Paris-Roubaix: Dylan Van Baarle, le succès de la discrétion et de la force individuelle (et collective)
Hors-délai lors de l’édition 2021 de la Reine des classiques, le Néerlandais s’est offert une belle revanche sur l’Enfer du Nord, quinze jours après avoir été le premier dauphin de Mathieu van der Poel sur le Ronde. De quoi le placer en position de force dans les négociations d’un nouveau contrat, chez Ineos ou ailleurs.
Il fallait remonter à 2014 pour trouver trace d’un coureur s’offrant un tour d’honneur en solitaire sur le vélodrome André Pétrieux. Il était aussi Néerlandais et pas vraiment considéré comme le leader unique de sa formation puisqu’il s’agissait de Niki Terpstra. On pourrait même évoquer un autre coureur d’outre-Moerdijk puisque Servais Knaven, désormais directeur sportif de Dylan Van Baarle, s’était aussi imposé en solitaire dans une édition boueuse de 2001 au sein d’une Domo-Farm Frites où les leaders se nommaient à l’époqueJohan Museeuw et Romans Vainsteins.
Terpstra avait lui profité des rivalités au sein d’un groupe de dix coureurs et du marquage sur un Tom Boonen, pourtant pas dans son meilleur jour, pour fausser compagnie à tout le monde à 11 kilomètres de l’arrivée et devancer de 20 secondes un groupe réglé au sprint par John Degenkolb devant Fabian Cancellara.
L’avance de Van Baarle sur le quatuor duquel a finalement émergé Wout Van Aert était bien plus impressionnante puisqu’elle était de 1:47. Le coureur d’Ineos-Grenadiers avait non seulement su se montrer le plus malin comme Terpstra, mais aussi le plus costaud puisqu’il n’a cessé d’augmenter son avance sur ses poursuivants sur les derniers secteurs pavés difficiles de la course et notamment le Carrefour de l’Arbre dans lequel il aura fait honneur au dicton qui veut que celui qui y vire en tête à la sortie s’offre le bouquet du vainqueur.
Hors-délai en 2021
Le deux Néerlandais partagent aussi d’autres points communs avec cette victoire. L’âge tout d’abord, puisqu’ils étaient tous les deux âgés de 29 ans (Van Baarle a précisément 8 ans et 3 jours de moins que son aîné) et une victoire commune, puisqu’ils avaient remporté « A travers la Flandre » comme belle course du nord avant de brandir le pavé du vainqueur sur le véodrome. Niki Terpstra avait même gagné la semi-classique terminant à Waregem à deux reprises puisqu’il s’était même adjugé l’édition tombant la même année que son sacre roubaisien, deux ans après son premier succès. Dylan Van Baarle avait décroché le bouquet du vainqueur en 2021. Pour la petite histoire, ce dernier a d’ailleurs effectué ses débuts professionnels pour l’équipe Garmin quand son aîné s’offrait la Reine des classiques. Vainqueur du Tour de Grande-Bretagne pour cette première saison chez les grands, Van Baarle a ensuite rapidement endossé son costume de coureur de flandriennes en prenant une troisième place sur « A travers la Flandre » à 22 ans et un premier top 10 (6e) sur le Tour des Flandres un an plus tard.
Réputés pour être des coureurs opportunistes, même si le cadet apparaît moins individualiste du dire de ses équipiers, Terpstra et Van Baarle ne partagent pas nécessairement la même histoire d’amour avec la plus redoutée des classiques pavées. Avant de triompher sur les 500 mètres du vélodrome André Pétrieux, celui qui courait chez Quick.Step à l’époque, avait terminé cinquième en 2012 (où il avait été le dernier lâché par Boonen lors de son récital de quatrième pavé) et troisième douze mois plus tard.
Le meilleur résultat de Dylan Van Baarle était une… 16e place, l’année de la victoire de Matthew Hayman devant Boonen. L’an dernier, le natif de Voorburg était même arrivé hors-délais… Il fait donc encore mieux qu’Evaldas Siskevicius qui avait terminé neuvième de l’édition 2019 remportée par Philippe Gilbert, douze mois après avoir été la star malheureuse d’une vidéo où on le voyait finir la course juste devant la voiture-balai. Une belle histoire de plus pour cette course hors du commun et hors du temps au sujet de laquelle, Gilbert disait avec pas mal de justesse qu’elle était « surfaite. » « Paris-Roubaix, c’est dur, c’est vrai, mais c’est surfait », affirmait le coureur wallon lors de la présentation. « Liège-Bastogne-Liège ou la Lombardie sont des Monuments beaucoup plus durs. À Paris-Roubaix, on reste dans le jeu. Même quand on est moyen, même quand on est lâché, on peut revenir. En 2018, j’avais eu un coup de chaud, j’avais raté des bidons, j’ai levé le pied et quand j’ai récupéré je suis reparti et j’ai fini 15e après avoir dépassé beaucoup de gars. ». Même si cette année, la victoire de Van Baarle est incontestablement celle du meilleur coureur du jour.
Un sens tactique plus aiguisé que celui des deux stars du cyclo-cross
Dylan Van Baarle est connu pour son sens tactique aiguisé. En qualité pure, il ne peut pas rivaliser avec des coureurs de la trempe et de la classe de Mathieu van der Poel, Wout Van Aert ou Tadej Pogacar. Il lui faut d’autres armes et à ce titre, sa maîtrise des situations de course est clairement le couteau le plus tranchant de son arsenal. Au contraire des deux stars des labourés, qui pêchent parfois encore dans ce domaine en me ménageant pas toujours leurs efforts quand cela est nécessaire. Conséquence de cela, elles laissent encore seul Roger De Vlaeminck au palmarès des champions du monde de cross à s’être imposé sur la classique sur route la plus taillée pour leurs qualités.
Van Baarle excelle lui dans l’anticipation, dans ces attaques en « facteur » auxquelles les favoris ne croient pas totalement et ne répondent pas immédiatement. Quand on lui laisse du champs, c’est s’exposer à une sanction, surtout quand les jambes du Batave tournent aussi bien que ce dimanche. De quoi lui rendre les pavés plus agréables que d’habitude. « Je déteste les pavés ! comme tout le monde, je préfère rouler sur le bitume. Mais, quand je me sens plus rapide que les autres, ça devient amusant. », déclarait-il avec un large sourire après sa victoire.
Ineos, le Wolfpack est devenu britannique
Pour paver sa route de bonnes intentions jusqu’au vélodrome, Dylan Van Baarle a pu s’appuyer sur la force collective d’une équipe Ineos-Grenadiers qui a détrôné le Wolfpack de Patrick Lefevere de son titre d’équipe reine des classiques. La formation belge n’a pas non plus été épargnée par la poisse et un spectacteur qui a peut-être privé Yves Lampaert d’un nouveau podium sur son épreuve fétiche. Le natif d’Izegem, qui qualifiera ce fan de « veau stupide », terminera finalement 10e.
Il faut remonter à 2011 et la 38e place de Sylvain Chavanel lors d’une édition chaotique pour Quick.Step pour trouver trace d’un coureur de l’équipe aussi mal classé. Un résultat à l’image d’une campagne de classiques où la formation bleue n’aura rien remporté ni même obtenu de podium. Les sixièmes places de Kasper Asgreen à l’Amstel Gold Race et de Remco Evenepoel à la Flèche Brabançonne sont les meilleurs résultats enregistrés jusqu’ici. Sur les Flandriennes « pures », le bilan est encore plus terne avec seulement deux dixièmes places à l’E3 avec Asgreen et ce dimanche. (On pourrait toujours prendre en compte la victoire de Fabio Jakobsen sur Kuurne-Bruxelles-Kuurne pour sauver les apparences). Ce n’est évidemment pas un bilan digne des standards de Patrick Lefevere et la pression qui pèsera sur les épaules du champion du monde Julian Alaphilippe lors de cette semaine ardennaise a forcément été décuplée par cette série de contre-performances.
Tout le contraire d’une équipe Ineos qui n’a cessé d’impressionner collectivement pendant ce mois d’avril. L’équipe britannique, longtemps brillante sur les grands tours, a trouvé un nouveau terrain d’expression en misant sur de jeunes talents épaulés de coureurs dans la force de l’âge. Van Baarle (29 ans) est en plein dans ses meilleures années théoriques (même si les fameuses 28 à 32 ans ont été un peu périmés depuis que les jeunes cracks arrivent année après année), tout comme Michal Kwiatkowski (31 ans), vainqueur de l’Amstel Gold Race. Et puis, il y a Magnus Sheffield, arrivé hors-délai dimanche, quatre jours après son sacre à Overijse à seulement 19 ans. A ces succès, on peut rajouter les podiums de Van Baarle (2e) sur le Tour des Flandres et de Tom Pidcock (3e) sur la Flèche Brabançonne. On s’en voudrait presque de ne pas mentionner un autre jeune prodige, Ben Turner, onzième ce dimanche, mais qui était dans le coup avant une chute. Et dire que le leader théorique de la formation Ineos était le champion du monde du contre-la-montre Filippo Ganna, finalement 35e à près de cinq minutes.
Ce Paris-Roubaix le plus rapide de l’histoire (45,7 km/h de moyenne) n’a pas attendu les premiers secteurs empierrés pour déjà solliciter les organismes. Dès les 40 premiers kilomètres, le vent latéral a lancé les hostilités et le rythme effrené de la journée. Une bordure a coupé le peloton en deux avec un écart assez conséquent. Dans ce groupe de poursuite se trouvaient alors quasiment tous les favoris parmi lesquels van der Poel et Van Aert. Ce coup de force collectif d’Ineos qui sera finalement couronné en pavé du vainqueur, n’était pourtant pas un plan prévu d’avance. « Non, le plan était de rester concentré en équipe au départ, surtout avec ce vent de côté. Après, il fallait rendre la course difficile, c’est ce qu’on a fait avec l’aide de Michal Kwiatkowski. Après, on voulait attendre la sortie d’Arenberg pour faire le point de la situation. On a entendu que van Aert recontrait des soucis mécaniques dans cette dernière mais j’étais concentré sur ma course. », a raconté le vainqueur néerlandais après la course.
Le train d’enfer afin de distancer le groupe de chasse au maximum a sans doute puisé dans les réserves de certains favoris à un stade de la course où il convient de garder un maximum d’énergie comme lors du premier semi d’un marathon. Chose qu’a pu faire Van Baarle, bien au chaud au coeur de ce premier peloton pendant que ses coéquipiers se mettaient à plat ventre. « Au moment de la bordure, j’ai compris qu’on avait une bonne chance de gagner, car on perdait moins d’énergie que le groupe qui était en chasse. », expliquait encore le Néerlandais.
Une course qui sourit toujours à ceux qui anticipent
Pourtant, avant la mythique Trouée, tout était rentré dans l’ordre, mais quelques coureurs, parmi lesquels Matej Mohoric, vainqueur de Milan-San Remo et déjà présent dans le premier coup, comptaient 1 min 40 sur le peloton principal. Le Slovène, très actif en début de course, dépensait beaucoup d’énergie en repartant aussi rapidement à l’abordage et cela n’inquiétait nullement les favoris, même si encore une fois cette initiative allait finalement permettre à trois des audacieux de figurer dans le top 10. L’épatant Tom Devriendt (4e), Matej Mohoric (5e) et Laurent Pichon (8e)
Le groupe des favoris s’est ensuite écrémé au fur et à mesure des secteurs pavés et les Ineos-Grenadiers ont parfaitement placé Ben Turner aux côtés de leur leader. « Ben a travaillé pour moi et m’a donné confiance. Je ne peux pas remercier assez l’équipe », rappellera aussi Van Baarle. Un groupe de costauds se dégageait avec les Van Baarle, Van Aert, van der Poel, Stefan Kung, Jasper Stuyven, Florian Sénéchal et Yves Lampaert.
Déjà un coup d’avance pour Van Baarle avant Mons-en-Pévèle
C’est finalement à 50 kilomètres de l’arrivée, juste avant le secteur de Mons-en-Pévèle que la première partie de la décision allait se faire. Van Baarle s’extirpait du groupe des favoris qui avait été ralenti dans le secteur pavé précédent par une chute impliquant Tim Merlier et Matteo Trentin. Rodrigo Beenkens , le présentateur de la RTBF, rappelait d’ailleurs à ce moment là que le coureur néerlandais était déjà parti d’aussi loin lorsqu’il s’était imposé à Waregem l’an dernier.
Sur la partie la plus difficile de Mons-en-Pévèle, avec le vent légèrement contraire, Van Aert rassurait ses partisans en plaçant une accélération terrible les mains en bas du guidon. A la sortie, seuls van der Poel et Kung, en serrant les dents, parvenaient à accrocher la roue du champion de Belgique. A 40 kilomètres de l’arrivée, ce dernier qui avait déjà dû terminer la Tranchée d’Aremberg sur le vélo de Timo Roosen, était victime d’une crevaison et devait effectuer un nouvel effort qui s’est probablement payé sur la fin. Mais malgré ses efforts à répétition, Van Aert revenait, relançait et ne ménageait jamais ses efforts pendant que Van Baarle et Mohoric, victime d’un incident mécanique, étaient repris par les favoris.
La supériorité numérique des Ineos allait faire la différence dans les trente derniers kilomètres. Van Aert avait répliqué à une attaque de Turner, mais n’a pas suivi celle de Van Baarle, qui revenait sur le duo composé de Lampaert et Mohoric qui avaient rejoint un Tom Devriendt, seul en tête depuis 10 km et la crevaison du Slovène. Ce quatuor, et ce n’est peut-être pas un hasard, était présent dans la première bordure et abordait Camphin-en-Pévèle avec une quarantaine de secondes sur les poursuivants. Dans ce secteur, Van Baarle montrait qu’il était le plus costaud en lâchant tout le monde rapidement. Il ne cessera de creuser l’écart jusqu’à l’arrivée sur le vélodrome. Preuve que le plus malin, était aussi le plus costaud.« Quand je suis rentré dans le Vélodrome, j’ai regardé derrière, j’ai vu que j’étais complètement seul. Quand la voiture est arrivée, on m’a dit : ‘Tu as gagné’. Et là j’ai commencé à y croire », a réalisé après coup le septième vainqueur Oranje de l’histoire, le troisième du XXIe siècle.
En fin de contrat chez Ineos-Grenadiers, DVB se retrouve forcément en position de force pour renégocier son contrat. Courtisé ces derniers jours par le rival de Jumbo-Visma, Van Baarle a montré aussi qu’il était un habile négociateur en maîtrisant aussi l’art de faire monter les enchères en toute discrétion. L’art de toujours sentir les bons coups, encore…
Aucun regret pour Van Aert qui aura une belle carte à jouer à Liège
Cette victoire sans discussion de Dylan Van Baarle atténuera probablement les regrets d’un Wout Van Aert, impressionnant pour son retour à la compétition (et malgré les doutes de Marc Van Ranst et d’autres), trois semaines après une infection au coronavirus qui l’avait privé du Tour des Flandres. Son grand rival van der Poel, heureux de retrouver le Belge sur une course, était sans doute trop court comme on a pu le constater sur plusieurs secteurs pavés. Mais preuve que les deux hommes se connaissent comme leur poche, Van Aert avait dit que MVDP ne venait pas à Milan-San Remo sans ambition. Il sera troisième. Et le petit-fils de Raymond Poulidor avait directement directement affirmé la même chose pour son rival d’Herentals, deuxième dimanche.
En attendant, ces deux champions d’exception continuent de tourner autour de la classique qui leur semblait le plus promis. van der Poel avait obtenu son premier podium sur le Vélodrome en octobre dernier (3e), WVA l’a imité en faisant un peu mieux ce dimanche. Une nouvelle place de premier dauphin en plus qui doit expliquer pourquoi Poulidor appréciait le rival de son petit-fils. Après le Tour des Flandres (2e en 2020) et Milan-San Remo (3e en 2021), Van Aert s’offre un troisième podium sur un Monument en plus de sa victoire sur la Primavera en 2020.
Le champion de Belgique prolongera sa campagne des classiques sur les routes de Liège-Bastogne-Liège dimanche prochain. En l’absence de Primoz Roglic, blessé, il sera sans doute le leader de la Jumbo-Visma (avec Jonas Vingegaard). Sur base de sa dernière étape sur Paris-Nice où il avait sauvé le maillot jaune de Roglic et de l’épreuve olympique de Tokyo où il avait pris l’argent, qui sait si Wout Van Aert ne s’offrira pas son deuxième Monument là où on ne l’attendait pas directement. Après, il faudra évidemment suivre ce diable de Tadej Pogacar, impressionnant quelles que soient la saison ou le revêtement. Mais le Slovène devra cependant être très solide aussi pour se débarrasser d’un coureur qui sera probablement favorisé par un final de parcours liégeois moins dur depuis que la ligne d’arrivée se rejuge au Boulevard d’Avroy.
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