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Strade Bianche: comment Lotte Kopecky est devenue une « gagneuse » et une inspiration pour le cyclisme belge féminin ?

Depuis deux ans, Lotte Kopecky frappait à la porte du top mondial. Elle l’a finalement fracassé sur la Piazza del Campo de Sienne, la plus belle arrivée des courses cyclistes de l’année. Une victoire tout aussi importante pour elle que pour l’avenir du cyclisme féminin belge.

Juste après avoir franchi la ligne d’arrivée sur la Piazza del Campo, Lotte Kopecky a secoué la tête, incrédule, la saisissant presque avec les mains. Puis elle a été reprendre son souffle le long des barrières de sécurité, les yeux fermés. « A ce moment, je pense : est-ce que c’est bien réel ? » Ou, comme elle le postera plus tard sur Instagram : « Pincez-moi », serrez-moi dans les bras – en espérant que sa victoire n’était effectivement pas un rêve. »

On était bien loin du scénario de l’an dernier lorsque Kopecky, toujours en lutte pour la victoire, avait perdu toutes ses illusions avec une crevaison dans l’un des derniers sterrato. Elle avait déclaré, extrêmement déçue, qu’elle aurait tellement aimé savoir où elle aurait pu terminer sans ce coup du sort avant d’affirmer avec beaucoup de détermination qu’elle serait de retour l’année prochaine.

On ne saura jamais si elle aurait pu gagner à Sienne ce jour-là. Mais ce n’était pas sûr, car au printemps 2021, elle n’y est parvenu « qu’une » fois, au GP Samyn. A part ce bouquet, elle a accumulé les places d’honneur : quatrième de l’Omloop Het Nieuwsblad, de la Nokere Koerse et de Bruges – La Panne, deuxième de Gand-Wevelgem et treizième de son Tour des Flandres, où sa chaîne lui avait plombé ses ambitions de victoire dans la course de ses rêves.

Une quatrième place ingrate

La conclusion après cette campagne des classiques était qu’elle se rapprochait encore un peu plus du top mondial. Ce qu’elle prouve encore dans les mois qui suivent avec une victoire d’étape au Thüringen Ladies Tour et une deuxième place au classement général, une victoire finale au Belgium Tour, en passant par deux titres de championne de Belgique sur route et contre la montre, et surtout : une quatrième place lors de la course sur route des Jeux Olympiques de Tokyo. Le meilleur résultat jamais obtenu par une femme belge.

Et pourtant, Kopecky est à nouveau extrêmement déçue, émue aux larmes. Elle avait les jambes pour gagner une médaille, mais elle a réagi trop tard à une attaque d’Elisa Longo Borghini. « Une quatrième place… Encore une fois, c’est si ingrat », sanglote la coureuse de Flandre-Orientale.

La tristesse est encore plus grande lorsqu’elle ne peut pas non plus défendre ses chances de médaille sur la piste. La malchance est encore de la partie. Elle chute dans la course par équipe et l’omnium, termine avec une côte fêlée et une hanche meurtrie. « Kopechy » (référence à « pech », malchance en néerlandais) titrent certains journaux du nord du pays.

Kopecky n'avait terminé que 4e de la course en ligne des Jeux olympiques. Une déception à l'époque d'être passée si près de la médaille.
Kopecky n’avait terminé que 4e de la course en ligne des Jeux olympiques. Une déception à l’époque d’être passée si près de la médaille.© iStock

Nouvelle motivation

Après cet été maudit , la coureuse d’Assen se concentre sur ses prochains grands objectifs : les championnats du monde à domicile et Paris-Roubaix. Son moral est regonflé par une victoire d’étape dans la Vuelta. Mais après, c’est de nouveau le temps des déceptions. Elle ne termine « seulement » que seizième à Louvain, selon elle à cause d’un mauvais positionnement dans les dernières côtes, et la semaine suivante, dans le premier Paris-Roubaix féminin, elle chute et connaît un incident mécanique.

Néanmoins, Kopecky trouve la motivation nécessaire pour tirer le maximum de son corps fatigué par cette longue saison lors des championnats du monde sur piste à la fin du mois d’octobre. Cette résistance lui permet de s’offrir le maillot arc-en-ciel dans la course aux points. Elle devient la première athlète belge féminine à réaliser cette performance. « Cela compense beaucoup de choses », déclare-t-elle à la fin de cette année remplie de hauts et de bas.

Elle est déjà tournée vers l’avenir, avec un repos bien mérité et surtout une nouvelle équipe pour 2022, la puissante SD Worx. Ce n’est pas par hasard si l’on appelle cette formation la Quick-Step du cyclisme féminin, en raison de cette grosse force collective en commun, de cette mentalité pour « gagner ensemble », de cette même alchimie d’équipe ainsi que d’un personnel d’encadrement de premier ordre.

L’environnement idéal pour que Kopecky puisse développer davantage son potentiel. Étant donné les différentes têtes de gondole présentes dans l’effectif de SD Worx, toute la pression ne reposera plus entièrement sur ses épaules comme c’était le cas avant. Elle ne se mettrait plus autant de pression sur les épaules qu’auparavant, ce qui avait fini par devenir un problème l’année dernière. « J’ai arrêté de faire ça, ça ne sert à rien de toute façon », expliquait Lotte Kopecky voici peu. Désormais, elle attendra patiemment les chances qu’elle aura de toute façon, grâce à la force de son équipe.

Pas une pure sprinteuse

A 26 ans, elle a surtout atteint sa pleine maturité physique. Son répertoire et son potentiel sont sans doute plus larges que l’étiquette qui lui est encore collée à tort de sprinteuse/ pistière.

Une analyse que Jolien D’hoore faisait également dans notre Guide du cyclisme 2022. « Lotte peut gagner toutes les classiques, sauf la Flèche Wallonne. C’est une Wout van Aert au féminin, deux cyclistes aux multiples capacitéz dont on peut se demander s’ils ont des limites. »

Ce n’est pas une coïncidence s’ils ont tous deux terminé deuxième et quatrième de la course en ligne des Jeux olympiques sur un parcours qui était considéré comme trop difficile pour eux. Pourtant, ça aurait dû être une demi-surprise pour Kopecky vu qu’elle avait remportée l’étape de côtes vers Maddaloni lors du Giro en 2020. La coureuse de Rumst avait déjà tenu le choc dans d’autres étapes assez vallonnées.

Kieran De Fauw, l’ami et entraîneur de Kopecky, est persuadé depuis longtemps que le plafond de sa protégée est le top mondial et que 2022 pourrait être l’année où elle franchirait le dernier palier la séparant de ce niveau. En partie, parce qu’elle a changé certains aspects de son entraînements. Elle travaille désormais moins la puissance et a perdu un kilo de muscles (66 kilos aujourd’hui pour 67 la saison dernière). Elle a aussi eu deux longs stages de préparation en Espagne avec sa nouvelle équipe pendant l’hiver,

en raison des changements apportés à son régime d’entraînement : moins d’entraînement en puissance, ce qui lui a fait perdre un kilo (66 au lieu de 67 kilos), deux longues périodes d’entraînement avec l’équipe en Espagne pendant l’hiver, pas de séances d’entraînement spécifiques en pente. Enfin, elle n’a plus d’entraînement spécifique pour la piste.

Kopecky a amélioré ses meilleures valeurs, surtout dans les montée. De Fauw était donc convaincue qu’elle serait très proche de la victoire sur les Strade Bianche. Si sa petite amie gagnait, il s’est même promis de faire du vélo pendant trois heures, ce qu’il fait rarement en raison de son emploi du temps chargé d’entraîneur.

Ce samedi après-midi, il a pu sortir son vélo du garage. Pour la première fois, le puzzle s’est parfaitement imbriqué, à tous les niveaux. Physiquement, Kopecky était la seule capable de suivre Annemiek van Vleuten sur le dernier sterrato et sur la montée finale de la Via Santa Caterina à Sienne. C’était déjà un indice de sa forme du jour, compte tenu de la domination avec laquelle la Néerlandaise avait remporté l’Omloop voici une semaine. Même si cette dernière s’est plainte de problèmes d’estomac à l’issue de la course.

Tactiquement, Kopecky a aussi parfaitement utilisé le jeu collectif de SD Worx pour user Van Vleuten. Et mentalement, elle était assez lucide pour jouer de son pilotage ans les derniers virages vers l’arrivée. Elle a poussé la coureuse néerlandaise vers l’extérieur de la courbe avec cet instinct et ce côté inflexible de la « gagneuse ».

Victoire de prestige

Ses premiers mots, « pincez-moi », après l’arrivée étaient révélateurs de ses sentiments. Tout comme la grande et authentique joie de ses coéquipières Ashleigh Moolman, Demi Vollering et Chantal van den Broek-Blaak. Sans oublier, sa nouvelle directrice d’équipe, la jeune retraitée Anna van der Breggen, qui avait l’avait guidé et motivé avec son expertise dans l’oreillette pour lui demander de coller la roue arrière de Van Vleuten, plus légère de sept kilos. Il ne faut pas sous-estimer l’impact d’avoir l’une des meilleures coureurs de la dernière décennie qui croit en vous. SD Worx fonctionne, également pour Kopecky.

La victoire sur les Strade Bianche Donne est devenue un tournant crucial dans la carrière de la championne belge. De nombreuses coureuses et nombreux coureurs de haut niveau témoigneront de l’importance de cette première victoire majeure pour leur état d’esprit. C’est un tremplin vers d’autres succès.

Il ne fait guère de doute que ceux-ci suivront pour Kopecky, si elle est épargnée par la malchance. Son objectif principal reste (comme son alter ego masculin Van Aert) le Tour des Flandres. Une course dont elle a déjà repéré l’intégralité du parcours fin janvier. Un entraînement de pas moins de 240 km, mais le succès ne tombe pas du ciel.

Lever les bras à Audenarde serait une étape encore plus importante que celle que Kopecky vient de franchir sur les pavés de la Piazza del Campo. C’est déjà la victoire la plus prestigieuse d’une cycliste sur route belge dans l’histoire du cyclisme féminin « moderne ».

Certes, Grace Verbeke a remporté le Tour des Flandres voici douze ans, mais le cyclisme féminin était loin d’avoir le niveau actuel.

Certes, Jolien D’hoore a remporté Gand-Wevelgem en 2020 (avant… Kopecky), deux fois le Madrid Challenge, le Tour de Drenthe, trois étapes du Giro et quatre étapes du British Women’s Tour, mais aucune victoire qui surpasse en prestige le triomphe de Kopecky à Sienne. Compte tenu de l’opposition, c’est à dire en battant la meilleure coureuse du monde, de la manière, de la renommée considérablement accrue des Strade Bianche et des éloges de la presse étrangère.

Une source d’inspiration

Cette victoire italienne confère nouveau statut à la citoyenne d’Assen, mais donne aussi un souffle nouveau au cyclisme féminin belge. Elle est la première graine qui germe grâce aux nouveaux programmes d’entraînement de Cycling Vlaanderen. Samedi, ce dernier a d’ailleurs fièrement tweeté : « Fantastique Lotte ! Notre Topsportschool Cycling forme des athlètes de haut niveau », expliquant le fonctionnement de la Topsportschool où la jeune Lotte a posé les bases de sa carrière.

Bien que la jeune femme soit plutôt modeste et timide, qu’elle préfère travailler dans l’ombre et n’aime pas l’attention médiatique, c’est un nouveau rôle que Mme Kopecky devra assumer désormais.  » J’espère surtout que des victoires comme celle-ci vont inspirer beaucoup de filles à trouver le chemin du vélo de course. », déclarait-elle.

Sa victoire de samedi laissera un héritage aussi bien sur le plan personnel que pour le cyclisme féminin belge dans son ensemble.

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