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RDC : un plan audacieux pour sauver la deuxième plus grande forêt du monde

Marie Gathon Journaliste Levif.be

On a tendance à l’oublier, mais le bassin du Congo cache la deuxième plus grande forêt tropicale du monde, cruciale pour la régulation du climat mondial. À l’intérieur de ce bassin, un plan visant à stopper le déclin de la forêt porte ses fruits.

La relation avec la forêt des habitants de Nkala, un village situé au coeur de la forêt tropicale, remonte à plusieurs générations. Récemment, elle a changé de manière fondamentale. En décembre 2018, les 300 villageois de Nkala ont reçu 4 100 hectares de forêt, dans le cadre d’un projet révolutionnaire en République démocratique du Congo (RDC).

Cela signifie que, pour la première fois de son histoire, la communauté a le droit légal de posséder et de gérer la forêt dans laquelle elle vit. Deux ans après le début du projet, les premiers signes indiquent que la propriété communautaire pourrait devenir un outil puissant pour stopper le déclin de la forêt tropicale du bassin du Congo, tout en réduisant la pauvreté dans l’une des régions les plus pauvres du monde.

« C’est une occasion unique de transformer le pays », déclare à la BBC Fifi Likunde Mboyo, chef de la division des forêts communautaires du ministère de l’Environnement, l’organe gouvernemental qui gère le projet. « C’est une rupture avec le passé ».

Le bassin du Congo contient quelque 314 millions d’hectares de forêt tropicale primaire, c’est plus de 100 fois la superficie de la Belgique. C’est la plus ancienne, la plus dense et la plus importante forêt sur le plan écologique. Elle joue un rôle crucial dans la stabilité du climat mondial et s’étend sur six pays d’Afrique centrale : la République démocratique du Congo, le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon et la Guinée équatoriale. En comparaison, l’Amazonie contient 519 millions d’hectares de forêt tropicale primaire.

Plus résiliente que la forêt amazonienne

Plus grands et plus résistants au changement climatique que la forêt amazonienne, les arbres du bassin du Congo absorbent quelque 1,2 milliard de tonnes de dioxyde de carbone chaque année et stockent un tiers de carbone de plus sur la même superficie que ceux de l’Amazonie. En général, on trouve plus d’espèces d’arbres sur un hectare de forêt tropicale du bassin du Congo que toutes les espèces d’arbres indigènes du Royaume-Uni réunies. Elle abrite également la plus grande tourbière tropicale du monde, environ 10 000 espèces de plantes tropicales et d’espèces menacées que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde, comme les éléphants de forêt, les gorilles de plaine et de montagne, et l’okapi, un mammifère unique que l’on décrit comme un mélange de girafe et de zèbre.

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« Étant un important réservoir de biodiversité, elle fournit d’énormes services à l’ensemble de l’humanité », déclare Simon Lewis, géographe à l’University College de Londres, qui effectue des travaux de terrain dans le bassin du Congo depuis 2002. « La forêt tropicale intacte du bassin du Congo, qui jusqu’à présent a moins souffert de la déforestation et a fait preuve d’une plus grande résistance au climat que l’Amazonie, a joué un rôle très important ».

Cependant, Lewis a découvert dans ses recherches que le changement climatique, qui se manifeste par une augmentation de la chaleur et de la sécheresse, réduit la capacité de la forêt tropicale à absorber le dioxyde de carbone. L’étude, qui a examiné 135 625 arbres sur 244 parcelles africaines dans 11 pays, a révélé que les arbres du bassin du Congo, dont la croissance a été étouffée par les conditions climatiques extrêmes, ont commencé à perdre leur capacité à absorber le dioxyde de carbone dès 2010.

Alors que les arbres individuels du bassin du Congo perdent leur capacité à absorber le carbone, le nombre d’arbres dans la forêt tropicale diminue également. L’activité industrielle – comme les plantations de palmiers à huile, l’exploitation forestière et minière – contribue à la déforestation, tout en empiétant sur l’habitat des animaux et en perturbant l’équilibre des écosystèmes. La perte de forêt tropicale primaire dans le bassin du Congo a plus que doublé entre la première et la deuxième moitié de la période de 2002 à 2019, selon l’analyse des données satellitaires de Global Forest Watch, une initiative de l’Institut des ressources mondiales. Rien qu’en 2019, 590 000 hectares ont été perdus (soit une superficie de plus de la moitié de la Jamaïque).

Les premiers résultats de l’expérience en RD Congo le confirment également. L’analyse de la Rainforest Foundation UK (RFUK), une organisation à but non lucratif qui surveille et facilite la mise en oeuvre des concessions communautaires de la RD Congo, a révélé que le taux de déforestation dans 57 concessions communautaires en 2019 était inférieur de 23 % à la moyenne nationale et de 46 % à celui des concessions forestières.

Un moment charnière

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« Nous sommes à un moment critique », déclare Ana Osuna Orozco, coordinatrice de la RFUK pour la RD Congo. « C’est un changement radical dans la façon dont la communauté internationale voit l’importance de préserver les forêts. L’époque de l’approche militarisée, des gardes et des armes est révolue. Plutôt que d’être un simple ajout, la foresterie communautaire est maintenant considérée comme un modèle de gestion des forêts ».

Plus de deux millions d’hectares de concessions de forêt tropicale communautaire en RD Congo ont été ou sont en passe d’être attribués à ce jour, selon une base de données gérée par la RFUK. Les concessions vont du vaste parc national de la Salonga au Nord-Kivu, région ravagée par le conflit. La RFUK estime que jusqu’à 75 millions d’hectares – plus de 25 fois la Belgique – sont potentiellement disponibles pour les communautés dans le cadre de ce programme.

Dans un pays où l’extrême pauvreté, qui est plus importante dans les zones rurales, fait que 72 % de la population vit avec moins de 1.5 euro par jour, l’attrait de la capture illégale d’animaux sauvages dans la forêt s’est avéré trop tentant.

« Une seule chasse réussie pourrait permettre de payer les frais de scolarité d’un an de votre enfant », explique Wasa-Nziabo. « Cela pourrait garantir que votre famille mange correctement pendant un certain temps sans se soucier du manque d’argent. »

Mais depuis que Nkala a obtenu sa concession il y a un peu plus de deux ans, il y a eu une vague de diversification des cultures dans les exploitations familiales – en introduisant du maïs, des ananas et du manioc – pour s’assurer contre des conditions climatiques plus extrêmes et imprévisibles et pour élargir les sources de revenus potentielles de la communauté. C’est l’une des exigences de la gestion durable des concessions. Des coopératives ont été créées pour vendre des produits tels que des nattes tissées à partir des palmes de l’arrosier, fournissant du travail à toutes les femmes du village.

Innocent Leti, coordinateur régional de Mbou Mon Tour, une ONG locale impliquée dans l’obtention des concessions, estime que le village est en train de se transformer. « Quand je suis arrivé ici, Nkala était très isolé et sous-développé », dit-il. « Mais aujourd’hui, ils ont construit des ponts pour traverser les rivières, une école a ouvert, la vie quotidienne s’est améliorée ».

C’est une image qui émerge à travers les paysages variés de la RD Congo. A 320 km en amont du fleuve Congo, les 500 indigènes de Lokolama ont obtenu 10 000 hectares en février 2019 avec le soutien de Greenpeace Africa, et récoltent aujourd’hui du miel, des tomates et des chenilles. Au Yanonge, à plus de 640 km à l’est, le Centre pour la recherche forestière internationale aide quatre communautés forestières isolées à établir une autre concession communautaire, en cultivant des arachides et du plantain. Dans la région du Kasaï central, connue pour ses clans matrilinéaires, une concession gérée par des femmes est en cours d’application.

Un coût exorbitant

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Chaque communauté, en collaboration avec le gouvernement local, doit délimiter les concessions avec la bénédiction des villages voisins grâce à une cartographie participative afin d’éviter les litiges, réaliser des études sur la biodiversité et des études socio-économiques sur les terres, et élaborer des plans simples de gestion des forêts et d’utilisation des terres.

Une fois la concession accordée, des comités locaux de développement doivent alors être formés au sein du village pour gérer les décisions ou les conflits liés à la gestion des terres. « Avant, les étrangers venaient sur nos terres et abattaient nos arbres », dit Paulin Ebabu, président du comité de Nkala. « Mais depuis que nos droits sur cette terre ont été reconnus par la loi, cela ne se fait plus ».

Les coûts de toutes ces exigences sont cependant importants. Alors que les communautés ne doivent pas payer de frais de demande, les chiffres publiés par RFUK révèlent que le financement nécessaire pour deux des concessions qu’elle a soutenues en RD Congo, y compris les réunions, la paperasserie et la conformité juridique, s’élevait à 90 000 euros et 125 000 euros respectivement. Pour des communautés où beaucoup, sinon tous, vivent dans la pauvreté, de telles sommes sont incroyablement élevées.

Plusieurs écueils

Outre le coût, une série d’autres problèmes entravent le projet, notamment le fait que les ONG affirment que de nombreuses communautés isolées de la RD Congo ne sont pas conscientes de cette possibilité. Pour celles qui le sont, les processus complexes requis pour obtenir une concession communautaire rendent pratiquement impossible de se passer du soutien et des conseils des ONG.

« C’est un défi », déclare Serge Ngwato, directeur de Greenpeace Africa pour la concession communautaire de Lokolama. « Les exigences techniques sont actuellement trop difficiles pour les communautés et cela coûte trop cher. Mais il est possible d’aplanir cette difficulté en simplifiant les procédures juridiques et en permettant aux communautés de commencer à gagner de l’argent grâce au modèle pendant la période de demande ».

Malgré ces obstacles, les experts en foresterie communautaire affirment que le programme de la RD Congo est une amélioration par rapport aux initiatives similaires testées dans les pays voisins tels que le Cameroun, le Gabon et la République centrafricaine.

« En RD Congo, si vous gérez bien la terre, vous la gardez à perpétuité. Au Cameroun, les concessions accordées étaient souvent non permanentes », explique Silvia Ferrari, scientifique forestière au Centre pour la recherche forestière internationale basé à Kisangani.

Selon les partisans de la durabilité à long terme, les concessions de la RD Congo permettent également d’octroyer dix fois plus de terres pour les concessions communautaires que dans d’autres pays, avec une utilisation variée des terres exigée par la loi.

Une association locale à but non lucratif – Actions pour la protection et la promotion des peuples et des espèces en danger (APEM) – a enquêté sur 35 sites forestiers communautaires dans tout le pays et a constaté que le déploiement du programme avait eu « un succès significatif ». Mais elle a également constaté des problèmes de démarrage. Près de la moitié des concessions analysées n’avaient qu’une seule vocation, ce qui va à l’encontre de la stratégie nationale qui promeut de multiples formes d’utilisation des terres. Il y avait également un manque de consultation avec les communautés voisines lors de l’établissement des cartes, ce qui entraînait un « risque élevé de litige », a constaté l’APEM. Il y a également eu un cas d’exploitation forestière illégale, avec l’utilisation d’outils semi-industriels, alors que seuls des outils plus légers comme les tronçonneuses sont autorisés.

Les responsables gouvernementaux, contraints par une réglementation stricte visant à prévenir les malversations dans l’un des pays les plus corrompus du monde, se plaignent également que le financement limité est une pierre d’achoppement. Bien qu’il s’agisse de la deuxième plus grande forêt tropicale du monde, une analyse a révélé que le bassin du Congo ne reçoit que 11,5 % du financement international pour la protection de la nature et la gestion durable des forêts dans les zones tropicales, contre 34 % dans le bassin de l’Amazone et 54,5 % dans le bassin du Sud-est asiatique.

Optimisme prudent

Mais dans un pays où les droits fonciers ancestraux sont reconnus, mais pas toujours respectés, le gouvernement estime que les concessions forestières communautaires apporteront un nouveau niveau de protection sans précédent. « C’est la première fois dans l’histoire que les peuples indigènes [en RDC] auront des concessions forestières officielles, » dit Mboyo.

Dans le même temps, les populations indigènes vont bientôt voir leurs droits fonciers légalement reconnus par l’État – en vertu de la loi générale sur la propriété de 1973, toutes les terres du pays appartiennent au gouvernement. Le projet de loi, qui a été adopté par l’Assemblée nationale de la RDC en novembre 2020 et qui devrait recevoir le feu vert du Sénat en mars 2021, confirmera non seulement les droits fonciers des groupes indigènes, mais assurera également la gratuité de l’éducation et des soins de santé.

C’est une autre raison d’être d’un optimisme prudent quant à ce projet radical qui transformera la propriété des forêts tropicales humides de la RDC et la vie des populations qui y vivent. Si les concessions sont en mesure de réaliser leur potentiel, elles pourraient contribuer grandement à la protection et à la préservation de la deuxième plus grande forêt tropicale du monde – et avec elle l’avenir de la planète.

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