Pourquoi le dixième titre du Bayern est le symbole du nouveau football
Le dixième titre consécutif du Bayern Munich n’est pas seulement un exploit unique, mais aussi une conséquence du fossé économique qui continue de se creuser entre les clubs du top et le reste. Les surprises se font désormais de plus en plus rares et la question est de savoir ce que les patrons de ligues et de l’UEFA vont faire pour éviter que les compétitions de football ne soient pas toujours gagnées par le(s) même(s) club(s) .
Les dix derniers titres de la Bundesliga sont revenus à un seul et même club, le Bayern Munich. Personne n’a eu le droit de s’installer à sa table au cours de la dernière décennie. Si ce succès sportif est impressionnant et beau, il ne peut être séparé de l’avance financière sans précédent que le club bavarois a pris sur le numéro deux allemand, le Borussia Dortmund.
Le Bayern a toujours disposé de plus d’argent. La dernière fois que le Bayern est passé à côté des lauriers nationaux, en 2012, il avait engrangé 350 millions de revenus, contre environ 200 millions pour le Borussia Dortmund, alors pourtant champion. Les années qui ont suivi, cet écart s’est encore creusé. Avec l’aide de ses puissants actionnaires Adidas, Audi et Allianz, les Munichois ont connu une croissance sans précédent, en gagnant jusqu’à 750 millions d’euros la dernière année avant la crise du Covid. Lors de cette période, le football international est également devenu de plus en plus important en termes d’image et de revenus.
Les clubs les plus importants et les plus performants ont commencé à réclamer des parts de plus en plus importantes des recettes télévisées et des gains attribués. Le Bayern en a profité. Pendant la période du coronavirus où les stades étaient vides, l’autocrate allemand a certes perdu une centaine de millions, mais on s’attend quand même à ce qu’il retrouve la saison prochaine le niveau record de revenus qu’il avait atteint lors de l’exercice 2018-19.
Bien que les revenus télévisuels de la Bundesliga soient beaucoup plus faibles que ceux de la Premier League, le Bayern peut encore rivaliser avec les plus grands clubs de la planète grâce à l’argent de ses sponsors, à la rentabilité de son stade et aux revenus impressionnants générés par les produits dérivés. En effet, en termes de revenus, le Bayern est actuellement le troisième club d’Europe, derrière Manchester City et le Real Madrid.
Son principal rival sur la scène nationale a logiquement peiné à suivre cette folle croissance. Les Borussen se sont également bien développés et ont réalisé un chiffre d’affaires de plus de 300 millions d’euros l’année dernière, mais il n’atteint même pas la moitié de celui de Munich. L’écart entre les deux clubs est passé de 150 à 350 millions en dix ans. Grâce à cet écart gigantesque, le Bayern peut dépenser deux fois plus d’argent pour proposer des salaires attractifs que le numéro deux allemand. Et tout ça, sans courir le moindre risque de déficit budgétaire.
Le reste de la Bundesliga se trouve déjà à des années-lumière, notamment parce que l’interdiction en vigueur en Allemagne de vendre des parts des clubs ne leur permet pas de faire appel à de gros investisseurs pour rattraper leur retard. La saison dernière, Der Rekordmeister versait 350 millions de salaires. Robert Lewandowski, touche aux alentours de vingt millions d’euros par an, soit environ le double du joueur le mieux payé de Dortmund, Marco Reus.
Polarisation économique
En bref, si tous les clubs ont bénéficié financièrement de la commercialisation du football, celle-ci a également conduit à une polarisation économique. Il n’y a guère que dans la Bundesliga que cela s’exprime de manière aussi extrême. Le Bayern ne peut et ne veut pas payer les salaires démesurés, presque injustifiables, de Lionel Messi et Kylian Mbappé au PSG, mais à quelques exceptions près, Munich propose des rétributions conformes au marché dans le top absolu du football européen.
Le Borussia Dortmund n’en est tout simplement pas capable. Il doit toujours vendre ses meilleurs joueurs car dix millions d’euros bruts ne suffisent tout simplement pas pour rivaliser avec les clubs de l’élite internationale. Tant que la direction du Bayern poursuivra une bonne politique, le club sera extrêmement difficile à battre sur les 34 matches d’un championnat. L’année dernière, le directeur Oliver Kahn anticipait la prochaine pluie de bière, symbolisant le gain du titre national : « Maintenant que la Juventus n’est pas devenue championne d’Italie, nous pouvons faire ce qui n’a jamais été fait auparavant dans un championnat de haut niveau : gagner dix fois de suite. »
Avec Bayern-jäger, un terme spécial a même vu le jour pour désigner le club courageux qui tente de voler le trophée au champion quasi certain. Pendant ce temps, plusieurs ligues européennes s’apprêtent à vivre un scénario similaire à ce qu’il se passe en Allemagne. En Autriche, le Red Bull Salzbourg est sur le point de décrocher son neuvième titre. Au début du mois, Ludogorets a même décroché son onzième titre consécutif en Bulgarie. Ces dernières années, la Juventus (neuf titres consécutifs entre 2012 et 2020) et le Celtic (neuf également) ont également largement survolé leurs compétitions respectives. En Croatie, le Dinamo Zagreb est en passe de s’offrir un seizième championnat national en dix-sept ans et en France, les canons à confettis rouges et bleus ont retenti voici quinze jours pour célébrer le huitième titre en dix ans du Paris Saint-Germain. Dans certains pays, le suspense de la compétition nationale est donc devenu de plus en plus monotone.
Le Bayern est également une source d’inspiration pour l’Ajax. Le club d’Amsterdam ne peut pas copier complètement le modèle allemand, car il évolue simplement dans un championnat de moindre envergure et est toujours contraint de vendre ses meilleurs talents. Mais il est vrai aussi que l’Ajax offre des salaires deux fois plus importants que ceux proposés au PSV. Afin d’essayer de suivre le rythme, le club d’Eindhoven s’est constitué un trésor de guerre grâce au soutien de ses sponsors. Les autres clubs d’outre-Moerdijk ne peuvent en revanche plus suivre. Il serait dès lors très improbable qu’une double surprise, comme les titres des modestes AZ Alkmaar en 2009 et du FC Twente en 2010, se répète aux Pays-Bas.
Baisse de la diversité
Heureusement, l’argent ne suffit pas toujours pour s’assurer des trophées et des surprises continuent de se produire, comme cette saison où Villarreal a atteint les demi-finales de la Ligue des champions, en sortant notamment le Bayern et la Juventus, deux clubs dominateurs sur leurs terres. La demi-finale de l’Ajax en 2019 et le titre de champion d’Angleterre de Leicester City en 2016 sont d’autres exemples évocateurs qui montrent que le rêve d’un exploit reste possible. Même si ces possibilités se font de plus en plus rares.
Diverses études ont démontré que le pourcentage de victoires des outsiders est en baisse depuis vingt ans et que la diversité des champions nationaux en Europe a diminué pendant cette péridoe. De plus, en moyenne, les championnats nationaux se décident de plus en plus tôt au cours de la saison. La plus prestigieuse des coupes européennes n’a été remportée que par cinq clubs issus de trois pays différents au cours des dix dernières années.
Les dirigeants reconnaissent régulièrement que les déroulements de championnats menacent de plus en plus de devenir des formules économiques. C’est pourquoi ils lancent le terme d’équilibre compétitif – un jargon pour un meilleur équilibre financier entre les clubs afin d’augmenter les chances d’un football passionnant et rempli de surprises. Dans la pratique, cependant, il n’en est rien. Même si de nombreuses ligues nationales ont commencé à répartir plus équitablement l’argent des droits télévisés, l’augmentation spectaculaire de ces recettes télévisuelles a en fait creusé l’écart en montants absolus.
La Bundesliga est connue pour être l’un des championnats en Europe où les recettes sont les mieux redistribuées. Néanmoins, par rapport à il y a dix ans, l’avantage du Bayern Munich en matière d’argent de droits télévisés a encore augmenté. L’UEFA renforce cette formalisation des différences budgétaires en distribuant les primes européennes en grande partie sur la base des performances passées. Du coup, si le Borussia Dortmund obtenait de meilleurs résultats, il y aurait de fortes chances que le Bayern continue de prendre une part plus importante du magot.
Jusqu’à quel point le sport le plus populaire du monde peut-il devenir prévisible avant de se décrédibiliser ? Où ira-t-on dans les décennies à venir ? Le football restera-t-il un sport de haut niveau avec de nombreuses histoires merveilleuses d’outsiders qui surprennent ? Se transformera-t-il davantage en une industrie ordinaire dans laquelle l’équilibre du pouvoir et des profits entre les entreprises sera pratiquement fixé à l’avance ? Cette discussion se tiendra dans les coulisses au cours des prochaines années. Car ce dixième titre consécutif du Bayern Munich n’est pas seulement une exception dans le livre des records, il est aussi un symbole du nouveau football.
Compte tenu de l’excellente politique menée, de la gestion très saine, de la manière dont la crise du coronavirus a été surmontée et des performances sportives réalisées au cours des dix dernières années, le Bayern Munich reste un club modèle dans le football européen. Mais il y a aussi un revers de la médaille qui devrait conduire à une certaine réflexion.
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