Skateboard, contrôle du jeu, intelligence tactique et sociale: Nagelsmann prépare la révolution du Bayern Munich
Il se déplace en skateboard, a perfectionné sa diction, s’est maquillé et a tenté de changer la couleur de ses sourcils. Aujourd’hui, il change de composition à chaque match ou presque. Qui est Julian Nagelsmann (34 ans), l’entraîneur pour lequel le Bayern a déboursé pas moins de 25 millions d’euros?
Durant ses premières semaines, il ne laissait rien au hasard. Un journaliste de Sport Bild a remarqué que Julian Nagelsmann était le premier à arriver au complexe d’entraînement Säbener Strasse, à 7h45, et qu’il ne rentrait chez lui qu’entre 20 et 21 heures. Sur le terrain, la révolution qui s’est jouée en coulisses ne se voit pas encore. La plupart des internationaux n’ont rejoint le Bayern que la dernière semaine de juillet, ratant la majeure partie de la préparation. À leur retour, ils auront remarqué que les vestiaires ont été rénovés. Le nouvel entraîneur attache de l’importance à l’acoustique des pièces dans lesquelles on parle. Il veut que tous les joueurs puissent le voir et le comprendre. La transmission d’informations est une part importante de la méthode de Nagelsmann. Les joueurs qui étaient en vacances, en sélections ou blessés pendant une de ses causeries peuvent la repasser sur une application qu’ils ont dû télécharger. C’est avec des changements de ce genre qu’il a bâti sa réputation de novateur.
Déterminé et têtu, Nagelsmann se savait prédestiné au grand Bayern.
Après neuf titres d’affilée et des coaches tels que Louis van Gaal, Pep Guardiola et Carlo Ancelotti, on pourrait croire que rien ne peut être amélioré au Bayern. Pourtant, la direction bavaroise ne voulait que Julian Nagelsmann et elle a versé la somme phénoménale de 25 millions au RB Leipzig pour lui arracher son entraîneur. Aucun club n’avait payé pareil montant jusqu’alors. Pour replacer ce prix dans son contexte, il faut savoir que plus de la moitié des clubs de Bundesliga n’a jamais transféré un joueur pour plus de 25 millions. Avec un salaire de huit millions, Nagelsmann est en outre le coach le mieux rémunéré de la compétition. Cinq ans après avoir sauvé Hoffenheim de la rétrogradation. Un profil atypique, qui a très rapidement gravi les échelons.
Le coach de l’avenir
Qu’est-ce qui rend Julian Nagelsmann si spécial? Ceux qui le connaissent peuvent citer plusieurs atouts. Notamment des exercices très variés, son intelligence tactique et sociale. Quand on additionne toutes les qualités citées par ses joueurs et ses collègues, on en arrive presque à penser que le Bayern a trouvé un croisement entre Jürgen Klopp, Pep Guardiola et José Mourinho. Le nouvel entraîneur principal est considéré depuis un certain temps comme le coach de l’avenir. À 25 ans, il était déjà adjoint en Bundesliga et à 28 ans, en 2016, il a obtenu son diplôme. La même année, il a assuré le maintien d’Hoffenheim en première division. Ses propres joueurs l’ont surnommé Baby Mourinho.
« Julian effectue l’analyse d’un match tout en le regardant », a remarqué Lutz Pfannenstiel il y a un an, dans un de ses éditos pour DAZN. L’ancien gardien de but a été le scout d’Hoffenheim pendant des années et a été stupéfait par l’énergie, le bagage, la soif d’apprendre et la rage de vaincre du jeune Nagelsmann, mais encore davantage par sa lecture du jeu. « À mes yeux, Julian surpasse même Guardiola dans l’analyse du système de l’adversaire et l’art d’y adapter sa tactique. Pep procède à beaucoup d’analyses avant de prendre une décision, alors que Julian y parvient en un rien de temps. C’est un don. J’ai connu beaucoup d’entraîneurs, mais il est le seul à le posséder. Il est unique. » Julian était souvent le premier à achever les examens écrits au cours d’entraîneur. Chacun disposait de trois heures, mais Nagelsmann avait souvent terminé très vite, à la consternation des autres.
Le cerveau
L’Allemand, qui a fêté ses 34 ans il y a un mois, considère que le football se joue avec la tête, pas avec les pieds. D’ailleurs, un des conseils qu’il prodigue à ses joueurs est de ne pas s’aventurer dans des duels physiques. On ne sait jamais de quel côté le ballon va rebondir dans un face-à-face ni si l’arbitre va siffler pour ou contre vous. Il vaut donc mieux que l’équipe se déplace bien, bloque les possibilités de passe et exerce une pression sur l’homme en possession du ballon. Cela permet en plus d’augmenter le rythme, les joueurs ne s’étant pas fatigués à se battre pour le cuir. À l’issue d’un match, il ne dira jamais que ses joueurs auraient dû être plus agressifs dans les duels.
Pep Guardiola est le seul entraîneur avec lequel je discute de mes matches. » Julian Nagelsmann
Nagelsmann travaille l’intelligence de ses footballeurs. Il entraîne leur cerveau pour qu’ils soient à même de prendre de bonnes décisions rapidement quelles que soient circonstances. En fait, il veut que comme lui, ses joueurs soient aptes à analyser un match tout en le disputant. C’est pour cela qu’aucune séance ne ressemble à la précédente. Si l’adversaire change de style de jeu après vingt minutes, il veut que son équipe soit en mesure de réagir sans attendre qu’il lui explique quoi faire au repos. En modifiant constamment les conditions et les règles à l’entraînement, il incite ses joueurs à reconnaître des situations et des schémas. En cours de match, ils oseront ainsi s’adapter et prendre des décisions.
L’application sur laquelle ses discussions sont enregistrées est nouvelle pour les joueurs du Bayern. Elle s’intègre dans les méthodes de Nagelsmann. Il essaie constamment de tirer profit des nouveautés. À ses débuts à Hoffenheim, il avait fait installer un écran géant sur le terrain d’entraînement. Les exercices étaient filmés par des drones, afin que les joueurs puissent les regarder immédiatement. Il a ainsi agrandi l’horizon de ses hommes.
Les joueurs d’Hoffenheim ont découvert un nouvel univers, ils ont appris à porter un regard différent sur le football. Sur l’écran géant, par exemple, ils voyaient l’adversaire au travail et Nagelsmann pouvait leurs expliquer précisément où et comment faire basculer le jeu à leur avantage. Il avait prévu des exercices pour ce faire. Il a ainsi maintenu Hoffenheim, puis l’a qualifié pour la Ligue des Champions la saison suivante. Durant cette période, Nagelsmann a consulté un linguiste. Il a exercé sa voix pour la rendre plus convaincante face à un groupe ou une caméra. Durant ses premières semaines au Bayern, la concentration de Nagelsmann a une nouvelle fois marqué les esprits quand il était interrogé avant ou après un match. Ces moments sont cruciaux pour son image et il a donc cherché de l’aide pour mieux s’exprimer.
Control freak
On peut résumer son football en une phrase. « Contrôle du jeu par la possession du ballon et des changements de rythme, conquête du ballon sans duel », a répondu Nagelsmann à un journaliste qui l’interrogeait sur ses principes, peu après son arrivée au RB Leipzig. Nagelsmann ne travaille pas les automatismes. « Cela impliquerait que les mêmes situations se reproduisent constamment sur le terrain, ce qui n’est pas le cas. Le football est imprévisible et les joueurs doivent prendre leurs décisions eux-mêmes. Après tout, c’est leur match, pas celui de leur entraîneur. »
Dans de nombreux clubs, l’équipe de base est connue et ne bouge quasi pas, ce qui divise le noyau entre les titulaires en puissance et les remplaçants. Dans ses deux clubs précédents, Nagelsmann n’a communiqué son onze de base que peu avant le match. Il a préparé chaque joueur séparément au cours de la semaine sur le plan tactique, sans qu’aucun ne sache à l’avance qui serait titularisé. Nagelsmann estime que ça contribue à entretenir le moral des joueurs et que ça empêche les réserves et les jeunes talents de sombrer dans une certaine nonchalance. Reste à voir comment il va gérer cette situation au Bayern, étant donné qu’il va travailler avec des stars qui ont déjà beaucoup gagné et dont huit au moins savent qu’ils joueront toujours.
L’international Serge Gnabry a travaillé avec Nagelsmann à Hoffenheim au cours de la saison 2017-2018 et affirme avoir mieux compris le football depuis. Il a appris à mieux se placer et à jouer plus intelligemment grâce à des consignes ciblées. « Par exemple, il m’a montré, images à l’appui, que je reculais trop au lieu de me démarquer entre les lignes ou d’exploiter les brèches derrière les défenseurs. Il m’a appris à analyser mon propre jeu. »
Il prépare ses joueurs à leur adversaire dans les moindres détails. Nagelsmann est un brillant tacticien, qui explique très exactement à son équipe comment profiter des points faibles ou des habitudes de l’adversaire. Il y a un an, dans une interview accordée au magazine Socrates, il a cependant constaté qu’un plan de marche devenait moins important de nos jours. « Parce qu’il doit être constamment adapté en cours de match. Il y a trois ans, on pouvait encore concocter un plan qui suffisait pour tout le match. Maintenant, la préparation sert surtout à se faire une bonne idée de l’adversaire et à permettre aux joueurs d’entamer la partie dans les meilleures conditions possibles. Ce plan n’est pas bétonné. Il faut être prêt à s’adapter à différents systèmes. Le plan est plus général, il concerne par exemple la manière d’être en supériorité numérique à la construction. On joue un peu avec le système et les nombres. On s’en sert pour transposer ses idées sur le terrain, mais ça ne fonctionne pas quand on fait toujours la même chose. »
Nagelsmann n’a encore rien gagné. La saison dernière, il a perdu la finale de la Coupe d’Allemagne avec Leipzig face au Borussia Dortmund. Il y a quatre ans, à 29 ans, il a toutefois été élu Entraîneur de l’Année, comme Jürgen Klopp, Jupp Heynckes, Thomas Tuchel et Louis van Gaal avant lui. On s’est longtemps attardé sur son jeune âge. Nagelsmann est toujours très jeune pour un entraîneur principal. Ce qui a décidé la direction du Bayern, c’est son aptitude à faire progresser une sélection. Les jeunes ne sont pas les seuls à s’améliorer sous sa direction. À Hoffenheim et à Leipzig, des footballeurs plus âgés se sont redécouverts et se sont distingués dans un tout nouveau rôle. « Ce qui était nouveau pour moi, c’est qu’il aborde le football comme un lego », a raconté l’avant Sandro Wagner. « Il décortique un jeu compliqué en morceaux, il exerce chaque partie puis les remonte. Il traite tous les joueurs de la même façon et n’éprouve pas le besoin de changer les gens. C’est son point fort, en plus de sa connaissance du métier. »
La philosophie de jeu de Nagelsmann? Contrôle du jeu par la possession du ballon et des changements de rythme, conquête du ballon sans duel.
En skateboard au stade
Jeune, ambitieux, accessible, empathique et fantaisiste. Nagelsmann habitait à sept kilomètres du centre d’entraînement du RB Leipzig et par bon temps, il sortait son skateboard électrique de l’armoire. Les supporters voyaient leur coach slalomer sur le trottoir. « Je comprends qu’ils aient été stupéfaits de voir passer leur entraîneur à skateboard », a-t-il raconté il y a un an et demi au Daily Mail. « J’aime me déplacer de cette façon. Ça fait rire les gens. J’espère qu’ils ne me prennent pas pour un fou, mais qu’ils comprennent que je mène une vie normale. » Les goûts vestimentaires de Nagelsmann semblent faire l’objet d’une étude approfondie, comme son goût pour le maquillage et la teinture de ses sourcils ( voir encadré).
Cette saison, il doit remporter ses premiers trophées. Il espère marcher sur les traces de ses mentors. Nagelsmann a été partiellement formé par Ralf Rangnick et Thomas Tuchel, et considère Pep Guardiola comme son grand exemple. Il converse depuis des années avec le Catalan. « Il est le seul entraîneur avec lequel je discute de mes matches », a raconté Nagelsmann à Sport Bild. « Je lui envoie généralement quelques vidéos de notre entraînement ou des highlights des derniers matches, et je lui raconte ce que je compte faire pour la rencontre d’après. Il me dit sincèrement ce qu’il trouve bon ou moins bon et nous en discutons. J’apprécie son opinion, car il parle souvent de concepts audacieux auxquels je n’ai jamais pensé. »
Nagelsmann a concrétisé un rêve en rejoignant le Bayern. À 34 ans, il est au sommet de la pyramide du foot allemand et peut appliquer ses idées au sein du club le plus riche, le plus populaire, le plus détesté et le plus influent du pays. Dans le stade où il voulait se produire, petit. Car Julian a grandi en Bavière, à Landsberg am Lech. Gamin, il se glissait sous une couette aux couleurs du Bayern le soir, et il y a quatre ans, il a déjà fait construire une maison dans une banlieue de Munich, alors qu’il entraînait Hoffenheim. Il y a emménagé avec sa femme et leurs deux enfants. Déterminé et têtu, Nagelsmann s’est toujours su prédestiné au Bayern. À 19 ans, quand une blessure au dos l’a empêché de jouer au niveau professionnel, alors qu’il se produisait pour le TSV Munich 1860, il aurait dit à un de ses coéquipiers: « Alors, je vais devenir entraîneur en Bundesliga. » Neuf ans plus tard, il succédait à Huub Stevens à Hoffenheim.
Vêtements et maquillage
« Ses tenues sont le reflet de son âme », a fait remarquer un psychologue du sport l’année dernière dans les colonnes du Süddeutsche Zeitung. « Ils montrent une personne courageuse, indépendante, qui n’a pas peur d’expérimenter des tactiques ou des styles vestimentaires. » Ses joueurs ont l’habitude de le voir apparaître dans les combinaisons de couleurs les plus audacieuses. Les commentateurs allemands doivent encore se faire au côté fashion victim de Nagelsmann. « On dirait qu’il a arraché la housse de mon divan », a un jour ironisé Mehmet Scholl, consultant de Bild, en découvrant sa veste portée à l’occasion de la demi-finale de Ligue des Champions contre le PSG. En octobre dernier, à Old Trafford, il se baladait avec une veste à carreaux bleus. « Cessez de m’interroger sur mes vêtements », a-t-il répondu, un brin énervé, à un commentateur de Sky Germany qui orientait la conversation sur sa tenue. « Je porte ce que je veux. Je suis entraîneur de football, pas mannequin. »
Ces couleurs et ces vestes originales ne relèvent pas du hasard. Il aime se démarquer lors des grands soirs. Un jour, avant le premier match de la saison, il s’est même maquillé pour avoir l’air frais et dispos. Des millions de spectateurs ont suivi le match Bayern-Hoffenheim et ont tout de suite remarqué que le coach s’était poudré le visage. Il a été immédiatement questionné à ce propos à l’issue de la partie. « Personne ne s’offusque que les filles veuillent être belles », a réagi Nagelsmann, surpris. « Je ne vois pas pourquoi les hommes ne feraient pas pareil. » Il a également demandé à son coiffeur de modifier la couleur de ses sourcils afin qu’on remarque moins ses paupières tombantes.
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