Jean Macq: « Non, le politique ne laissera pas les hôpitaux couler. C’est impensable… »
Les hôpitaux ont souffert du covid, durement, pas seulement sur le plan humain mais aussi financièrement. Inquiétant? Pour Jean Macq, professeur à l’Institut de recherche santé et société (IRSS) de l’UCLouvain, avec la crise sanitaire, on peut avoir l’espoir d’accélérer les réformes dans ce secteur essentiel.
Les chiffres du Covid sont dans le vert et le retour à une vie normale se précise, avec une nouvelle étape dans le déconfinement programmée le 9 juin. Durant une semaine, Le Vif interroge des experts sur leurs espoirs et leurs inquiétudes sur l’évolution de l’épidémie. Dans tous les domaines, de la vaccination à la santé mentale, en passant par les libertés fondamentales et la gestion de la pandémie.
Il y a un an, après la première vague de la pandémie, les médias annonçaient que, sans intervention des pouvoirs publics, les hôpitaux seraient quasi tous dans le rouge. Des faillites se profilaient déjà à l’horizon. Un an et une vague et demi plus tard, le bilan n’est guère plus rose. Au contraire. Le secteur hospitalier va-t-il droit dans le mur? Le Pr Jean Macq n’y croit pas et évoque les réformes qui se profilent pour l’hôpital du futur.
Les hôpitaux sont dans le rouge, à cause du covid. Va-t-on assister à une vague de faillites hospitalières? Est-ce concevable?
Jean Macq: Non, je ne pense pas. C’est vrai que les hôpitaux ont perdu beaucoup de ressources depuis le début de la pandémie, surtout lors de la première vague, non seulement parce qu’ils ont dû renoncer à un grand nombre de consultations et d’opérations chirurgicales, mais aussi parce qu’ils ont fait face à des surcoûts à cause du covid. Je parle bien sûr du matériel de protection, masques, visières, combinaisons, etc.
Visiblement, le gouvernement s’est déjà engagé à compenser ces pertes en versant 2 milliards d’euros de soutien à la trésorerie des hôpitaux, en indemnisant les surcoûts exceptionnels du covid, en compensant partiellement la parte d’activités habituelles, en particuliers les opérations. Dans le contexte sanitaire et médiatique actuel, il est impensable que le gouvernement refuse d’assurer une stabilité financière aux hôpitaux. Donc, je ne crois pas que des hôpitaux vont couler.
A plus long terme, il faudra tout de même envisager des réformes pour redresser la barre. Ces réformes sont déjà en cours, non?
Oui, c’est notamment l’organisation des hôpitaux en réseau qui permet des gains d’efficience en exploitant mieux les ressources disponibles. De nouveaux réseaux voient le jour régulièrement (Ndlr : tout récemment, le réseau PHARE en Wallonie réunissant EpiCURA, CHR Mouscron, CHR Haute Senne et CHwapi). L’exemple le plus évident, ce sont les établissements voisins CHU Tivoli et le groupe Jolimont, à La Louvière. Leur mise en réseau, qui est en cours, est évidemment logique et leur permettra d’être plus efficace à ressources égales. La réforme du financement des hôpitaux est aussi en route, malgré les résistances. La pandémie a mis encore plus en évidence le problème du financement à l’acte, basé donc sur les honoraires médicaux. C’est ce qui a mis les hôpitaux dans le rouge durant la pandémie. L’idée de la réforme est de remplacer autant que possible ces financements à l’acte par des financements à l’admission pour des soins à faible variabilité donc prévisibles. Exemple: une prothèse de hanche, si elle est bien réalisée, coûtera toujours à peu près la même chose.
La pandémie a mis encore plus en évidence le problème du financement à l’acte, basé donc sur les honoraires médicaux.
Ces réformes seront-elles suffisantes pour remettre le secteur à flot?
D’autres idées sont sur la table, mais elles prendront certainement beaucoup de temps avant de se concrétiser. Je veux parler de la réorganisation du paysage de la santé via une stratégie basée sur les besoins de la population dans un territoire donné. La mise en réseaux inclurait, ici, tous les acteurs de la santé et de l’aide, c’est-à-dire, les hôpitaux, les médecins généralistes, les maisons de repos, les soins et l’aide à domicile, la santé mentale et j’en oublie… La pandémie a montré à quel point, ces secteurs sont interdépendants et doivent mieux se coordonner au niveau de l’information des patients. Pour cela, il faut davantage connecter les prestataires entre eux: cela commence à se faire dans le domaine de l’e-santé, avec le dossier médical global, au niveau des généralistes, et le dossier partagé informatisé, au niveau hospitalier. On peut imaginer un dossier partagé avec les infirmiers à domicile, les kinés ou les pharmaciens qui contrôlent les interactions éventuellement dangereuses entre différentes prescriptions. Parallèlement, on pourrait bien sûr aussi prévoir un financement en fonction d’une population donnée. La prévisibilité budgétaire serait encore plus grande.
Une telle réforme est-elle possible en Belgique?
Des expériences de ce type existent au Royaume-Uni, dans les pays scandinaves, aux Etats-Unis, au Canada… La Flandre s’est également engagée dans cette logique territoire/population avec son programme eerstlijne zorg-zones pour mieux coordonner le travail des prestataires de première ligne. C’est un début. Cela permettra aussi de réduire les dépenses, c’est évident. Outre la circulation de l’information, on devrait également travailler l’aspect concertation. On pourrait imaginer, dans ce cadre, le développement de la fonction de référent. Lequel pourrait être classiquement le généraliste, mais pas seulement. En Wallonie, on a des coordinateurs de soins à domicile qui pourraient voir leurs missions évoluer vers la gestion de cas, en guidant le patient dans son processus de soin, entre le domicile et l’hôpital. L’idée est de permettre aux personnes âgées comme aux malades chroniques, de plus en plus nombreux, de rester chez elles le plus longtemps possible avant d’envisager une hospitalisation. Cela permettrait aux hôpitaux de se recentrer sur leur rôle premier.
Le personnel hospitalier a beaucoup souffert de la crise sanitaire. Des espoirs, des réformes en vue ici aussi?
La souffrance des professionnels à l’intérieur de l’hôpital, en particulier les infirmiers, n’est pas nouvelle. Mais on en prend enfin conscience, avec le covid, car elle a été exacerbée ces derniers mois. Il est urgent de revaloriser ces professions. C’est une évidence, un nerf de la guerre. Par ailleurs, on peut imaginer d’autres flexibilités dans le partage des tâches, surtout dans les situations d’urgence, entre infirmiers de différents services, comme c’est déjà souvent le cas entre urgentistes et intensivistes, mais aussi entre infirmiers et médecins ou infirmiers et kiné. Il y a des choses que tout le monde doit pouvoir faire, dans les situations critiques.
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