La photothérapie pour se réapproprier un corps transformé par la maladie
A L’Intermède, espace créé par l’hôpital montois Ambroise Paré pour aider les patients en oncologie à conserver leur bien-être émotionnel et physique pendant et après les traitements, la photothérapie permet de s’accepter, de reprendre confiance et de se réapproprier un corps transformé par la maladie.
« Ce qui se joue dans l’atelier de photothérapie à l’Intermède, c’est la possibilité de garder une trace de ce qui s’est passé, raconte la photographe Virginie Delattre-Fossoul. Mais ce qui est un peu paradoxal avec le livre Esprit de corps qui en est le fruit et l’exposition présentée récemment à l’hôpital Ambroise Paré de Mons, c’est qu’on montre ce qui, normalement, ne se montre pas. C’est vraiment un paradoxe, parce que lorsqu’on photographie quelque chose, c’est généralement pour que ce soit beau et esthétique. Or, le fondement de la photothérapie est que le photographe soit au service de la personne et la photo, un outil mais pas une fin en soi. Tout l’opposé des images de perfection et de glamour dont on est inondés. En atelier, ce sont les patientes qui construisent l’image qu’elles souhaitent après de longues discussions autour de la maladie et de ce qu’elles ont pu vivre et traverser. Florence, par exemple, a choisi de poser avec des plumes de paon déposées sur sa poitrine mutilée. J’ai trouvé magique ce choix symbolique d’un animal qui fait la roue pour être beau. » Pour Florence Marcq, qui ne se reconnaissait plus après la maladie, la photo a permis de se rendre compte qu’elle reste une belle femme. Elle l’a d’ailleurs fait écrire sur son dos par Virginie.
Exprimer ce que l’on ressent
Son mémoire de fin d’études du Bagic (brevet d’aptitude à la gestion d’institutions culturelles) portait sur les femmes et la photographie dans un contexte de soins. Virginie Delattre-Fossoul a poursuivi sa formation avec Emilie Danchin, référence belge de la photothérapie. La Montoise regrette que la discipline soit galvaudée par certains qui pensent qu’en faisant trois photos de patientes soigneusement maquillées par un professionnel, on leur permet de se sentir belles et on affirme avoir fait de la photo thérapeutique. Pour elle, « le photographe n’est pas là pour prendre des photos qu’il trouve belles, sinon il instrumentalise ou objective la personne. La photothérapie est un processus lent de réappropriation de son image après un changement. »
La photothérapie est un processus lent de réappropriation de son image après un changement.
Pour les patientes qui ont pris part à l’atelier, partager leurs difficultés les plus intimes, montrer leur corps meurtri, couturé, mutilé n’a pas été chose facile. Virginie élabore des techniques d’exploration qui permettent cette réappropriation dans un processus intime où la patiente réfléchit à ce qu’elle a envie d’exprimer. « Ça peut être un questionnement, une mise en image brute. Certaines personnes ont besoin que les autres voient une image précise d’elles, même s’il s’agit de montrer les pires moments de ce qu’elles ont traversé. Cela demande un courage inouï de dire à son entourage et au monde des choses que parfois ils n’entendent pas. »
Patricia Nisol, d’un naturel très pudique, avait envie de témoigner, pas de choquer. « Ce que j’ai fait dans l’atelier est contraire à tout ce que je suis. C’est toujours compliqué de communiquer avec des mots au sujet de sa maladie. Les images permettent d’exprimer vraiment ce que l’on ressent et de le montrer aux gens. Cela constitue une base commune pour la compréhension. »
Rouvrir le champ des possibles
Virginie voit aussi la démarche comme un rituel dans un monde où il existe de moins en moins de cérémonials pour accompagner les épreuves de deuil, de maladie. « Souvent, les femmes présentes à l’atelier expriment un grand sentiment de solitude. Il y a très peu de soutien de la société et la démarche photographique, sans remplacer ces manquements, apporte quelque chose de rituel. En laissant la place à la douleur, à la souffrance, au témoignage de ce qui peut être d’une extrême aridité, avec l’étincelle de la créativité créée par la photo, le champ des possibles s’ouvre à nouveau. Je pense à Patricia qui mettra une robe, ce qu’elle ne fait jamais, et se déguisera en fée, avec sa baguette magique. Nathalie, une autre patiente qui a subi coup du sort après coup du sort et dont la cicatrice est assez présente, a eu besoin de marquer ça et de la montrer au monde. »
Valérie Marin souligne l’injonction sociétale à passer au-dessus de ce qui a été vécu. « On est apte, mais les blessures qu’on cache, les cicatrices assez intimes restent, même si on est guérie. Et on ne peut pas toujours porter une pancarte pour le rappeler. Certains ne se rendent pas compte de ça ou le mettent bien loin d’eux. Comme dirait le professeur Nogaret (NDLR: Jean-Marie Nogaret, responsable de la chirurgie gynéco-mammaire à l’hôpital Bordet), si on n’est pas passé par là, on ne sait pas. Il faut avoir un discours le plus juste possible, sans dramatiser ni minimiser. »
Pour Valérie, Florence et Patricia, comme pour Virginie, l’injonction à être belle malgré la maladie, à être une « guerrière » qui se « bat » contre le cancer, en usant de mots qui relèvent du champ sémantique belliqueux, est emblématique d’une société qui ne veut pas voir la maladie. « Cela pose la question de la place de la fragilité dans la société, note Virginie. Comment continue-t-on à faire lien avec les autres quand on a vécu la grande pétoche de ne plus être là? » « L’atelier a permis de belles rencontres, confie Valérie. Le fait de faire des photos sublimes où on se dévoile crée un « esprit de corps », une solidarité par nos cicatrices et nos blessures. »
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