Le droit d’auteur va-t-il s’éteindre avec l’avènement de l’intelligence artificielle?
Le droit d’auteur et l’intelligence artificielle font-ils bon ménage? Les enjeux à venir sont énormes.
Les réalisations de l’Intelligence artificielle (IA) atteignent désormais des sommets de perfection, dans tous les domaines de création. Au point qu’il y a quatre ans, au Japon, un robot-écrivain a été sélectionné parmi les finalistes d’un concours littéraire dont le choix s’est fait à l’aveugle. A la même période, l’IA de Sony Computer Science Laboratories sortait Daddy’s Car, une chanson ressemblant à s’y méprendre à un inédit des Beatles.
Une IA a même réussi, via une imprimante 3D, à peindre un Rembrandt ou plutôt un tableau à la manière du maître hollandais, au bout de 500 heures de calcul et après avoir scanné 300 toiles en très haute définition. Bluffant. Les journalistes ne sont pas en reste avec les algorithmes d’écriture dont le dernier-né, le GPT-3 développé par une société d’Elon Musk, est capable d’écrire comme un humain sur tous les sujets, un mémoire de fin d’études comme des fake news très réalistes.
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Cette évolution rend la question du droit d’auteur plus aiguë que jamais. Car tous ces algorithmes utilisent des bases de données d’oeuvres existantes et le droit d’auteur concerne une multitude de métiers, littéraires ou scientifiques. La plupart des contrats d’employés prévoient d’ailleurs une clause de cession de ces droits. En 2019, l’Union européenne a, certes, adopté une nouvelle directive en la matière, surtout destinée à ce que les éditeurs de presse soient mieux rétribués. Ce texte que peu d’Etats membres ont déjà transposé est-il suffisant?
Exploitations inconnues
Touria El Akel, consultante et spécialiste en réseaux informatiques, ne le pense pas. Elle veut (r)ouvrir le débat sur les formes d’exploitation inconnues. Explication: lorsqu’une nouvelle forme d’exploitation de son oeuvre apparaît, l’auteur peut demander une rétribution même si son contrat prévoit une cession de ses droits, sauf clause expresse. « Mais, dans la plupart des cas, il faut aller devant un tribunal pour faire reconnaître ses droits, explique l’experte et auteure qui l’a personnellement vécu. Vu le coût occasionné, peu s’y risquent. » Un dossier, qui a fait date au milieu des années 1990, est toujours cité en exemple: l’affaire « Central Station », du nom d’un site Web reproduisant des articles de presse. Les journalistes avaient vu dans cette diffusion sur Internet un nouveau mode d’exploitation de leurs écrits et avaient obtenu gain de cause devant la justice.
L’IA est le futur de l’humanité, mais il faut l’encadrer.
Pour éviter ce passage quasi obligatoire par la case « tribunal », Touria El Akel prône la mise en place d’un mécanisme permettant d’identifier les formes d’exploitation inconnues: il s’agirait d’une commission se réunissant annuellement pour établir la liste des technologies nouvelles pouvant être reconnues comme inconnues du grand public à la signature du contrat incluant la cession des droits. Comme Internet, dans les années 1990… Ce genre de commission existe déjà pour les copies privées dont les auteurs tirent aussi des rémunérations. Fin décembre, Touria El Akel a introduit une pétition en ce sens (n°464) à la Chambre. Si une telle commission voyait le jour, ce pourrait être une révolution pour les droits d’auteur, en Belgique et pourquoi pas – par contagion – en Europe, surtout avec les bouleversements de l’Intelligence artificielle.
Plagiat ou inspiration?
Reste à voir quand des droits d’auteur peuvent être réclamés lorsqu’une IA exploite des banques de données d’oeuvres existantes. Exemple: si, pour réaliser un roman à succès, je programme un algorithme qui va analyser les cent meilleurs best-sellers de ces dernières années, devrais-je en rémunérer leurs auteurs? « Cela dépend si l’on reconnaît des éléments originaux, tels qu’un morceau de texte, une intrigue, un personnage, répond la professeure Mireille Buydens (ULB), spécialiste du droit d’auteur. Ce serait alors du plagiat. Mais si l’IA a mouliné les textes existants, en ne faisant que s’en inspirer sans qu’ils soient reconnaissables, c’est différent. » A l’instar d’un créateur humain qui s’inspire d’autres créateurs. La frontière entre les deux est néanmoins ténue.
Pour Touria El Akel, il faudrait aller plus loin et prévoir une traçabilité des données exploitées par l’IA, car ces algorithmes vont se développer de manière exponentielle. « L’IA est le futur de l’humanité, mais il faut l’encadrer, dit-elle. On pourrait programmer un algorithme afin qu’il fournisse la proportion des oeuvres qu’il exploite. Ce n’est pas impossible. » Ni forcément absurde.
« Mais pas toujours aisé, tempère Axel Beelen, consultant en data protection (IPnews.be), car ce sont parfois des milliards de données qui sont utilisées par les IA. Cela dit, il y a un vrai souci de transparence, comme avec Clearview, ce nouvel outil mammouth de reconnaissance faciale vendu aux forces de l’ordre, qui a déjà pompé des milliards d’images sur les réseaux sociaux à l’insu de leurs auteurs. Il faudrait permettre d’auditer les algorithmes des géants du numérique, mais ceux-ci s’y opposent en vertu du secret des affaires. » On le devine, les enjeux sont énormes et ce n’est qu’un début. De nouveaux bras de fer s’annoncent avec les Gafam et autres colosses numériques.
Ne plus bosser gratuit pour les Gafam
Outre le droit d’auteur, une autre manière, peut-être plus efficace encore, de mettre les Gafam à contribution serait de leur imposer de rétribuer les utilisateurs du Web. « On travaille sans le savoir pour les géants du numérique », faisait remarquer Thomas Bolmain, docteur en philosophie (ULiège) dans Le Vif, en août 2019. En indiquant ses goûts sur Internet, l’internaute créé de la valeur. Ces informations, une fois collectées, sont revendues sans que cela ne lui rapporte rien. « L’ algorithme de Google Research est ainsi nourri par nos clics depuis vingt-cinq ans, confirme le professeur Nicolas van Zeebroeck (ULB). Quelle fabuleuse création de richesse! Si Netflix est si performant, c’est parce que son IA étudie les habitudes de consommation de ses 200 millions d’abonnés. » Vu la concentration du Big Tech, l’idée d’une redistribution de la valeur créée fait aussi son chemin, même aux Etats-Unis. Selon quelle modalité? « On peut, par exemple, imaginer que l’accumulation de likes soit valorisée à la fin de chaque année, selon un pourcentage des revenus de Facebook, et que des libra soient versés dans un porte-monnaie virtuel », continue le professeur en économie numérique. Réaliste? La pression peut venir des utilisateurs, principaux clients des Gafam, et du régulateur, pourvu que celui-ci représente un grand marché.
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