Votre commune est-elle en pénurie de médecins généralistes ? (carte interactive)
Selon l’Aviq, en Wallonie, une commune sur deux est en pénurie de médecins généralistes. Surtout dans le Hainaut et le Luxembourg. A Bruxelles, les quartiers les plus touchés sont situés à Anderlecht, Forest et Laeken. Plusieurs facteurs expliquent cette situation.
Alors que le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) concocte une nouvelle réforme de l’attribution des numéros Inami, sur le terrain, de nombreux problèmes se font déjà ressentir. A commencer par quantifier les besoins. Pénurie de généralistes, ou pas pénurie ? La réponse dépend des interlocuteurs: selon certains, le manque de médecins ne se ferait ressentir qu’à certains endroits. Selon d’autres, le déficit serait global.
Dans le dernier recensement de l’Agence wallonne pour une vie de qualité (Aviq), en 2021, une commune sur deux se trouve en pénurie, la densité médicale (le nombre de médecins généralistes par rapport à la population) y est de moins de nonante généralistes pour cent mille habitants. Une quarantaine se situe en pénurie sévère, soit en deçà de cinquante généralistes pour cent mille habitants. En Région bruxelloise, la pénurie est en germe dans un quartier sur trois, selon l’Observatoire de la santé et du social, dont le cadastre, datant de 2018, est en cours d’actualisation. En Wallonie, les zones rurales sont les plus touchées. C’est dans la province de Luxembourg et dans le Hainaut que la situation se révèle la plus aiguë. A Bruxelles, la carence médicale est particulièrement critique dans certains territoires d’Anderlecht, de Forest et de Laeken, avec des poches sans aucun praticien. Les quartiers plus centraux, comme Saint-Josse-ten-Noode, Bruxelles-Ville, Jette, ou encore Uccle, Auderghem et Woluwe-Saint-Pierre, ne sont pas épargnés.
Le hic, pour Luc Herry, président de l’Association belge des syndicats médicaux (Absym), est qu’établir une pénurie à partir d’une densité médicale de nonante généralistes pour cent mille habitants ne repose sur aucune étude. « Ce seuil n’a jamais était établi entre l’offre et les besoins de soins en médecine générale », déclare-t-il.
L’autre noeud reste la disparité territoriale. Les poches en pénurie et les espaces urbains défavorisés, déjà les plus fragiles, peinent à attirer de jeunes généralistes et voient alors leur situation se dégrader. « La concentration de l’offre de soins sur les structures urbaines, c’est le moteur de la pénurie », analyse Jean-Michel Foidart, vice-président de la toute jeune Commission de planification de l’offre de soins en FWB.
Au fait que les jeunes choisissent de s’installer là où leur conjoint trouvera un emploi, où ils auront accès aux transports, à une vie sociale multiple, etc., s’ajoute la volonté d’exercer là où d’autres professionnels de santé sont déjà présents, des spécialistes, suivis par d’autres (kinés, pharmaciens…) qui dépendent de leurs prescriptions de soins et de médicaments. Un effet boule de neige. « Les plans et les incitants financiers pour lutter contre le manque de médecins en zones rurales sont peu connus et inappropriés. Dans les localités concernées, il existe peu d’initiatives pour encourager un jeune médecin à s’y installer », estime Jean-Michel Foidart.
Une pénurie partout?
Pour autant, on ne peut pas parler de « désert médical ». Ainsi, selon l’Aviq, 99% des Wallons habitent à moins de cinq kilomètres d’un cabinet médical. En fonction de l’accessibilité de l’entité, le pourcentage varie cependant de 79% à 85%. Quant aux Bruxellois, ils ont le choix entre plusieurs généralistes dans un rayon de cinq cents mètres.
Un constat tempéré par le Groupement belge des omnipraticiens (GBO). Pour l’institution, la pénurie existe partout, même en Flandre. « Cela ne dit rien de l’offre effective, assure Paul De Munck, son président. Combien de temps le citoyen doit-il réellement patienter pour obtenir un rendez-vous, et où? Le cabinet situé à cinq kilomètres est-il disponible? Prend-il de nouveaux patients? Même dans les maisons médicales, on doit en refuser. » Pour l’heure, il n’existe aucune donnée sur les délais d’attente. Sans oublier un maillage du territoire plus difficile en Wallonie: elle est plus grande et moins peuplée que la Flandre.
« Ces quotas ne tiennent plus la route », tranche d’emblée Pierre Drielsma, médecin généraliste et membre du GBO. Pendant longtemps, les modèles de planification ont eu tendance à créer des pénuries. « Ils ne tenaient pas compte non plus d’un taux de déperdition, par exemple l’afflux d’étudiants étrangers, français surtout, et qui s’en retournent exercer dans leur pays d’origine », insiste Françoise Smets, doyenne de la faculté de médecine et médecine dentaire à l’UCLouvain. Ils ont également sous-estimé les changements du métier. Les jeunes praticiens, tant féminins que masculins, ne se retrouvent pas dans les schémas de leurs aînés. Pour eux, la médecine ne serait plus un sacerdoce. « Des rythmes de vie très prenants, des semaines de quatre-vingts heures, cette vie-là, ils n’en veulent pas », confirme Pierre Drielsma. Le souci: dans les projections, il n’a pas été tenu compte de leur volonté de travailler moins et de vivre mieux.
Pour Aurélie Somer, cheffe de service du département Professions de santé et pratique professionnelle au SPF Santé publique, « ces aspirations sont davantage le reflet d’une évolution sociétale qu’une féminisation du métier ». Enfin, comme le note encore Pierre Drielsma, les outils de planification se basent sur l’idée que les généralistes pratiquent exclusivement de la médecine générale. Or, parmi eux, il en est qui exercent au sein de plannings familiaux, dans des services d’urgence ou encore se spécialisent en médecine du sport. « Bref, on est resté longtemps dans le déni, se contentant de voir un problème de nombre de médecins. »
Lire notre enquête complète: Où sont passés les toubibs ? Enquête sur la pénurie de médecins, qui touche une commune sur deux (infographies)
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