Sondage corona: le Belge en veut moins aux politiques, plus aux scientifiques
Près d’un an et demi après l’éclatement de la pandémie, et un an après notre précédente enquête, Le Vif et son homologue flamand Knack ont sondé les Belges sur la gestion de la crise du coronavirus. Ceux-ci sont toujours méfiants. Mais ils en veulent moins aux politiques, et plus aux scientifiques…
Il y a un an, alors que se retirait une vague qui n’était pas encore connue comme la première, au point que certains pensèrent que le coronavirus n’allait frapper qu’une fois, Le Vif décrivait comme un avis de tempête. Avec l’institut Kantar, nous avions sondé un millier de Belges sur leur perception de la réponse de la Belgique à la crise. La méfiance, alors, transpirait de par tout, et mouillait surtout l’autorité politique. A l’époque, et hormis un niveau communal qui s’était montré utile au quotidien des sondés, seul le gouvernement régional flamand recueillait davantage d’avis favorables que d’opinions défavorables sur sa réaction face à la pandémie.
Quant à la popularité personnelle, seul le nom de Sophie Wilmès, jeune Première ministre en affaires courantes, entrée sans passif dans une lumière inédite, rassemblait davantage de satisfaits, surtout francophones, que d’insatisfaits. C’était l’époque de l’hécatombe dans les maisons de repos, des masques détruits, mal commandés, défectueux, introuvables, l’époque des drama queens, de la confiance votée à neuf partis et des pouvoirs spéciaux votés à dix, l’époque des conseils nationaux de sécurité, des conférences de presse retardées, et l’époque de Maggie De Block, ministre fédérale de la Santé qui battait alors des records d’impopularité. Près de 60 % des personnes interrogées estimaient qu’un ou plusieurs ministres aurai(en)t dû démissionner, vu les erreurs commises, et Maggie De Block, bien entendu, était tout particulière ment visée.
La colère a infusé et s’est un peu réorientée. Elle n’est pas éteinte : les scientifiques sont aujourd’hui visés
L’enquête menée par Kantar présentait alors une Belgique méfiante, voire en colère à l’égard de ceux qui prenaient les mesures, mais légitimiste par rapport à celles-ci : la cheffe du gouvernement fédéral était la politique la plus appréciée, une majorité de sondés estimait les dispositions adoptées « bien comme cela », ni trop strictes ni trop lâches, et les experts qui conseillaient des gouvernements pourtant dépréciés récoltaient, eux, de très louangeurs suffrages.
Toutes les figures scientifiques, désormais connues de tous, de Marc Van Ranst à Yves Coppieters, étaient plébiscitées. Un an plus tard, l’époque a changé. La méfiance des Belges aussi. Leur colère s’est, si l’on peut dire, affinée. Le coronavirus n’a pas frappé qu’une fois. Il est revenu, brutalement, à l’automne, c’était le retour de l’hécatombe, la bulle de un, les écoles restées ouvertes et tout le reste gardé fermé. Et puis, c’est l’époque des boums au bois de la Cambre, des doubles droits pas serelles et des restaurateurs énervés, l’époque des comités de concertation, des conférences de presse et des tweets d’après les conférences de presse, l’époque où un caporal en cavale menace un virologue, forcé de se terrer des semaines sans voir le jour, jusqu’à ce que l’on retrouve le caporal suicidé. Aujourd’hui, un an après notre précédent sondage, c’est l’époque de Frank Vandenbroucke, ministre fédéral de la Santé, des vaccins achetés par le fédéral via l’Union européenne, administrés par les Régions, et qui se font vite, plus vite qu’ailleurs en Europe : près de dix millions de doses, déjà, ont été injectées dans des épaules belges.
Grappillage de satisfaits
Cette époque, c’est celle qui a couru du 2 au 8 juin, pendant laquelle Kantar a, pour Le Vif et Knack, interrogé 1 006 Belges (586 Flamands et 420 francophones) sur leur perception de la réponse de la Belgique à la crise, un an après la dernière fois.
Certaines des réponses de ces sondés, censés venir témoigner d’une société excédée, ont de quoi surprendre. Notamment envers l’autorité politique et des scientifiques : la première s’en sort plutôt mieux que l’an passé, les seconds plutôt plus mal. Par rapport à l’enquête de 2020, en effet, tous les gouvernements et tous les niveaux de pouvoir – le gouvernement flamand excepté – sont plus appréciés et plutôt moins réprouvés. Quand bien même les insatisfaits quant à la manière dont la pandémie a été gérée restent, comme l’an dernier, plus nombreux que les satisfaits, le nombre des satisfaits a augmenté, et celui des insatisfaits a diminué. Les gouvernements wallon, bruxellois, et de la Fédération Wallonie-Bruxelles en particulier, mais aussi l’Union européenne, semblent avoir honorablement redoré leur blason. La confiance envers le niveau communal, elle, reste à la fois stable et plus élevée que partout ailleurs.
Le visage éternel d’Elio Di Rupo, ministre-président wallon, témoigne de cette popularité paradoxale : les personnes se déclarant plutôt ou tout à fait insatisfaites de la manière dont il a géré la pandémie sont toujours beaucoup plus nombreuses que celles qui s’en trouvent plutôt ou tout à fait satisfaites, mais elles étaient trois fois plus nombreuses l’an passé (47,2 % contre 16,4 %), et ne le sont plus que deux fois plus cette année (40,9 % contre 21,3 %).
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Ce grappillage de satisfaits et cet endiguement des insatisfaits pourraient s’expliquer par un bilan sanitaire globalement meilleur que chez les voisins depuis l’automne, alors qu’il avait été plu tôt moins bon jusque-là : la courbe des contaminations a baissé de manière drastique à partir de la fin du mois d’octobre, et celle des vaccinations a fort augmenté à partir de la fin mars. Le fait que les pouvoirs publics aient engagé des opérations visibles, et même spectaculaires, qui concernent par essence chaque résident du pays, invité à se faire vacciner, et donc directement mis au courant d’une action publique, a également pu contribuer à atténuer l’insatisfaction. Recevoir sa convocation, se rendre dans un centre géré par la Région, recevoir, gratuitement, un vaccin financé par l’Union européenne donne une tournure très concrète à des politiques publiques. Physique, même. Au fond, on finit par avoir ces décisions politiques dans la peau.
De Croo est-il meilleur que Wilmès ?
Confiance maintenue envers l’échelon communal, et méfiance atténuée envers les niveaux supérieurs dont les initiatives, fussent-elles contestées (comme l’a été la vaccination et comme le seront peut être les grands travaux du plan de relance), se sont pour une fois bien vues: de ces deux éléments de constat découle une leçon. Elle est vieille comme le monde, elle est toute simple, mais elle a été mise en veilleuse par des années de langue de bois et de polémiques symboliques. Elle professe que bien faire de la politique, c’est agir vraiment. Mais faire de la politique, c’est aussi ne jamais agir assez, somme toute. Car même en baisse, la méfiance reste terrible envers les institutions politiques et envers ceux qui les incarnent.
C’est ainsi qu’ils sont aujourd’hui moins nombreux qu’en 2020, les Belges, à penser qu’au moins un ministre aurait dû démissionner pour des fautes commises pendant la crise. Mais ils n’en restent toute fois pas moins majoritaires : ils étaient 57,5 % l’an passé, ils sont toujours 50,8 % cette fois-ci. La colère baisse, mais reste, donc. Elle se teinte parfois d’indifférence, aussi, car s’ils sont toujours autour de 20 % (20,4 % en 2020, 18,6 % en 2021) à déclarer que leur choix électoral a changé au cours de la crise, ils sont encore plus qu’alors (39,1 % contre 31,3 %) à se ficher de cette question. Au 16, rue de la Loi, pourtant, il y en a un pour qui celle-ci est vitale. Sa popularité est bonne, mais son parti cahote de sondage en son dage. Alexander De Croo dit vou loir réconcilier les citoyens avec la politique, il doit en fait apaiser les Flamands envers la Belgique. Ce n’est pas mal parti : 42,3 % des Flamands et 46,6 % des francophones trouvent que son gouvernement « a fait un bon départ », contre respectivement 26,5 % et 21 % qui pensent le contraire. Mieux même, en tout cas pour lui : 38 % des sondés considèrent que l’exécutif De Croo a mieux géré la pandémie que le gouvernement Wilmès, contre 21 % qui estiment que c’est l’inverse.
Les révoltés de la Constitution
La tripartite minoritaire de Sophie Wilmès, seulement composée du MR, de l’Open VLD et du CD&V, était particulièrement exposée à la critique flamande. Avec quatre partis flamands en soutien, Alexander De Croo en est, lui, un peu plus préservé. C’est d’ailleurs en Flandre que cette impression est la plus vivace. L’inconstitutionnalité alléguée des mesures adoptées pour contenir la pandémie, sujet en débat partout, contesté souvent, des bosquets de la Cambre aux plus distingués cercles universitaires, en passant par les cours et tribunaux et les juridictions administratives, n’a pas révolté autant que l’on s’y attendait : 40,3 % des répondants ne sont pas d’accord avec l’affirmation que « la manière dont le gouvernement De Croo a géré la crise du coronavirus est inconstitutionnelle », contre 24,8 % qui sont plutôt d’accord ou tout à fait d’accord.
L’assouplissement de ses mesures aura été estimé précisément aussi légitime que sous le gouvernement précédent : 40,8 % trouvaient il y a un an que les règles auraient dû être assouplies « comme elles l’ont été ». Mais la colère se déplace un peu, puisque ceux qui réclamaient un assouplissement plus rapide sont passés de 20 à 26,5 %, et ceux qui le voulaient plus lent étaient 39 % l’an dernier, et 32,7 % cette année. La vaccination est passée par là, bien sûr. Les contestations aussi. La colère a infusé et s’est un peu réorientée. Elle n’est pas éteinte. Elle porte presque plus, aujourd’hui, sur les scientifiques que sur les politiques.
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