriel pour prolonger le nucléaire, et, en mars, on trouvera assez de capacités de production pour assurer la transition. Ce que le MR a gagné, c’est la possibilité d’encore faire campagne pendant trois mois« , résume un membre de l’exécutif. Campagne, c’est ce que fit, au fond, Sophie Wilmès, pendant ces heures nocturnes où ce qui était prévu a été décidé à peu près comme c’était prévu. Le combat fut mené bravement. Il était, faute d’alliés, perdu d’avance.
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La réunion du kern, programmée à 19 heures se compliqua pourtant déjà lorsqu’on s’engueula sur les Small Modular Reactors (SMR), ces espèces de minicentrales qui pourraient, « d’ici à 2040 », dit l’accord, produire une électricité peu coûteuse et moins polluante que les actuelles. Ecolo s’y était montré ouvert, avant, mais, pendant, Georges Gilkinet voulait qu’on ne s’y montre ouvert que si les SMR n’évacuent absolument aucun déchet ; ça a énervé tout le monde, Alexander De Croo a crié, et il a finalement fait écrire que les SMR devaient servir à une « minimisation des déchets à longue durée de vie ». Ce n’était que le début de la nuit, qui fut scandée de plusieurs interruptions, lorsque Sophie Wilmès demanda à ce que le patron d’Elia s’en aille, puis lorsque les autres réclamèrent qu’il vienne, puis lorsqu’ Alexander De Croo accusa Sophie Wilmès d’avoir envoyé certains des termes de l’accord à des journalistes flamands, que Sophie Wilmès répondit que ce n’était pas elle, qu’elle sortit parce qu’elle était énervée et pour récupérer ses lunettes qu’elle avait oubliées, ce qui l’empêchait de lire toutes les parties de l’accord qui avaient été imprimées trop petit, et qu’elle revint pour qu’ Alexander De Croo lui présente ses excuses parce que ce n’était pas elle qui avait permis la fuite.
L’accord, alors, était validé.
L’aube pointait. Elle annonçait l’extinction définitive des sept réacteurs nucléaires d’ici à 2025. Et encore trois mois de campagne pour faire croire que l’inverse est possible.
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