Danièle Zucker, spécialiste des comportements criminels: « Le viol n’est jamais un accident »
A l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre, Le Vif lance « Assez », un dossier spécial qui tente de décrypter ce phénomène de société et de proposer des solutions pour (enfin) y mettre fin. Première étape avec Danièle Zucker, docteur en psychologie et spécialiste des comportements criminels, qui signe un ouvrage pour mettre fin aux idées reçues sur le viol, révoltée par sa banalisation et le mépris envers les victimes.
Dans votre livre, vous évoquez la notion de consentement et le lien entre viol et alcool. Que vous inspirent les agressions sexuelles dans certains bars du quartier du Cimetière d’Ixelles ?
L’alcool est un argument souvent utilisé par les auteurs pour se défendre. Le viol devient alors un événement collatéral à cette prise d’alcool. Et dans l’hypothèse où ces dossiers arrivent devant le tribunal, les condamnations à des peines de prison sont encore plus rares. En réalité, l’alcool est utilisé par l’auteur pour, d’une part, se désinhiber et, d’autre part, choisir sa victime. Le violeur préférera que celle-ci ait ingurgité de l’alcool, soit de son plein gré soit par subterfuge, car elle pourra se sentir en partie responsable de ce qui s’est passé et hésitera à porter plainte. C’est d’ailleurs là-dessus que comptent de nombreux agresseurs sexuels.
D’autant que les réactions de l’entourage de la victime ou des intervenants de première ligne peuvent amplifier ce sentiment de culpabilité…
Il y aura toujours quelqu’un pour dire que ce n’était pas un viol ou que les signaux ont été mal interprétés, alors qu’il s’agit d’une prise de pouvoir. Je n’affirme pas cela uniquement sur la base de mes propres expériences mais aussi de recherches menées depuis de nombreuses années. En 1979, déjà, un psychiatre avait établi que le viol sert essentiellement des besoins non-sexuels. Le viol, on ne le dira jamais assez, est une question de pouvoir. Et en 2021, on en est toujours à parler de la tenue de la victime, de l’heure à laquelle elle est sortie ou du quartier dans lequel elle se promenait.
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Le consentement, ou plutôt son absence, est au centre de la réforme du droit pénal sexuel. Une bonne chose ?
C’est déjà bien d’avoir compris que la victime peut être tétanisée ou qu’elle n’est pas capable de dire non, et de vouloir l’inscrire dans la loi. Mais ce n’est pas suffisant : il faut que les mentalités et les pratiques changent. Il faut des enquêtes avec plus de budget, des formations pour les intervenants et des sanctions en adéquation avec la gravité des faits. Aujourd’hui, on assiste à une libération de la parole des femmes et j’en suis ravie. Mais on ne peut pas se satisfaire d’augmenter et d’améliorer l’accueil des victimes si, de l’autre côté, le taux de condamnation des auteurs de viol reste aussi bas.
Qu’est-ce qui doit changer ?
Il faut que la justice diffuse un message clair et qu’on arrête d’attribuer des sanctions dérisoires. Tant qu’on continuera à croire que le viol est un jeu qui a mal tourné, un accident, on n’avancera pas. Il faut intégrer le fait qu’il s’agit d’un acte intentionnel et récidiviste par nature puisque plus de 70 % des auteurs repassent à l’acte.
Le viol au-delà des idées reçues. Pour que cesse l’intolérable, par Danièle Zucker, Plon, 272 pages.
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