La rédaction du Vif
« Demain, papa, je devrai payer le droit de venir te voir en maison de repos » (carte blanche)
Le 1er novembre prochain, le Covid Safe Ticket (CST) entrera en vigueur en Wallonie, quinze jours après Bruxelles. Et privera celles et ceux qui ont refusé de se faire vacciner d’un accès à une série de lieux, comme les maisons de repos. Dont Pascal Warnier, « citoyen diplômé en sciences de l’éducation », qui s’interroge sur l’impact du CST sur notre modèle de société.
Mon cher papa réside dans une maison de repos et de soins. Je lui rends visite très régulièrement depuissix mois. La présence de son épouse, de ses enfants et petits-enfants à son chevet est un soutien essentiel pour lui. Bientôt, je ne pourrai plus le visiter ou alors au prix d’une dépense financière indécente. Pourtant, je n’ai enfreint aucune loi. J’ai tout simplement jugé en âme et conscience de ce qu’il était juste de faire pour moi et pour autrui face au virus de la covid-19. Ce choix est strictement personnel, dûment éclairé et réfléchi. Il ne contrevient à aucune loi de mon pays et ne cause aucun préjudice à quiconque. Il n’est donc ni légalement, ni moralement répréhensible. En imposant le Covid Safe Ticket (CST), un passeport sanitaire requis pour accéder à de nombreux lieux tels que l’horeca, la culture, le sport et les établissements de santé, les autorités publiques laissent peu de choix aux citoyens belges qui désirent fréquenter ces lieux. En effet, soit ils apportent la preuve de leur vaccination ou de leur guérison, soit ils se soumettent à un testing fréquent et coûteux. Ce qui revient en définitive à imposer une obligation vaccinale déguisée aux personnes qui devront faire un usage régulier du CST.
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Dans mon pays, on va m’obliger à passer un contrôle aux frontières de l’établissement où séjourne mon père. Pour passer cette nouvelle porte de Brandebourg, je devrai présenter un passeport. Pour moi, ce passeport ne sera valide que si je consens à la vaccination ou si je paye plusieurs centaines d’euros par mois en tests PCR ou antigéniques. Ce sera la condition pour que je puisse me rendre auprès d’une personne qui m’est chère, autant que je le faisais auparavant. Ce dispositif attente au droit fondamental de tout être humain à pouvoir, sans condition, se tenir auprès d’un proche lorsqu’il est malade ou invalide. Il installe également un profond clivage dans la population. Les personnes vaccinées pourront aller et venir à leur guise alors que les personnes non-vaccinées devront payer pour avoir le même droit. Voilà le pays dans lequel je vais vivre dans les prochains mois sans savoir quand ces mesures seront levées, ni à quelles conditions. Elles reposent, en plus, sur une insécurité juridique qui fragilise sa légalité et sa légitimité (comme l’indiquait Nicolas Thirion, professeur de droit à l’ULiège, dans La Libre du 6/10/2021).
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La peur a gagné les sphères dirigeantes de notre pays au mépris des règles démocratiques
Très prochainement, cette mesure linéaire va condamner de nombreux belges, à commencer par les plus jeunes, à une vie privée du droit à certaines libertés sans que les élus de notre nation n’aient pu débattre en profondeur de l’application et de l’implication d’un dispositif discriminant et liberticide. Pourtant, nous ne sommes plus dans une « situation d’urgence épidémique ». Nous en sommes sortis depuis plusieurs mois. La toute grande majorité des personnes âgées et/ou fragiles (avec facteurs de comorbidité) de notre pays est protégée de la covid-19 par la vaccination et elle n’est donc plus susceptibles de saturer les soins intensifs dans nos hôpitaux en cas de contamination. Comment dès lors expliquer que le CST soit imposé à toute la population belge (hormis les moins de 12 ans) pour protéger une minorité, cible privilégiée du virus, qui est déjà protégée ?
La réponse à cette question est sans doute à rechercher dans la peur qui a gagné les esprits, dans l’angoisse latente qui a envahi les sphères dirigeantes de notre pays et qui dirige leurs décisions. Elle est sans doute aussi à rechercher dans le désir impatient de « vivre comme avant », sans contrainte, sans prévention. Comme si ce coup de semonce n’était en définitive qu’un petit caillou sur le chemin triomphal de notre modèle sociétal matérialiste et consumériste dont tant de signes aujourd’hui nous montrent les limites.
C’est un tournant que nous abordons dans notre société. Il indique déjà ce que sera notre « vivre ensemble » demain. Soit nous l’abordons dans le respect et la dignité de chacun et dans l’application scrupuleuse de nos règles démocratiques – notamment la prééminence du parlement sur le gouvernement pour des questions majeures de société -, soit nous lui imprimons la marque de l’intransigeance, de la coercition et du contrôle, sans dialogue avec les forces vives de la nation. Il n’est pas facile de trouver la juste mesure entre l’intérêt collectif et les libertés individuelles dans une situation encore très impactée par l’émoi collectif. Pour y arriver, il faut entendre toutes les voix, ouvrir le débat, chercher le consensus social le plus large. Ce n’est malheureusement pas ce que nous constatons en ce moment. Négocier ce virage ne relève plus d’un choix strictement sanitaire mais bien d’un choix plus large, un choix de société.
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