La ventilation, porte de sortie de cette crise sanitaire? (analyse)
« L’air est complexe, il faut ventiler au maximum mais ce n’est pas la panacée » : tel pourrait être le mantra du Pr Niko Speybroeck, de la faculté de santé publique de l’UCLouvain.
On sait aujourd’hui que le coronavirus se propage via les particules virales présentes dans de minuscules gouttelettes expulsées par la personne infectée lorsqu’elle expire ou tousse. La petite taille des aérosols leur permet de rester en suspension dans l’air beaucoup plus longtemps que des gouttelettes. Le même mécanisme est à l’oeuvre pour d’autres agents pathogènes « aéroportés » comme la rougeole et la tuberculose, d’où leur nom d' »infections par aérosol ». La contagiosité du Covid-19 se situe entre celle de la rougeole, plus élevée, et celle de la tuberculose, moins élevée.
Comment le variant Omicron se propage-t-il dans l’air ? Des chercheurs de l’université de Californie ont simulé avec un superordinateur la mécanique de dispersion d’un aérosol contenant le coronavirus. Il semble que les mucines – des protéines de la muqueuse pulmonaire- se lient aux protéines Spike du SRAS-CoV-2 par un phénomène physique (les mucines sont chargées négativement, les protéines Spike, positivement), formant ainsi un revêtement protecteur autour des particules virales. Omicron est mieux « protégé » que le variant Delta, ce qui signifie qu’il pourrait rester infectieux plus longtemps à l’extérieur du corps. Donc, dans l’air.
Une bonne ventilation peut-elle permettre d’éviter la contamination ? « L’air est complexe », prévient d’emblée le Pr Niko Speybroeck (faculté de santé publique de l’UCLouvain). Il n’y a pas de règle simple comme se laver les mains pendant vingt secondes. Prenons la consigne d’ouvrir les fenêtres : un jour, cela peut créer une bonne ventilation, le lendemain, cela sera insuffisant, car le résultat dépend du nombre de personnes dans la pièce, de leur activité, de la façon dont elle utilise leur voix, du taux d’humidité, etc. « Lorsque nous expirons, nous dégageons du CO2, illustre le professeur. Pendant une activité physique légère, la quantité de CO2 libéré s’élève à environ vingt litres par heure et augmente lors d’activités plus intenses. La nature de l’utilisation de la voix a aussi un effet sur la dispersion de micro-gouttelettes potentiellement chargées de particules virales. Chuchoter produit à la grosse louche six fois plus d’aérosols qu’une respiration légère, parler normalement, 17 fois plus, crier, 34 fois plus, chanter, 250 fois plus. Il est donc particulièrement sensé de porter un masque à l’intérieur lorsque l’on utilise sa voix. »
Le taux d’humidité pourrait aussi avoir un impact sur la propagation du virus. « Des études qui doivent encore être confirmées suggèrent que le coronavirus se décompose plus rapidement à environ 60% d’humidité par rapport à d’autres niveaux d’humidité ; et cet air plus sec peut conduire à un plus grand nombre de minuscules particules de coronavirus qui voyagent plus loin et pénètrent plus profondément dans les poumons. »
A ce stade, cependant, il n’existe pas de valeurs seuil permettant d’exclure tout risque de contamination par le débit de la ventilation, le taux de renouvellement de l’air ou la concentration en CO2. Néanmoins, plus on ventile, plus on réduit le risque.
« Il faut s’efforcer d’atteindre en intérieur une concentration en CO2 comparable à celle de l’air extérieur, soit environ 400 ppm -la « partie pour million » est l’unité de mesure de la pollution. Si la concentration en CO2 est inférieure à 900 ppm, nous considérons que la pièce est relativement bien ventilée, poursuit le scientifique. Dans un contexte de Covid-19, il s’agit d’une valeur acceptable sur le plan sociétal. En pratique, avec un débit d’air neuf de 40 m³/h /personne, il est souvent possible pour un adulte exerçant une activité légère standard de ne pas dépasser (ou rarement) la valeur de 900 ppm (ou 500 ppm au-dessus de la concentration extérieure). Ce taux de ventilation minimal est plus élevé lorsque les activités sont intenses, puisque la production de CO2 et d’aérosols est plus importante. »
Les purificateurs d’air ne peuvent en aucun cas se substituer aux apports d’air extérieur »
Et si portes et fenêtres demeurent closes ? « Il y a une variation, bien sûr, mais, en l’absence de toute ventilation, le SARS-CoV-2 reste viable dans les aérosols pendant environ trois heures. S’il a été démontré qu’une ventilation accrue réduisait la transmission aérienne, cela n’est toutefois pas suffisant. Il faut aussi une occupation limitée des pièces, éviter la recirculation de l’air (utiliser le mode « extraction » lors de l’utilisation de la climatisation), faire des pauses fréquentes… Si une recirculation de l’air est inévitable, on peut utiliser, par exemple, des filtres à air à haute efficacité, capables de retenir suffisamment de très petites particules. Mais, insiste le Pr Speybroeck, « les purificateurs d’air ne peuvent en aucun cas se substituer aux apports d’air extérieur. Ils ne doivent être utilisés qu’en complément des systèmes de ventilation. » Des études montrent que deux et demi renouvellement d’air par heure éliminent 90 % des contaminants en suspension. L’ouverture des portes et des fenêtres peut générer environ 5 à 17 renouvellements d’air par heure, mais le résultat dépend fortement de plusieurs conditions : la surface des fenêtres, leur orientation, la température extérieure et la vitesse du vent. »
Pour mesurer le degré de ventilation d’une pièce, on utilise la mesure TRH (taux de renouvellement horaire de l’air). Dans deux articles non encore évalués par des pairs et comportant plusieurs limitations, « qu’il faut donc prendre avec des pincettes », prévient l’expert, l’effet de la ventilation sur le risque d’infection a été calculé par les chercheurs chinois Dai et Zhao. Ils estiment que, pendant un trajet d’une demi-heure en bus avec une personne infectée, au moins 3 à 10 TRH sont nécessaires pour obtenir un risque d’infection inférieur à 1 %. Dans une salle de fitness ayant une ventilation de 0,5 TRH, le risque d’infection est de 1% après 55 minutes, tandis qu’une ventilation à 3 TRH peut porter le temps de « sécurité » à 110 minutes. Dai et Zhao soulignent que l’utilisation de masques par la personne contaminée et la personne de contact peut réduire considérablement le risque et donc le nombre de TRH requis.
« L’air est complexe », martèle Niko Speybroeck, et la communication autour de ce sujet l’est tout autant. Un groupe d’experts japonais du covid-19 l’a résumée en trois C : Closed spaces with poor ventilation (espaces fermés avec une mauvaise ventilation), Crowded spaces with many people (espaces restreints avec beaucoup de monde) et Close contact (contacts étroits).
Face à cet ennemi insaisissable qu’est le virus, le capteur de CO2 constitue une forme de système d’alerte : il permet d’évaluer le degré de ventilation dans une pièce, le CO2 indiquant la quantité d’air expirée par ses occupants. Les niveaux de CO2 doivent être maintenus en dessous de 800-1000 ppm et de préférence à un niveau encore plus bas. Cela correspond généralement au seuil de ventilation fixé par la fiche d’information de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le covid-19. « Les entreprises considèrent souvent une bonne qualité de l’air intérieur comme un luxe coûteux, observe le professeur de la faculté de santé publique de l’UCLouvain. C’est une fausse économie ! Une étude danoise a montré qu’une mauvaise qualité de l’air dans les bureaux réduisait d’environ 10 % la productivité des employés, soit environ une perte d’une demi-journée par semaine et par personne. »
Les écoles sont-elles finalement le maillon faible du contrôle de la circulation du virus ? Elles sont surpeuplées, les enfants ne sont généralement pas vaccinés et l’éloignement physique est un défi pour eux… Le service de la santé publique des Grisons (Suisse) a analysé la qualité de l’air dans 150 salles de classe d’école à l’aide de capteurs de CO2. Dans 60% des cas, la teneur en CO2 était supérieure à 2000 ppm. Dans les salles mal ventilées, le nombre d’enfants infectés par le coronavirus était significativement plus élevé.
» La nécessité de ventiler les espaces clos devrait devenir le mantra de tous les lieux où les gens se rassemblent en grand nombre, conclut notre expert. Les bureaux, les cafés, les restaurants, les universités, les centres sportifs, les lieux de divertissement et de culte, les toilettes publiques et les transports en commun sont pareillement concernés. »
Il tient cependant à préciser que « la ventilation seule ne nous protégera pas ». Un article récent publié dans Environmental Science & Technology a montré qu’une combinaison appropriée de certaines mesures pouvait réduire les risques à des niveaux générant un nombre de cas secondaires sensiblement inférieur à 1, même en présence d’une personne infectieuse, avec donc une bonne chance d’éviter la circulation du virus. « Nous devons aussi nous rappeler que la ventilation atténue surtout la transmission aéroportée au-delà d’environ un mètre et demi et nous assurer qu’il existe également d’autres mesures de protection : masques et distanciation et, ne l’oublions pas, la vaccination. »
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