Covid Safe Ticket: chronique d’un échec cuisant
Il était censé permettre un redémarrage des secteurs en toute sécurité. Mais le Covid « Safe » Ticket n’a pas eu l’effet escompté. D’abord repoussé. Adopté et vanté ensuite, puis requestionné. Il est passé par tous les stades. Aujourd’hui, le retour des restrictions « à l’ancienne » sonne comme un aveu d’impuissance stratégique. Et la confiance du citoyen s’en retrouve encore plus érodée. Chronique d’une débandade.
On l’a d’abord vivement rejeté. Non, la Belgique n’a jamais voulu d’une société du pass, nous disait-on au début de l’été. Et puis, alors que la France franchissait (brutalement) le pas(s), l’idée prenait doucement racine en Belgique. A Bruxelles, d’abord, où la situation vaccinale inquiétait. Avant que Wallonie et Flandre suivent dans la foulée, dans un contexte de tensions communautaires en toile de fond. Appliqué dans tout le pays, le Covid Safe Ticket, -rapidement abrégé CST à l’écrit, parfois « Covid Safe » à l’oral-, a vite été présenté comme l’outil miracle pour reprendre une vie sociale en toute sécurité. Source de frictions au début, le QR code s’est pourtant rapidement fondu dans le quotidien de millions de Belges. Il incitait aussi clairement certains réfractaires à franchir le pas, parfois dans le seul but de pouvoir retrouver une vie sociale.
Et puis, patatras. L’efficacité du vaccin s’amenuise avec le temps. Vaccin sur lequel quasi toute la stratégie anti-covid de la Belgique était basée. « Le discours politique a été trop centré sur la vaccination. Bien sûr, la vaccination reste l’arme principale. Mais elle n’est pas suffisante. Il faut que le discours s’élargisse aux autres méthodes, en expliquant honnêtement les limites actuelles de ces vaccins de première génération », reconnaissait Yves Coppieters dans cet entretien.
Un perturbateur majeur, nommé Delta, est venu chambouler toutes les prévisions. Le variant devient majoritaire : il est plus contagieux et franchit aisément la barrière des deux doses vaccinales pour se transmettre. Des doses constituées pour contrer la souche précédente, désormais devenue minoritaire.
Echiquier viral
Dans cette partie d’échec face au virus, celui-ci semble toujours avoir un coup d’avance. Son prochain stratagème s’appelle peut-être Omicron. C’est à se demander s’il ne s’est pas inspiré du Jeu de la dame, série à succès sur Netflix, pour systématiquement trouver une porte dérobée.
Sur l’échiquier viral, où la partie dure depuis bientôt deux ans, l’adversaire semble difficilement épuisable. Les nombreuses combinaisons sont toujours contrées par une mutation. Mais une certitude subsiste : le vaccin actuel empêche le développement des formes graves. Il est cependant beaucoup moins efficace sur les transmissions. « L’urgence est de diminuer la quantité de contacts infectieux, des vaccinés, non-vaccinés, peu importe », lâchait Marius Gilbert la semaine passée.
Mais depuis plusieurs semaines déjà, les critiques sur la stratégie « CST » se sont fait entendre. Pour certains experts, le Covid Safe Ticket porte mal son nom. « Safe Ticket, ça donne une impression de sécurité. Or, en comparaison, avec une « life jacket », on peut quand même couler en mer. C’est la même chose avec le Covid. Les gens pensent qu’avec le CST, on est invincible face au virus, mais c’est évidemment faux. Le Covid Safe Ticket donne une barrière supplémentaire dans la diminution de la transition, mais pas au point d’être safe », nous glissait Yves Van Laethem il y a quelques semaines.
Mi-octobre, le virologue Steven Van Gucht exprimait également ses réticences. « Le Covid Safe Ticket, c’est un très bon instrument pour contrer le virus. Le problème, c’est qu’il est utilisé comme un moyen qui permet d’abandonner toutes les autres mesures. C’est un choix. Je ne dis pas que je suis contre, mais il faut être conscient que ce n’est pas parce qu’on a montré son QR code à l’entrée que l’événement est 100% sûr. Cela ne garantit pas qu’il n’y ait pas de circulation du virus », nous disait-il.
« Le Covid Safe Ticket n’a pas fait ce que les gens attendaient de lui », pointe également Emmanuel André dans le Morgen. « Il n’a pas tellement augmenté le taux de vaccination, mais il a conduit à plus de contacts, et donc indirectement aussi à plus d’infections; les deux sont liés. Ce pass a donc donné lieu à l’inverse de ce qui était attendu, également parce que d’autres mesures ont été progressivement supprimées lors de son introduction. »
Et puis, éthiquement, le CST a fait couler beaucoup d’encre. Il y a une quinzaine de jours, l’épidémiologiste Yves Coppieters soulignait dans nos colonnes qu’avec le CST, « on a dépassé cette limite entre mesures sanitaires et respect des libertés. »
En l’espace de quelques mois à peine, on a donc rejeté le système, avant de le vanter puis de l’imposer, pour finalement à nouveau le remettre en cause. Tout le monde s’y perd, car tout le monde est perdu face à un virus incernable, en constante mutation. Experts et politiques. Journalistes aussi, face à un nuage d’informations parfois difficilement déchiffrable.
Et donc, le yoyo recommence. Retour à la case départ. Pour le Codeco, retour aux anciennes méthodes. Avec des limitations d’horaires pour l’Horeca, un retour au télétravail obligatoire, et surtout, ce qu’on voulait à tout prix éviter, une refermeture de secteur : celui du monde de la nuit.
Incohérences pratiques
Outre les questions scientifiques et éthiques que soulèvent l’application du pass sanitaire, sa mise en place pratique a été plus que compliquée sur le terrain, pendant ces quelques mois. Comme si la classe politique ne réalisait jamais les spécificités propres à chaque secteur. Les incohérences sont nombreuses. Quelques exemples.
Dans les bars, le contrôle du CST est resté très inconstant. Des bons élèves, et des moins bons. Mais peut-on blâmer un secteur qui a tant souffert économiquement ? Contrôler scrupuleusement le CST demande a minima un employé à temps plein dédié uniquement à cette tâche. Dans la pratique, pour certains établissements, c’est tout simplement irréalisable.
Le monde de la nuit, systématiquement le premier à être pointé du doigt, est par contre, et de loin, le meilleur élève dans l’application des mesures. Les boîtes de nuit, souvent injustement stigmatisées par des personnes qui n’y mettent jamais les pieds, sont souvent les plus assidues dans le contrôle du CST. Simplement car la logique d’entrée, par nature, veut que l’on présente son billet. Tout comme dans les salles de concerts ou autres lieux culturels. Le CST représente alors une étape supplémentaire, qui demande certes un investissement, mais dont l’application s’inscrit plus naturellement que dans les bars, où les entrées y sont par essence pas ou peu contrôlées. Et donc, on referme le seul secteur, celui de la nuit, à respecter totalement les mesures en vigueur.
En outre, les « dancings » (qui utilise encore ce terme en 2021, si ce n’est les politiques?), sont souvent à la pointe en termes de ventilation et renouvellement de l’air. Car ils n’ont pas dû attendre le Covid pour mettre en place de tels systèmes. Sans broncher, une majorité des discothèques avait instauré des endroits de tests rapides ou d’autotests pour appliquer à la lettre le fameux « CST+ ». Avant de subir un nouveau coup de massue.
A l’aéroport de Bruxelles, on rentre carrément comme dans du beurre. En plusieurs expériences espacées dans le temps et à différentes heures, le résultat est flagrant. Aucun contrôle du CST. Ni aux différentes entrées de l’aéroport, ni à la sécurité, ni à l’embarquement. Il est uniquement demandé, de façon très aléatoire, dans les établissements Horeca au sein de l’aéroport. En comparaison avec l’Italie, par exemple, le contraste est marquant. Dans la botte, impossible de mettre le pied dans un aéroport sans présenter le green pass. Cela semble logique dans un lieu où les croisements internationaux sont plus nombreux que nulle part ailleurs. En Belgique, on se repose sur le PLF, régulièrement contrôlé à l’arrivée.
Dans les stades de football du pays, le contrôle du CST est respecté à la lettre. Problème : pour vérifier le pass sanitaire, la carte d’identité ET le billet d’entrée de dizaines de milliers de personnes, des files énormes se créent chaque week-end aux portes des enceintes. Et donc, encore une fois, la réalité du terrain pose question.
Refermer un secteur représente un aveu d’échec
Le noeud du problème est complexe, sûrement plus complexe qu’une partie d’échecs. Il mêle différents aspects : scientifique, éthique, politique, économique, pratique et psychologique. Il est clair que personne n’a de baguette magique. Mais il est aussi clair que tous les secteurs impactés ont fait preuve d’une flexibilité infinie, et d’investissements colossaux, pour au final subir un retour en arrière difficilement supportable. Refermer un secteur, sans proposer de solutions innovantes ou alternatives après près de deux ans de crise représente un aveu d’échec.
Aujourd’hui, une nouvelle fois, on reclape donc la porte du frigo pour soulager un système hospitalier à bout de souffle, et en manque cruel de personnel. En attendant l’arrivée des pilules antivirales et des vaccins de deuxième génération, et avant la possible tempête Omicron dont le vent commence à souffler dans le dos, le yoyo saisonnier semble avoir encore de belles heures devant lui. Mais la patience du citoyen n’est pas sans limite.
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