« Il y a des Nagelsmann en Belgique, mais les clubs ne veulent pas les voir »
Pourquoi les clubs de D1 optent-ils si rarement pour des coaches belges sans passé de joueur professionnel?
Entre Julian Nagelsmann et Domenico Tedesco, les points communs sont nombreux. Les deux trentenaires allemands ont étudié au sein de la célèbre académie d’entraîneurs Hennes Weisweiler, et reçu rapidement leur chance au sein de l’élite allemande. À Hoffenheim pour le premier, aujourd’hui à Leipzig, et à Schalke pour le second. Surtout, aucun des deux hommes n’a joué le moindre match de football professionnel.
En Belgique, les coaches qui sont dans le même cas se comptent sur les doigts d’une main. Francky Dury, Felice Mazzù et Yannick Ferrera ne sont que les exceptions qui confirment une règle: les équipes de l’élite belge préfèrent confier leur sort à des étrangers souvent inconnus ou à d’anciens pros belges.
Si un club a le choix entre deux coaches, il ira toujours vers l’ancien joueur.
Dans le même temps, de très rares diplômés belges sans expérience professionnelle reçoivent leur chance à l’étranger. Tom Saintfiet est l’un de ceux-là. Il a déjà un demi tour du monde à son actif, et est depuis 2018 à la tête de la Gambie d’Omar Colley et Bubacar Sanneh.
« En soi, je n’ai aucun problème avec le fait que d’anciens joueurs professionnels deviennent coaches », raconte Saintfiet. « Regardez Wouter Vrancken à Malines. Il a commencé dans les divisions inférieures et a fait ses gammes à Thes Sport, notamment. C’est seulement par la suite qu’il est arrivé à Malines. Seulement, je ne sais pas s’il aurait reçu cette chance s’il n’était pas Wouter Vrancken, avec des centaines de matches en D1 à son actif. Cela a toujours été comme ça: les portes s’ouvrent beaucoup plus facilement quand tu as été professionnel. »
Actuellement en poste à Al-Fateh, en Arabie saoudite, Yannick Ferrera confirme: « Nous devons travailler beaucoup plus dur pour entrer dans le circuit. J’ai souvent entendu qu’un autre candidat connaissait mieux la maison. Si un club a le choix entre deux coaches, il ira toujours vers l’ancien joueur. »
J’ai le sentiment qu’en Belgique, les gens que tu connais sont plus importants que les choses que tu connais.
Quelques années plus tôt, Ferrera avait pourtant su convaincre un club. En 2012, après quelques années passées chez les jeunes d’Anderlecht puis comme assistant de Michel Preud’homme, il a eu l’opportunité de prouver sa valeur à Charleroi, à 31 ans à peine. « Je dois remercier Abbas Bayat pour ça. En tant que jeune entraîneur, tu as besoin de gens qui osent penser out of the box. Quel autre président aurait poussé pour me donner une chance? »
Quand le carrousel des entraîneurs fait une pause pour accueillir un nouvel élément, ce sont très souvent les mêmes noms qui garnissent la liste des candidats. « Dans le passé, j’ai déjà été en contact à plusieurs reprises avec des clubs de D1 belge », explique Saintfiet. « Le discours est presque toujours le même: Ton profil est intéressant, mais tu n’as pas d’expérience en Belgique, tu ne connais pas la compétition. J’ai le sentiment qu’en Belgique, les gens que tu connais sont plus importants que les choses que tu connais. Je n’ai pas d’autres explications pour comprendre pourquoi des étrangers inconnus ont eu droit à un poste. Je ne connaîtrais pas assez la compétition belge, mais un Israélien ou un Espagnol qui peuvent à peine communiquer avec leurs joueurs, oui? »
« Tu ne vas pas me dire que des gens comme Fuat Capa ou Karel Fraeye ne sont pas assez bons pour coacher le Cercle ou Waasland? », poursuit le Campinois. « Mais ce que je ne comprends vraiment pas, ce sont les clubs qui optent pour des coaches qui n’ont ni diplôme, ni expérience d’entraîneur. Ivan Leko qui arrête de jouer et qui devient immédiatement coach à OHL, ça m’échappe. Ces diplômes existent, donc si nous voulons nous prendre au sérieux, nous devons les respecter. Beaucoup de clubs pensent qu’ils s’achèteront du crédit auprès des sponsors ou des supporters en optant pour un grand nom. S’ils choisissent un Belge inconnu et que ça se passe mal, ils courent le risque d’être désignés comme les responsables. »
Dans le monde de l’entreprise, on vérifie toujours qu’une personne corresponde au profil avant de l’engager pour un rôle-clé. Dans le football, c’est: Oh regarde, celui-là, il était dans l’album Panini.
Saintfiet et Ferrera s’étonnent aussi de voir la légèreté avec laquelle beaucoup de clubs belges traitent le recrutement d’un nouveau coach. « En Belgique, de nombreux dirigeants sont convaincus si quelqu’un leur dit: Celui-là, tu dois le prendre, c’est un bon. Je connais des clubs à l’étranger où tu dois passer toute une batterie de tests avant d’atteindre un job », compare Ferrera.
En 2006, Saintfiet était le directeur sportif du FC Emmen, aux Pays-Bas. « Nous faisions alors des entretiens psychologiques avec les coaches que nous visions. C’est quand même logique. Dans le monde de l’entreprise, ils vérifient toujours qu’une personne corresponde à leur profil avant de lui confier un rôle-clé. En football, ça n’arrive presque jamais. Ils se disent seulement: Oh, regarde, celui-là, il a joué là. Il a même été dans l’album Panini.«
En guise d’exemple, Ferrera cite le Portugal. À l’ouest de la péninsule ibérique, de nombreux jeunes coaches ont récemment reçu leur chance, comme Leonardo Jardim, Vitor Pereira ou Pedro Caixinha. « Même André Villas-Boas. Il a travaillé plusieurs années dans le staff de José Mourinho avant de recevoir un job à l’Academica Coimbra. Grâce à ce qu’il a pu y montrer, il a reçu sa chance au FC Porto. »
Devenir entraîneur à 31 ans, c’est comme débuter chez les pros à 16 ans. Les erreurs des jeunes joueurs sont souvent pardonnées par les médias. Les coaches n’ont pas droit à l’erreur.
« J’avais fait une prestation plus ou moins similaire à Charleroi, aux normes belges », poursuit le coach d’Al Fateh. « Mais aucun grand club n’a alors pensé à moi. J’ai donc fait une étape supplémentaire à Saint-Trond. Donner une chance à un jeune coach, c’est beaucoup moins ancré dans notre culture. »
Ferrera voit encore une différence entre la Belgique et le Portugal, dans le traitement réservé par la presse aux jeunes coaches: « Devenir entraîneur à 31 ans, c’est un peu comme faire tes débuts chez les pros à 16 ans. Les jeunes joueurs font des erreurs, et elles sont souvent pardonnées par les médias. Je ne suis pas un Calimero, mais j’ai souvent eu l’impression que je n’étais pas soutenu, que je n’avais pas droit à l’erreur. Si les Portugais ont un tel succès à l’étranger, c’est aussi parce qu’ils vendent mieux leurs propres produits. Mais bon, je ne peux pas me plaindre, j’ai eu ma chance. J’espère pouvoir inspirer d’autres clubs pour qu’à l’avenir, ils donnent une chance à un jeune coach. »
« Des gars comme Yannick, ou comme Felice Mazzù ont montré qu’on pouvait prester au plus haut niveau sans jamais y avoir joué », confirme Saintfiet. « Croyez-moi, il y a des Nagelsmann et des Tedesco en puissance en Belgique. Les clubs ne veulent seulement pas les voir. »
Le sélectionneur des Gambiens voit dans la D1B l’environnement idéal pour donner une chance aux jeunes coaches belges. « Beaucoup de gens se plaignent de la manière dont les équipes de D2 sont dirigées, mais pour moi ça pourrait parfaitement être une série à seize équipes. Nous devons nous inspirer de l’approche néerlandaise: payer des salaires normaux, et donner des chances à nos talents, qu’ils soient joueurs ou entraîneurs. »
Yanko Beeckman
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