La rédaction du Vif
« Nous, généralistes, sommes devenus les larbins de cette politique de santé publique guidée par la panique généralisée » (carte blanche)
Un collectif de médecins généralistes et spécialistes tire dix leçons de la gestion de cette pandémie. Et critique les mesures imposées par le gouvernement. Par exemple, empêcher les médecins de consulter leurs patients en face à face pourrait-il avoir entraîné une augmentation du nombre de décès ?
Dans notre système de santé, actuellement, la médecine générale joue le rôle principal de première ligne en matière de santé publique. Qu’est-ce que tout cela peut bien signifier dans le contexte actuel de pandémie ?
En mars 2020, il est essentiel de rappeler que le mot d’ordre donné par le Collège de médecine générale était de décourager les médecins généralistes de consulter physiquement: « Si vous voyez un patient suspect COVID, vous le faites sous votre entière RESPONSABILITE ». C’est le monde à l’envers ! Quelle promotion de l’irresponsabilité, justement !
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Il est vrai qu’à ce moment-là, les données concernant la contagiosité du nouveaucoronavirus semblaient devoir nous condamner à l’extrême prudence, et certains d’entre nous n’avaient sans doute pas le matériel nécessaire pour se protéger. Mais, en 2021, des mois d’expériences plus tard il n’est plus justifiable de ne pas examiner nos patients. Il nous semble que le généraliste occupe pourtant une position idéale. Parce qu’en tant que praticien de la première ligne, il est un maillon essentiel entre le patient, ses symptômes, les institutions hospitalières et, le cas échéant, les administrations de santé publique.
Or, que fait la première ligne ? La crise sanitaire semble l’avoir considérablement affaiblie. Plus largement, on se demande s’il faut craindre une disparition de la médecine générale traditionnelle, au profit de téléconsultations par exemple, beaucoup moins coûteuses et potentiellement beaucoup plus rentables – peut-être est-il utile ici de préciser que l’INAMI a créé très rapidement un code pour les consultations à distance durant la crise ? Le téléphone était en effet notre seul instrument de travail, de mars à mai 2020, alors même que des patients souffraient énormément et requéraient de véritables soins ! Est-il légitime de s’étonner que ces aménagements se soient mis en place si rapidement, laissant peu de place aux rapports humains?
En réalité, le médecin généraliste a une importante RESPONSABILITE. Il côtoie entre une dizaine et une trentaine de patients chaque jour, patients qui au fil du temps sont connus dans leur « intimité », dans leur mode de vie, leurs affects et leurs peurs … Toute chose qu’un spécialiste ne peut observer de la même manière. Nous sommes bel et bien des OBSERVATEURS DE TERRAIN. C’est une des forces de notre métier : bien connaitre nos patients pour mieux les conseiller, mieux les orienter et, in fine, espérer mieux les soigner. Ceci a été sévèrement entravé lors de la première vague, tandis que pour certains cela se poursuit.
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Il faudrait enquêter plus sérieusement sur la possibilité que ce type de comportement ait, très certainement, entrainé une augmentation de décès (quand on sait que la précocité de la prise en charge est décisive pour de nombreuses pathologies et ce y compris dans l’arsenal thérapeutique contre le covid-19). Les observations de terrain sont le véritable ferment d’une démarche scientifique. En tant que généralistes, qu’avons-nous donc pu observer durant ces derniers 18 mois ?
1. « Traiter » des patients sans les examiner tout en leur donnant le conseil d’aller faire un test PCR puis, de se soigner au paracétamol pour se rendre aux urgences si la dyspnée devenait majeure, devrait être considéré comme une profonde INEPTIE et un crime au regard des connaissances scientifiques.
2. Faire des tests PCR de façon aussi large ne renseigne que très mal sur le statut des patients et sur l’évolution de l’épidémie. Les tests PCR ne renseignent ni sur l’état du malade (malade asymptomatique ou non, restes de virus présents dans le nez à distance d’une infection) ni sur sa contagiosité. Avoir des médecins vigies qui donnent un aperçu de la situation épidémique comme cela s’est toujours fait dans les cas d’épidémie de grippe est largement suffisant. Par contre, avoir à disposition des tests antigéniques rapides dans le but de donner les bons conseils pour isoler rapidement le patient et les cas contacts devrait être une priorité.
3. Porter le masque tel qu’il est recommandé par nos experts n’a que peu de sens. En tant qu’observateur de première ligne, il est facile de remarquer que porter un masque sans être malade, sans être un patient à risque (immunodéprimé, etc.), ou mal porter le masque (masque conservé trop longtemps, non lavé, touché avec les mains, rangé dans le fond de sa poche, etc.) ne peut être d’une quelconque utilité, voire être contre-productif. Par contre, obliger de porter le masque apporte un lot de conséquences nuisibles, tant dans ses conséquences psychologiques que pour les apprentissages ou les rapports sociaux, notamment, des malentendants. Il faut aussi simplement considérer que se prémunir de tout contaminant finira par affaiblir l’immunité de base. Ce port de masque associé au respect des mesures d’hygiène et des gestes barrières devrait être réservé à des situations ponctuelles où son utilité est réellement avérée.
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4. Empêcher les enfants d’aller à l’école, au sport, obliger les adultes au télétravail… Toutes ces mesures sont lourdes de conséquences psychologiques et physiques que nos patients nous rapportent chaque jour – si toutefois nous voulons bien être à leur écoute. Les médecins qui appliquent sans discernement tout ce que les directives gouvernementales nous dictent seront sans doute moins à l’écoute de ce type de plainte, persuadés qu’ils sont de la nécessité de ces mesures. D’ailleurs, les patients eux-mêmes sont de bons observateurs, lorsqu’ils nous rapportent les absurdités des décisions prises par le gouvernement et leurs experts : les TEC sont bondés, les mille et une péripéties de la bulle sociale, la fermeture des salons de coiffure ou des restaurants sans qu’on puisse déterminer empiriquement leur potentiel contaminateur, etc.
5. La confusion généralisée entre la mortalité et la létalité de la maladie du covid-195 – qui ne survient pas dans tous les cas de contamination par le virus SRAS-CoV-2, est-il utile de le rappeler. Peu de médecins généralistes ont perdu de nombreux patients. D’ailleurs on dénombre à l’heure actuelle environ 26.000 décès étiquetés covid pour 11.000 généralistes en Belgique, ce qui ne fait « que » 2,5 patients par généraliste en moyenne. (Il est à noter que dans notre pratique, durant les années 2020 2021 la principale cause de mortalité n’a pas été la COVID). Sans parler de la gravité effective de la maladie.
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Parmi les malades COVID, même au pic le plus fort en octobre 2020, la majorité d’entre nous ne voyaient comme patients que des personnes fiévreuses, grippées sans plus, demandant un test PCR pour prouver leur maladie, car cela était exigé par un employeur, une direction d’école, etc. Nous, généralistes, sommes devenus les larbins de cette politique de santé publique guidée par la panique généralisée. Il est grand temps de sortir définitivement de ce rôle de « guichet de triage » pour reprendre notre « pleine activité »
Parmi les malades que nous évoquions, il faut aussi compter nombre de patients angoissés à l’idée d’être positifs avec peu de symptômes, mais de devenir celui qui va contaminer son proche, ou être le suivant qui va venir allonger la liste du nombre de morts – ce décompte macabre qui, rappelons-le, était égrené quasi quotidiennement dans nos médias. C’est aussi ce type de patients qu’il a fallu soutenir et rassurer pendant les vagues. Qu’en deviendra-t-il sur le moyen et long terme ?
6. Concernant la politique sanitaire et son adhésion, plus spécifiquement, on a pu observer que si le premier confinement et les règles sanitaires ont été bien appliqués, dès l’été 2020 et sans attendre les autorisations gouvernementales, bon nombre de nos patients reprenaient une vie sociale, sans répercussion sur la dynamique épidémique. Il en est de même pour les fêtes non autorisées du bois de La Cambre ou du parc de la Boverie au printemps, des matchs de foot ou, plus dramatiquement, des inondations de la vallée de la Vesdre en juillet 2021. Autant d’évènements où les gestes barrières et les règles sanitaires n’étaient plus d’application. Pourtant, cela n’a pas été suivi d’augmentation significative de cas covid. A contrario, il aurait été judicieux d’apprendre à nos patients quand, comment et envers qui respecter strictement les gestes barrières, avoir l’opportunité de discerner quel patient tester et isoler. Obtenir les résultats d’un test PCR prenait souvent plus de 5 jours alors que nous aurions pu, en quinze minutes, faire un diagnostic, donner le traitement adéquat et les conseils d’isolement. Combien de contaminations sont dues, encore aujourd’hui, aux erreurs de tracing ?
7°Nous avons aussi été observateurs d’attitudes affligeantes, que nous devrions qualifier d’inhumaines. Que ce soit en maison de repos où de nombreux pensionnaires se sont laissés mourir, isolés de tout contact avec leurs proches. A l’hôpital, où les visites étaient interdites, les consultations n’étaient pas accompagnées, consultations où des patients ont dû recevoir seuls le diagnostic d’une maladie grave. Bien heureusement, ceci ne constitue pas une généralité mais ces mesures sont responsables d’une déshumanisation des soins, pourtant véritable enjeu de santé publique et systématiquement négligé du débat public.
8. Observateurs de la manipulation des informations. Quand la peur ne semblait plus suffire à faire respecter les règles, on n’a malheureusement pas hésité à sortir l’armada de la répression. Plusieurs patients ayant été verbalisés pour leur comportement peuvent en témoigner. Le danger sanitaire le justifie-t-il pleinement ? Quelles en seront les conséquences à l’avenir ?
9. Observateurs de la censure, au surplus, que ce soit censure de collègues scientifiques, mais également censure de la parole de patients sur les réseaux sociaux.
10. Et, finalement, observateurs de la pression intense pour la vaccination, sans que nos patients ne soient justement informés tel que le requiert le principe du consentement libre et éclairé. S’ajoute à ceci l’observation effarée des effets secondaires de ces mêmes vaccins, sans pouvoir être entendu par la majorité des spécialistes : pour eux, il n’y a pas de lien à faire. C’est, au mieux, une coïncidence.
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Une autre gestion de la pandémie
Toutes ces observations faites depuis la première ligne que nous incarnons doivent maintenant être entendues. Elles doivent servir de base afin d’avancer dans la gestion sur le long terme de cette pandémie, qu’il est nécessaire de replacer dans un contexte de santé publique plus global et non limité à quelques indicateurs ciblés sur un seul virus. Il est temps de retrouver une vie normale (enfants à l’école, travail comme lien social de qualité, sports et culture pour toutes et tous, etc.) où, certes, le virus demeurera présent, nous en sommes conscients.
Il est extrêmement important de relever d’autres défis de santé publique bien plus préoccupants tels que la malbouffe, le tabagisme, l’alcoolisme, le manque d’exercice physique comme conséquence d’une vie hyper-sédentaire, le stress chronique, tous facteurs des maladies dites non transmissibles qui sont les vraies « tueuses » de nos patients et les responsables de la saturation de nos hôpitaux.
Mais aussi, et surtout, de repenser l’organisation de nos soins de santé afin de mieux faire face à des situations similaires dans le futur notamment par un renforcement de la prévention et de la promotion de la santé. Que nos observations fassent progresser les politiques de santé publique, voilà une de nos exigences, où la médecine générale puisse retrouver la place qui est la sienne, au plus proche de la vie quotidienne de nos patients avec le souci de pratiquer l’antique art de les guérir et même autant que possible, de prévenir les maladies. Il est urgent de traiter les gens -et ainsi de repartir sur une base saine- et d’arrêter de traiter des chiffres !
Pour les généralistes : Dr Anne Franchimont Dr P.Daubie Dr Laurent Gauthier (généraliste et expert médical) Dr André Dubois Dr Francis Blanchard Dr Véronique Baudoux Dr C.H Dr B.S Dr A.R Dr A.L Dr. J. R.
Pour les spécialistes : Dr F.Louis Anesthésiste Dr Véronique Defays Médecin dentiste 5 Dr Emilie Theunissen Médecine physique et réadaptation Dr Valentin Willemaers Dr Benoit Nicolay anesthésiste réanimateur Dr S.A pneumologue Dr F.G dermatologue Dr C.L dermatologue Dr G.D Dr F.P santé publique Dr M.P pédiatre Pour les kinésithérapeutes : Stéphanie Julémont (nutrithérapie et kiné) M. Geron Vincent Lonneux Fabienne Petit K. F Les relecteurs : Antoine Blanchard Bernard Rentier Elisabeth Paul Mélanie Dechamp Denis Flandre
Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
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