Covid: et si je refuse le vaccin?
Certains se méfient de la rapidité avec laquelle on a mis au point les vaccins anti-Covid ou sont opposés à toute vaccination, bref ils n’iront pas se faire administrer un produit contre le virus. Les y contraindra-t-on un jour? Sur quelle base légale? Ou leur refusera-t-on l’accès à des lieux ou des services? Qui accédera à leurs données? Pour en faire quoi?
La campagne massive de vaccination anti-Covid a démarré. Sur base volontaire. Contrairement à d’autres pays, comme la France et la Pologne notamment, la Belgique n’apparaît pas, jusqu’ici, comme une terre de grandes réticences de la population à l’égard des vaccins mis au point en un temps record. Le seuil des 70%, généralement considéré comme indispensable pour accéder à une immunité collective suffisamment forte pour enrayer la propagation de la pandémie, devrait être atteint aisément, si l’on en croit les habitudes nationales en matière de vaccination et les sondages d’intention. N’empêche. Les inconnues liées à la rapidité de la découverte des nouveaux vaccins, la traditionnelle opposition des « antivax » et l’amplification des théories complotistes depuis l’apparition du virus incitent certains à considérer qu’il faudrait/faudra recourir à l’obligation de vaccination, tôt ou tard. Pour atteindre les 70% d’immunisés et retrouver le cours normal de la vie.
Est-ce la bonne solution? Est-elle légale? Faut-il restreindre la circulation de celles et ceux qui refusent le vaccin, en leur refusant l’accès aux lieux publics, aux avions, à l’emploi? Comment les identifier, d’ailleurs? Via un registre? Qui le consulterait? Et pour quelle utilisation? Les réponses avec Marc Verdussen, professeur de droit constitutionnel à l’UCLouvain, Elise Degrave, professeure de droit numérique à l’UNamur, Laurent Ravez, directeur du Centre de bioéthique de l’UNamur, David Stevens, président de l’Autorité de protection des données (APD), Alexandra Jaspar, directrice du centre de Connaissances de l’APD, et Pascale Seys, philosophe.
u0022Une vaccination obligatoire serait avant tout une décision politique.u0022
Pourra-t-on me forcer en rendant le vaccin obligatoire?
Le constitutionnaliste Marc Verdussen précise que « la décision de rendre une vaccination obligatoire est avant tout une décision politique. Elle relève donc d’une appréciation au regard de l’intérêt général mais peut être lourde de conséquences sur le plan juridique, dans la mesure où elle est de nature à entraîner une ingérence dans plusieurs droits fondamentaux ».
Parce qu’une vaccination obligatoire « est en soi une atteinte au droit au respect de la vie privée, dont l’intégrité physique est une composante essentielle. Est-ce à dire que ces droits fondamentaux rendent juridiquement impossible une vaccination obligatoire? La réponse est non ». Reste que, « des droits fondamentaux étant en jeu, c’est au législateur d’imposer une telle obligation. Constitutionnellement, il faut une loi. Pas un simple arrêté ».
Laurent Ravez, auteur de Introduction à l’éthique de la santé publique (paru en septembre dernier aux éditions Sauramps Médical), rappelle, lui, qu' »un des principes éthiques essentiels en matière de santé publique est d’être le moins contraignant possible dans les mesures publiques prises. Depuis cinquante ans, l’éthique de la santé s’est essentiellement concentrée sur la défense des droits individuels du patient ». Pour lui, « si le vaccin devenait obligatoire, il y aurait automatiquement des tentatives de contournement qui compliqueraient encore la procédure. La valeur essentielle à faire passer est la solidarité. L’immunité collective face aux maladies contagieuses est un bien public et chacun doit pouvoir y contribuer. Surtout qu’en matière de maladies infectieuses contagieuses, nous sommes tous à la fois potentiellement des victimes et des vecteurs ».
Mais, justement, si trop peu de citoyens consentent à se faire vacciner? « Il faudrait alors envisager de passer à une vaccination obligatoire, mais dans le respect de critères éthiques stricts. A savoir qu’elle s’avère indispensable si l’on veut protéger les plus fragiles d’entre nous, que les autres moyens moins contraignants se sont montrés insuffisants ou inefficaces et que la contrainte est proportionnée à la menace. Cela dit, sur un plan strictement moral, le personnel soignant a des responsabilités très particulières du fait de son contact rapproché avec les patients. Dans l’hypothèse (non encore tout à fait confirmée) où le vaccin protégerait contre la possibilité de transmettre la maladie, dans le cas des soignants, le refuser serait très difficile à comprendre. Ils sont d’ailleurs obligés d’être vaccinés contre l’hépatite sans que ça pose de problèmes majeurs. »
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Marc Verdussen confirme, en d’autres termes: « En adoptant une loi rendant obligatoire la vaccination, le législateur doit se poser trois questions. Un: la mesure est-elle justifiable? Réponse: oui, bien sûr, par des impératifs de santé publique. Deux: est-elle nécessaire? Oui, si l’on peut établir que le taux de couverture vaccinale est plus élevé lorsque le vaccin est obligatoire. Trois: n’est-elle pas disproportionnée? Cette dernière question est plus délicate car elle suppose que le législateur opère une balance des intérêts en présence. »
Pour Pascale Seys, docteure en philosophie, « si l’on considère les décisions politiques qui ont été prises en matière de santé, jusqu’ici, seul le vaccin contre la poliomyélite a été rendu obligatoire pour tous les citoyens en Belgique. C’était à la suite de la grande épidémie de la fin des années 1950. En outre, tout enfant, dès lors qu’il intègre une collectivité (crèche, maison d’enfants ou prégardiennat), et certaines professions médicales notamment exigent des vaccins spécifiques. Ce sont des règles, de la même manière que des conventions internationales exigent le vaccin contre la fièvre jaune pour les voyageurs dans certains pays sous peine de s’en voir refuser l’accès. On voit bien que ce qui est pris en considération, dans ces cas, c’est que le bien-être collectif prime sur les desiderata individuels et qu’il est des contraintes auxquelles nous acceptons de nous soumettre à titre individuel parce que nous sommes des êtres sociaux. »
De toute façon, resitue Marc Verdussen, « après la publication d’une loi rendant la vaccination obligatoire, des recours sont possibles auprès de la Cour constitutionnelle, dont la mission est de s’assurer notamment que le législateur s’est posé les questions indispensables et qu’il n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. Au-delà, un recours est envisageable devant la Cour européenne des droits de l’homme. Dans un arrêt du 15 mars 2012, qui concerne l’Ukraine, les juges européens ont considéré que l’atteinte à l’intégrité physique causée par un vaccin obligatoire peut être justifiée par des considérations de santé publique et la nécessité de contrôler la propagation de maladies infectieuses. Une affaire concernant l’obligation générale en Tchéquie de vacciner les enfants selon un calendrier défini par la loi et les conséquences du non-respect de cette obligation par les parents est actuellement en cours devant la Grande chambre de la Cour. Elle a été plaidée en juillet. L’arrêt est très attendu. »
Pourra-t-on me pénaliser?
Pascale Seys ne le préconise pas du tout: « Dès lors que le vaccin n’est pas obligatoire, il est laissé à la liberté de chacun d’évaluer quelle décision est la plus à même de tenir compte de l’intérêt général au même titre que celui de sa santé. C’est une exigence du même ordre, au fond, que le civisme, qui n’est pas très éloigné par l’étymologie de la civilité: il y va de la manière dont nous nous dépassons librement dans le collectif sans nous y dissoudre. Et c’est très exactement à travers cette tension que l’on mesure à quel point le corps, notre propre corps est aussi un corps politique. »
Pour Marc Verdussen, »les sanctions qui pourraient être édictées dans le chef des personnes ne respectant pas l’obligation peuvent attenter à d’autres droits fondamentaux. Si l’Etat impose une quarantaine à quiconque revient d’une zone rouge sans être vacciné, c’est la liberté de circulation qui est en cause. Si un étudiant non vacciné ne peut plus accéder aux salles de cours, c’est le droit à l’enseignement qui est mis à mal ».
Laurent Ravez ajoute que »c’est absurde et moralisant. Et ça entrerait en contradiction avec le principe que j’ai énoncé concernant les mesures les moins contraignantes. Il faut à tout prix éviter la moralisation en stigmatisant ceux qui refusent la vaccination mais mettre en avant ceux qui, au contraire, la défendent. Une politique de l’exemple plutôt que de la répression! Les Belges sont capables de se mobiliser pour des causes comme le Télévie ou Cap 48. Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer des campagnes similaires pour la vaccination? »
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David Stevens, président de l’Autorité de protection des données (APD), lie la question à la preuve de vaccination: « Refuser l’accès à un service ou un lieu impliquerait qu’il y a présentation d’une preuve de vaccination. Donc qu’il y a enregistrement du statut vaccinal. Mais ce dernier n’est pas permis par le Règlement général européen de protection des données (RGPD), sauf si le responsable de traitement dispose d’une exception. A savoir l’existence d’une disposition légale permettant de traiter la donnée ou un consentement explicite du patient. Ce consentement doit être libre, ce qui sous-entend qu’on doit pouvoir refuser que nos données soient traitées sans en subir des conséquences négatives. Or, si l’accès à un lieu ou un service est refusé parce qu’on ne consent pas à ce que nos données soient traitées, le consentement ne peut pas être considéré comme libre. Et il ne pourra donc pas être invoqué ici. »
Pourra-t-on me ficher?
Non, selon Laurent Ravez, »par contre, il serait intéressant de prévoir un fichier le plus sécurisé possible des personnes vaccinées. Pour permettre un traçage si des effets secondaires importants du vaccin apparaissaient et pour servir à fournir une preuve de vaccination pour ceux qui en ont besoin: je ne doute pas que certains pays vont imposer la vaccination pour l’entrée sur leur territoire, comme c’est déjà le cas pour la fièvre jaune, par exemple ».
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Comment mes données seront-elles traitées?
Alexandra Jaspar, directrice du Centre de connaissances de l’Autorité de protection des données (APD), renvoie à l’avis peu enthousiaste rendu par ce dernier « sur l’arrêté royal du 22 décembre dernier concernant l’enregistrement et le traitement de données relatives aux vaccinations dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19:
– L’arrêté prévoit dans une base de données centralisée l’enregistrement de l’identité des personnes vaccinées et de celles qui dispensent le vaccin, sans en expliquer ou justifier clairement le ou les objectifs.
– La durée de conservation des données est très longue (suppression deux ans après le décès du patient) alors que le texte est avancé comme étant une mesure d’urgence aux effets très limités dans le temps. Les objectifs (du moins ceux qui sont compréhensibles) ne justifient pas une telle durée.
– Ces données peuvent être transmises à des instances ayant une mission d’intérêt général, sans que ces instances ne soient définies et sans que l’objectif de cette transmission et réutilisation ne soit expliqué.
– La mise en place d’une telle base de données personnelles est envisageable si cela s’avère nécessaire et proportionné aux objectifs poursuivis, si c’est encadré par une norme législative suffisamment claire et précise.Celle-ci, en l’état, ne nous semble pas suffisamment précise et délègue entièrement au pouvoir exécutif le soin de définir les éléments essentiels de ce projet qui auraient dû être prévus dans une loi et non dans un arrêté. »
Laspécialiste en Droit des technologies de l’information et de la communication à l’UNamur Elise Degrave confirme: « Quand l’Etat traite des données à caractère personnel, il organise des ingérences dans la vie privée des citoyens. Celles-ci doivent respecter certaines balises fixées notamment par notre Constitution (article 22) qui impose que « les éléments essentiels des traitements de données » soient prévus dans une loi, donc après débat au Parlement, pour que le citoyen puisse avoir une réponse claire aux questions suivantes:
– que collecte-t-on à mon sujet et s’agit-il bien des données strictement nécessaires?
– où cela sera-t-il enregistré?
– pendant combien de temps?
– pour quoi faire (ce qu’on appelle la finalité du traitement)?
– qui y aura accès?
Or, l’article 11 de l’arrêté royal du 22 décembre dernier est très problématique. Il stipule que le médecin ou l’infirmier qui administre un vaccin contre la Covid-19 ou qui supervise la vaccination enregistre chaque vaccination dans la base de données. Le Roi précise, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, les modalités de cet enregistrement et définit au moins les finalités du traitement de données, les catégories de personnes à propos desquelles des données sont traitées, les catégories de données traitées, les responsables du traitement des données ainsi que la durée de conservation des données. Le gouvernement a donc le pouvoir de décider, dans l’ombre, sans débat démocratique, à quoi va servir la base de données, qui va pouvoir y accéder, pour quelle raison, si on peut réutiliser ces données, par exemple pour empêcher l’accès des non-vaccinés aux écoles, aux crèches, aux lieux de travail, aux restos, aux concerts, aux transports en commun… Toutes les instances ayant une mission d’intérêt général pourront accéder aux données après autorisation du Comité de sécurité de l’information (CSI, obscur organe institué en septembre 2018 dans le giron de la plateforme e-Health et de la Banque-carrefour de la sécurité sociale)?
Donc, si la SNCB souhaite le nom des personnes vaccinées pour limiter l’accès aux trains, elle va devoir demander au CSI l’accès aux données. On voit poindre le risque de refuser l’accès à certains services aux personnes non vaccinées. C’est peut-être légitime. Mais ce n’est pas à l’administration via le CSI de le décider. Le Parlement laisse le pouvoir exécutif organiser selon des critères douteux et non divulgués, le pouvoir exécutif délègue un pouvoir important à des personnes qui ne représentent personne et les citoyens sont mis devant le fait accompli. »
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