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Lionel Messi ne méritait-il tellement pas son Ballon d’Or ?

L’Argentin a reçu pour la septième fois le célèbre prix de France Football. Mais les critiques ont rapidement fusé sur la toile n’hésitant pas à parler de hold-up ? Excessif ? Réaliste ? Jorginho ou Lewandowski le méritaient-ils plus ? On essaie de répondre à la question entre chiffres et subjectivité.

« Avec tout le respect que je dois à Messi et aux autres grands joueurs nommés, aucun ne l’avait autant mérité que Lewandowski« , ça c’est l’avis de Lothar Matthaüs, lui même récompensé du Ballon d’Or en 1990. « On ne peut jamais dire qu’il est injuste que Messi gagne le Ballon d’Or. Il est trop bon. », ça, c’est celui de Pep Guardiola qui a dirigé l’Argentin, mais aussi l’attaquant polonais. On le voit les avis diffèrent concernant l’attribution d’une distinction individuelle qui aura moins fait jaser chez les femmes (Alexia Putellas) et chez les Espoirs (Pedri).

LE PARADOXE DU PRIX INDIVIDUEL DANS UN SPORT COLLECTIF

Dans un sport où la grande majorité des acteurs manie la langue de bois à chaque interview et rappelle machinalement à quel point le plus important est le collectif et l’équipe et à quel point ils ne seraient rien sans leurs partenaires, cette obsession à désigner le meilleur d’entre-tous peut paraître paradoxale. Jürgen Klopp, lui-même, n’aime pas employer le terme « meilleur » quand on lui demande quel est le joueur le plus fort de son équipe. L’Allemand à la casquette avait cependant fait une exception pour Robert Lewandowski, qu’il avait dirigé au Borussia Dortmund, quand on lui demandait quel était le meilleur élément qu’il avait eu à entraîner.. Mais l’humain est ainsi fait. Les récompenses individuelles et la mise en avant de soi sont évidemment importantes et les footballeurs n’échappent évidemment pas à la règle. Lionel Messi, Cristiano Ronaldo, Karim Benzema, Robert Lewandowski et cie apprécient que leur talent soit reconnu à leur juste valeur tant bien même ils seraient sincèrement reconnaissant du travail de l’ombre de leurs partenaires. Le football, c’est évidemment des équipes mais surtout des stars.

Le clin d'oeil et le sourire sont sûrement un peu forcés. Il semble évident que le lot de consolation reçu par Robert Lewandowski en compensation de l'annulation du Ballon d'or 2020 n'a pas suffi à le consoler de sa deuxième place en 2021.
Le clin d’oeil et le sourire sont sûrement un peu forcés. Il semble évident que le lot de consolation reçu par Robert Lewandowski en compensation de l’annulation du Ballon d’or 2020 n’a pas suffi à le consoler de sa deuxième place en 2021.© iStock

Mais oublions ce paradoxe pour se pencher sur le sentiment d’injustice, de vol qu’ont ressenti beaucoup de suiveurs du ballon rond à l’annonce du lauréat. Il est sans doute nourri par un autre paradoxe du sport, c’est que les distinctions individuelles sont toujours remises en automne, à une période où les trophées collectifs sont encore loin d’être acquis. Les statistiques des acteurs sont souvent analysées sur une saison qui s’étend sur deux moitiés d’année civile alors que des prix comme le Ballon d’or ou le Soulier d’or chez nous prenne en compte toute une année civile. Et forcément cette caractéristique fait la dynamique des saisons est parfois bien différente entre des mois d’avril où les luttes sont acharnées et les compétitions dans leur sprint final et un mois de novembre où les favoris se contentent parfois du minimum syndical pour garder du jus en vue de l’emballage final. La mémoire des suiveurs de football est souvent courte et les dernières semaines ont parfois tendance à effacer les moments où les acteurs ont dû sortir leurs plus belles prestations.

LE PARADOXE DE TITRES COLLECTIFS SE REMETTANT AU PRINTEMPS ET EN ETE ET DE PRIX INDIVIDUELS TOMBANT EN AUTOMNE

A ce titre, les automnes de Lionel Messi et de Jorginho sont évidemment loin de mériter des pluies de louanges. Robert Lewandowski, le maître artificier du Bayern Munich, pensait sûrement que ses avalanches de buts à l’approche de l’hiver marqueraient les esprits, tout en pensant paradoxalement qu’on oublierait pas qu’il aurait été un lauréat assez logique en 2020. Mélanger culture de l’instant et mémoire des moments qui comptent est évidemment un calcul hasardeux à l’heure de remettre la plus prestigieuse des récompenses individuelles. Les votants sont supposés s’y connaître, même si certains votes en provenance de pays exotiques peuvent laisser dubitatifs. Ils n’ont donc pas oublié les victoires collectives du printemps et de l’été et les artisans de celles-ci.

A ce petit jeu, est-ce que remporter une Bundesliga avec l’équipe la plus forte d’Allemagne (et de loin) depuis des années est un exploit qu’il convient de récompenser plus que cela ? De son côté, Lionel Messi a en Argentine un trophée que le pays attendait depuis 28 ans. Par le passé, beaucoup reprochaient à La Pulga de ne briller que dans le cocon barcelonais alors qu’elle était incapable de porter sa sélection nationale.

Lorsqu’il rafla la récompense en 2010, on estimait que Léo n’avait que ses statistiques à faire valoir (60 buts et 21 passes décisives toutes compétitions confondues en club et en sélection) puisque son Barça n’avait remporté qu’une Liga alors que dans le même temps ses coéquipiers Xavi et Iniesta étaient couronnées au niveau mondial avec la Roja (avec le but de la victoire pour Don Andrès). Et l’on n’oubliera pas Wesley Sneijder, maître à jouer d’un Inter Milan vainqueur d’un triplé historique (Serie A, Coupe d’Italie et Champions League) et de Pays-Bas finalistes de la Coupe du monde.

De cet angle là, on peut donc comprendre la déception de Lewy, auteur de 62 buts en 2021 (sélection comprise), mais seulement vainqueur de son championnat. Mais peut-on passer sous silence, le fait qu’il ait manqué en 1/4 de finale de la C1 contre le PSG et que la Pologne n’a pas passé le premier tour de l’Euro. On a en revanche plus de mal à suivre ceux qui défendent le bilan du Polonais en 2021 mais qui s’insurgent toujours de l’affront fait à Sneijder onze ans plus tôt. Mais c’est ça aussi le football. Une bonne dose de subjectvité saupoudrée de mauvaise foi.

En 2010 aussi, le Ballon d'Or de Lionel Messi avait fait jaser. Beaucoup de monde estimait que Wesley Sneijder (ici de dos) le méritait beaucoup plus au vu de son parcours en club et en équipe nationale.
En 2010 aussi, le Ballon d’Or de Lionel Messi avait fait jaser. Beaucoup de monde estimait que Wesley Sneijder (ici de dos) le méritait beaucoup plus au vu de son parcours en club et en équipe nationale.© iStock

QUELS SONT LES CRITERES DE VOTES ?

Mais au final, quels sont les critères de vote pour un prix comme le Ballon d’Or. Kristof Terreur, journaliste chez Het Laatste Nieuws, les a publié sur son compte Twitter. En premier, le votant doit tenir compte des performances individuelles et collectives des joueurs, En second, il doit juger le talent intrinsèque du joueur et son fair-play. Enfin, il doit affiner son choix en tenant compte de la carrière générale du joueur. Du coup que peut-on en retirer pour les différents nominés ?

Au niveau des performances collectives, avantage à Jorginho. Le milieu défensif italien a remporté une Champions League et un Euro. Difficile de faire mieux. Son coéquipier à Stamford Bridge, N’Golo Kanté présente aussi de beaux atouts dans son jeu avec la Coupe aux grandes oreilles et la Nations League. Un trophée qui est la seule ligne du palmarès 2021 de Karim Benzema. Du côté de Robert Lewandowski, rien d’autre à se mettre sous la dent qu’une Bundesliga alors que Léo Messi, malgré une année moins clinquante, a rajouté une Copa del Rey et surtout une Copa América à sa collection de Coupes. Sur base de ce point, La Pulga ne part pas nécessairement en mauvaise position.

LES TROPHEES COLLECTIFS POUR JORGINHO, LES STATS POUR LEWANDOWSKI MAIS…

Sur le plan individuel, les joueurs défensifs sont forcément désavantagés dans un monde où le ratio buts+assists est devenu la référence ultime de l’étalonnage de la qualité d’un footballeur. Autant dire qu’un gardien de but part forcément perdant… Pourtant, difficile de se dire que l’Italie aurait soulevé la Coupe Henri Delaunay sans les parades de Giogio Donnarumma. Les Blues de Chelsea seraient-ils aussi efficaces sans Edouard Mendy entre les perches ? Rappelons qu’avec Kepa ou Caballero pour défendre ses filets, le club londonien ne jouait pas spécialement les premiers rôles et se faisait corriger par le Bayern Munich en 2020, ce qui ne serait sans doute plus le cas aujourd’hui.

Même constat pour les défenseurs. Beaucoup ont vanté la solidité du roc Giorgio Chiellini pendant le dernier Euro. Le défenseur central de la Juventus est aussi considéré comme l’un des grands artisans du titre de la Squadra Azzurra. Pourtant, on ne le retrouve même pas dans le top 10 du Ballon d’Or 2021 alors que Fabio Cannavaro avait raflé la mise en 2006 grâce à un mondial 4 étoiles. En 2018 aussi, on s’était aussi ému que Raphael Varane, champion du monde avec la France et vainqueur de la C1 avec le Real Madrid, ne soit même pas sur le podium final. La règle première dans le football est de marquer et tant pis si pour gagner, il faut aussi savoir bien défendre.

Des milieux discrets et travailleurs de l’ombre comme Jorginho ou N’Golo Kanté ne sont pas non plus aidés par ce ratio buts-assists omniprésent. Pourtant c’est bien au coeur du jeu que l’on trouve l’équilibre d’une équipe. Jorginho n’était peut-être pas sur le plan intrinsèque le meilleur joueur des Azzurri mais le système de Roberto Mancini pouvait-il être aussi efficace sans la présence du Brésilien d’origine en temps qu’organisateur devant la défense ? Là encore, le débat est sans doute subjectif.

Car au final, en football, ce sont les buts qui comptent. Et nous allons donc nous pencher sur les performances en club des joueurs offensifs du top 5 de ce Ballon d’Or. Tout d’abord, le maître incontesté de l’efficacité en 2021:Robert Lewandowski. Celui-ci a été décisif à 56 reprises (51 buts et 5 passes décisives). Il devance de peu Kylian Mbappé impliqués dans 55 goals des siens (37 buts et 18 passes décisifs.), Erling Haaland (53, 38 buts et 15 passes décisives). Karim Benzema a marqué à trente-deux reprises en délivrant 12 assists (impliqué dans 44 réalisations donc). C’est juste deux buts de plus que Léo Messi qui a facturé le même nombre d’assists.

Au royaume des stats, Jorginho et Kanté (ici face à Kevin De Bruyne et Gündogan) n'ont pas les mêmes arguments à présenter que les Messi et Lewandowski. Mais sont-ils moins importants pour autant à leur club et à leurs sélections ?
Au royaume des stats, Jorginho et Kanté (ici face à Kevin De Bruyne et Gündogan) n’ont pas les mêmes arguments à présenter que les Messi et Lewandowski. Mais sont-ils moins importants pour autant à leur club et à leurs sélections ?© Getty Images/iStock

On le voit Lewygoal est beaucoup plus porté sur la finition que sur le jeu et ce fait s’est accentué cette année. Lors des douze mois de 2020, le Bomber du Bayern avait marqué à 45 reprises et délivré 15 assists. Il était donc impliqué dans plus de buts que cette année, alors qu’il était sans doute plus difficile de performer à une époque covidée où les calendriers ont été fortement perturbés et où les matches se sont enchainés à des rythmes fous par période. Le Lewandowski de 2021 étant parfois comparé au Messi de 2010, on constate que l’Argentin avait sa patte gauche tatouée au mollet présente dans 77 buts à l’époque (58 buts et 19 assists). On peut donc légitimement se poser la question: est-ce que Robert Lewandowski est vraiment le meilleur joueur de l’année ou juste le meilleur buteur ?

MESSI PRESENT QUAND CELA COMPTE

Le bilan en sélection nationale est aussi à ajouter dans la balance. Forcément, au sein d’une équipe polonaise moins performante sur le papier que la France ou l’Argentine mais souvent en deça du niveau que l’on est en droit d’attendre d’elle, Robert Lewandowski a logiquement plus de difficultés à s’illustrer et à carburer au même rythme qu’en Bavière. Son bilan n’en reste pas moins brillant puisqu’il est impliqué dans 15 buts de la Biale Orly (11 buts et 4 passes décisives) en 2021. Là aussi, il fait mieux que tous ses concurrents offensifs à l’exception de Kylian Mbappé lui aussi impliqué dans 15 buts des Bleus, même si la proportion buts et assists est plus équilibrée (8 buts et 7 assists). Benzema impliqué dans 11 goals (9 buts et 2 passes décisives en 13 matches tout comme Lewy) et Lionel Messi dans 14 (9 buts et 5 assists) font un peu moins bien.

Mais les titres récoltés pèsent alors dans la balance. Alors que le Polonais n’a marqué que 3 buts ne rapportant qu’un point à sa sélection éliminée dès le premier tour de l’Euro, les trois autres ont contribué bien plus aux succès de leurs couleurs. Après un Euro raté, Kylian Mbappé s’est montré plus inspiré en Nations League. Tant contre la Belgique en demi-finale qu’au stade ultime contre l’Espagne, la Tortue de Paris a été bonne pour marquer un but et délivrer une passe décisive à chaque fois. Le natif de Bondy est donc impliqué dans quatre des cinq buts hexagonaux lors de cette compétition remportée par son pays. Imparable.

Du côté de son compère en pointe de l’attaque bleue, Karim Benzema, on recense 2 buts en Nations League et un bilan à l’Euro plus mitigé. Malgré deux doublés contre le Portugal et la Suisse, cela n’a rapporté qu’un seul point à l’Equipe de France, même si cette dernière a quand même atteint les 1/8e de finale.

Quand, il s’agit d’être l’homme fort dans les moments qui comptent Lionel Messi répond forcément présent. Lors de sa Copa América victorieuse avec l’Argentine, le maître à jouer albiceleste a été impliqué dans… 9 buts (4 buts et 5 passes décisives). Il n’y a que lors du match de poule contre le Paraguay et lors de la finale que le nouveau joueur parisien n’a pas mis son pied gauche dans les deux buts marqués par ses couleurs. Messi qui ne marque pas en finale, c’est comme Robert Lewandowski en finale de la Champions League 2020 où il était resté muet et plutôt discret face au PSG. Pas vraiment l’argument à ressortir au moment de trouver des raisons de ne pas lui attribuer le Ballon doré.

Enfin, le dernier critère de vote évoquait la carrière en générale du joueur. Jorginho part logiquement derrière Lionel Messi et Lewandowski qui réalisent d’énormes saisons chiffrées depuis des années. Pareil pour N’Golo Kanté qui a percé sur le tard même s’il a rempli son armoire à titres quasiment plus rapidement que les deux éléments offensifs. Et pour départager les deux premiers du classement, l’argument de l’ensemble de la carrière a sans doute aussi pesé dans la balance. Si le Polonais est réellement impressionnant depuis 6 saisons, l’Argentin domine le monde du ballon rond avec son compère Cristiano Ronaldo depuis plus de dix ans. Difficile pour un troisième homme de trouver sa place sans avoir autant de titres. Car si Novak Djokovic n’est pas vraiment aussi aimé du public que Roger Federer ou Rafael Nadal, il a su imposer sa griffe en se placant à leur hauteur sur le plan des Grands Chelems gagnés. Robert Lewandowski en est forcément plus loin, lui qui a remporté 25 Coupes avec ses trois clubs (Lech Poznan, Borussia Dortmund et Bayern Munich), là où CR7 et La Pulga affichent des CV’s riches respectivement de 36 et 38 titres…

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