Etats-Unis: le Parti républicain forcé de se redéfinir
Ménager le président sortant pour ne pas se couper de son électorat ou rompre avec ses idées radicales pour reconquérir des électeurs centristes? Le travail d’équilibriste s’annonce périlleux d’ici à 2024.
L’année nouvelle a bien mal commencé pour la droite américaine. Alors que le 5 janvier, elle perdait sa majorité au Sénat fédéral après la victoire conjointe des deux candidats démocrates à l’élection de second tour en Géorgie, elle a, de par le discours inconscient du président Trump le lendemain, perdu une grande part de sa crédibilité auprès des électeurs centristes, sans parler de l’effroi suscité au sein de la population américaine. Ce 6 janvier, le coeur de la démocratie américaine a été attaqué comme jamais depuis le début du XIVe siècle, plaçant le Parti républicain dans une situation on ne peut plus délicate, forcé de jouer un jeu d’équilibriste visant à se désengager de la rhétorique belliqueuse du président en exercice tout en ne s’aliénant pas ses supporters, dont un grand nombre continue à le soutenir même après les événements ayant mené à l’intrusion violente dans le Capitole.
Il semble acquis désormais que l’avenir politique de Donald Trump est bouché.
« Le président s’est disqualifié. Pour de bon. » Prononcés quelques jours après l’insurrection, ces mots sans équivoque sont à mettre au crédit, événement rare, d’un élu républicain, Pat Toomey, sénateur de Pennsylvanie. Si l’on excepte les critiques de trois sénateurs de son parti qui, depuis deux ans, lui sont réfractaires (Mitt Romney, de l’Utah, Susan Collins, du Maine, et Lisa Murkowski, de l’Alaska), c’est la première fois qu’un élu conservateur s’est positionné aussi sévèrement contre le chef de l’Etat.
Plus largement, l’attitude du vice-président Mike Pence, les actes de Mitch McConnell, l’éternel chef de file de la majorité républicaine au Sénat, et les déclarations de Lindsey Graham, sénateur de Caroline du Sud, placent Donald Trump dans une situation inextricable à l’égard de ses anciens alliés. « Il semble acquis désormais que son avenir politique est bouché. Même s’il désirait se représenter en 2024, en raison du discours qui a mené à l’invasion du Capitole, il s’est mis définitivement hors jeu chez les républicains modérés », affirme William Michael Schmidli, professeur d’histoire américaine à l’université de Leyde, aux Pays-Bas, et coauteur de « L’administration Reagan, la guerre froide et la transition vers la promotion de la démocratie » (Palgrave Macmillan, 2019, non traduit en français).
« La question consiste principalement à savoir comment va évoluer le Parti républicain après son départ« , indique-t-il. « Si Donald Trump est bien fini en politique, il va en revanche continuer à façonner la politique américaine par son influence et les idées qu’il a contribué à faire prospérer pendant ces quatre dernières années. »
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L’issue logique de la dynamique Trump
Comme le relevait un manifestant présent à Washington, « être patriote revient à être prêt à renverser son gouvernement ». Mais au-delà de cette dynamique antisystème revendiquée, et même s’ils s’en défendent, ce sont bien des idées de suprémacisme blanc, nourries par la crainte de la disparition d’un mode de vie, qui animent généralement les supporters du 45e président des Etats-Unis. Pour nombre d’observateurs, l’invasion du Capitole relevait d’une tentative de maintien du pouvoir blanc aux USA. « C’est aussi mon analyse », relève William Michael Schmidli. « L’idée du patriotisme, omniprésente chez les supporters trumpistes, est très connectée à l’idée de race et de la suprématie qui en découlerait. » Cette vision a relativement peu évolué depuis 1776, année de la déclaration d’indépendance. Les partisans du président se réclament sans cesse de l’état d’esprit des pionniers de la nation américaine. « L’idéologie dont il est question consiste à définir qui fait partie du club et qui en est exclu. De telles idées trouvent aussi leur origine dans la fondation du Ku Klux Klan, de l’idée d’une nation chrétienne et, plus largement, d’un exceptionnalisme américain », complète William Michael Schmidli.
Revivre notre live sur l’invasion du Capitole.
Sous couvert d’un patriotisme devenu presque sectaire, les supporters du milliardaire se sont, en quatre ans, rebellés contre une classe politique coupable, selon eux, du déclin de la nation, les incidents du 6 janvier n’étant que la conclusion logique d’une dynamique qui trouve sa genèse en 2015, lorsque Donald Trump s’est présenté aux présidentielles. Cinq ans et demi plus tard, l’heure des comptes a sonné. Passées les tentatives des démocrates d’introduire à l’encontre du président une inédite seconde procédure en destitution (impeachment) qui n’a guère de chance d’aboutir, c’est en effet la question de l’avenir du Parti républicain et de l’identité qu’il adoptera une fois Trump parti qui suscite toutes les spéculations.
Un durcissement idéologique progressif
Le Parti républicain est à la croisée des chemins. Alors qu’il fut au milieu du XIXe siècle celui qui permit aux esclaves noirs, sous l’impulsion d’Abraham Lincoln, de jouir de la liberté et de la citoyenneté après la guerre civile (1861-1865) grâce à l’adoption des 13e et 14e amendements, il lâcha ensuite ceux-ci en 1876 lorsqu’un infâme compromis offrit la présidence au républicain Hayes en échange de la fin de l’occupation militaire du Sud. Ce deal conduisit à l’instauration des lois « Jim Crow » de ségrégation raciale et mit à terre tous les acquis constitutionnels enregistrés à la suite du conflit. La question raciale restera longtemps mise « sous le tapis » dans le pays, même sous les présidences du démocrate Franklin Roosevelt, pourtant jugé très progressiste.
Jusqu’à la fin des années 1950, notamment sous la présidence du général républicain Dwight Eisenhower (1953-1961), les deux grands partis se montreront aptes à collaborer, aidés en cela par des différences idéologiques relativement minimes. « Mais les années 1960 vont marquer un tournant dans l’idéologie conservatrice« , indique William Michael Schmidli. « Les lois civiques adoptées lors de cette décennie ont été l’occasion pour le Parti républicain de tenter de s’accaparer le vote blanc de la classe laborieuse traditionnellement acquis aux démocrates, en axant son discours sur les tensions raciales et en promettant de restaurer l’ordre. »
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Les années 1970 ont été marquées par un durcissement des positions idéologiques des républicains, exprimé en opposition à une avancée des revendications des minorités sexuelles et ethniques. « Il n’y a qu’à constater combien de fois Ronald Reagan (NDLR: président de 1981 à 1989) parle de liberté dans ses discours », indique le professeur Schmidli. L’état central régulateur et protecteur des minorités est devenu alors l’épouvantail pour l’électorat républicain, bien aidé en cela par une vague de retour du religieux. La chrétienté, et la vertu qui en découle, sont devenues des arguments électoraux pour les conservateurs. « La religiosité est en effet devenue politisée », estime l’universitaire. « La guerre contre l’avortement, la défense des valeurs traditionnelles familiales, la quête d’un modèle sociétal censée parer au délitement des moeurs ; tout cela participe, tout comme le droit au port d’arme, à la structuration du credo républicain depuis un demi-siècle. Donald Trump n’a rien inventé à proprement parler. »
Pas de voie possible pour un troisième parti
Le système politique américain, qui, à tous les échelons, favorise le bipartisme, ne laisse guère de place à la possibilité d’une troisième voie, particulièrement au fédéral. Les chances de voir le Parti républicain imploser à la suite du départ de Donald Trump sont donc minimes. « Deux scénarios sont désormais possibles, selon William Michael Schmidli. Soit le Parti républicain prend un tournant idéologiquement « dur » à la sud-africaine, marqué par davantage de politiques visant à la suppression du droit de vote des minorités, plus de redécoupage arbitraire des cartes électorales (une pratique appelée « gerrymandering »), et, dans l’absolu, un message identitaire très fort, soit il se mue en un parti davantage inclusif pour aller chercher les voix au centre, et être viable pour l’entièreté du siècle à venir. Mais cela demandera des changements structurels profonds. »
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Une guerre s’est donc engagée au sein même du parti conservateur. Les frondeurs, parmi lesquels figurent les sénateurs du Texas Ted Cruz et du Missouri Josh Hawley et qui réclamaient que soit invalidée l’élection de Joe Biden, se positionnent clairement pour les élections de 2024 en entendant surfer sur la vague du soutien populaire dont bénéficie encore Donald Trump. Les deux années qui viennent, avant les élections de mi-mandat en 2022, diront si les voix de ceux-ci seront étouffées par une majorité jouant encore les règles du jeu ou si le parti, au contraire, sera gagné par les idées les plus réactionnaires. « D’une manière générale, conclut William Michael Schmidli, la question centrale soulevée par le mandat de Trump consiste à savoir si les Etats-Unis sont prêts à mettre en branle une nouvelle ère de reconnaissance des privilèges blancs au sein de la société. Trump n’a rien voulu faire d’autre que les restaurer. »
La double victoire démocrate aux présidentielles et au Sénat semble indiquer qu’une majorité de la population est prête à appuyer une nouvelle ère de droits civiques, largement souhaitée par la communauté noire. Mais le fossé idéologique dans le pays est plus large que jamais et, si le Parti républicain parvient à ramener le curseur au centre, même en tentant de préserver une identité conservatrice, des actes de rébellion à l’instar de celui qui a touché le Capitole le 6 janvier sont à craindre. Le terrorisme intérieur pourrait devenir une réalité encore plus tangible. Les services de renseignement nationaux sont en tout cas préparés en ce sens.
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