Une note d’espoir dans une année pourrie: le renouvelable toujours plus fort
Les énergies renouvelables ont enregistré de nouveaux records, au détriment des combustibles fossiles. Le premier bilan des objectifs belges et européens est encourageant. Reste à réduire notre consommation.
> Notre démarche : 100 notes d’un indispensable espoir dans une année de m…
C’est un cap hautement symbolique que l’Europe a franchi sur la scène énergétique. Pour la première fois de son histoire, les sources d’énergie renouvelable y ont produit plus d’électricité que les combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz), selon le think tank britannique Ember. Celles-ci ont, c’est vrai, bénéficié d’une conjoncture doublement favorable. D’un côté, une diminution de 7% de la demande en électricité, en raison de la crise sanitaire et des mesures de confinement. De l’autre, une hausse de 11% de la production d’électricité verte par rapport à l’année précédente, grâce à l’augmentation perpétuelle de la puissance installée et à des conditions météorologiques favorables à l’éolien et au solaire. Prioritaire sur le réseau électrique, le renouvelable était donc prédisposé à s’illustrer dans ce contexte inédit.
Dans les prochaines années, une question cruciale sera de savoir si l’on est capable d’évoluer plus rapidement que les changements de générations.
A l’échelle mondiale, il se révèle tout aussi résilient face à la crise économique, puisqu’il devrait représenter 90% des nouvelles capacités de puissance installées en 2020, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). « Les énergies renouvelables défient les difficultés causées par la pandémie, affichant une croissance robuste pendant que les combustibles fossiles se débattent », résumait en novembre son directeur général, Fatih Birol. 2021 pourrait même mener à une augmentation de 10% de la puissance installée issue de sources renouvelables, la plus forte croissance depuis 2015. Si la tendance se poursuit, ces dernières deviendront par ailleurs la première source d’électricité dans le monde en 2025, mettant fin à cinq décennies sous le règne du charbon, note encore l’AIE.
Objectifs européens: l’heure du verdict
En Europe, 2020 s’avère symbolique pour une autre raison. Cette année marque l’aboutissement d’une décennie d’efforts établis dans le paquet énergie-climat, adopté fin 2008. Celui-ci avait fixé trois grands objectifs en la matière, surnommés « 20-20-20 »: réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20% par rapport à 1990, porter à 20% la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie de l’Union européenne et améliorer l’efficacité énergétique de 20% également – c’est-à-dire réduire de 20% la consommation d’énergie en 2020 par rapport aux prévisions de 2007 à politique inchangée.
L’Europe a déjà atteint le premier objectif il y a quatre ans (- 23% d’émissions par rapport à 1990) et ce bilan s’améliore au fil du temps. Elle est aussi en passe de respecter son deuxième engagement. D’après les chiffres les plus récents d’Eurostat, la part du renouvelable dans la consommation finale d’énergie s’élevait à 18,9% en 2018. En revanche, la cadence semblait insuffisante, ces dernières années, pour atteindre le dernier objectif: en 2018, l’UE des 28 (exclure la Grande-Bretagne fausserait le bilan réel) consommait encore 1 552 mégatonnes équivalent pétrole (Mtep), soit 69 de plus que le niveau requis. Si elle parvenait à rentrer dans les clous en 2020, ce serait uniquement dû à l’impact de la crise sanitaire et économique.
Pour parvenir à ces objectifs, chaque Etat membre de l’UE disposait de sa propre feuille de route. Ainsi, la Belgique devait réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 15%, augmenter la part du renouvelable à 13% dans la consommation finale d’énergie, faire baisser sa consommation d’énergie primaire à 43,7 Mtep. Comme pour l’Europe, le bulletin semble plutôt bon pour les deux premières ambitions, les seules qui soient contraignantes. En 2018, les émissions de CO2 ont diminué chez nous de 14,4% par rapport à 1990, selon l’AIE. Entre-temps, le pays devrait avoir franchi la barre fatidique de moins 15%. Seul bémol, mais de taille: le bilan CO2 de la Belgique pourrait repartir à la hausse dès 2025, puisqu’il est prévu de compenser la sortie programmée du nucléaire par de nouvelles capacités électriques essentiellement axées sur le gaz. Au niveau du second objectif, à savoir la contribution des énergies renouvelables, le compteur s’arrête à 9,4% en 2018. Si 2020 a vu naître trois nouveaux parcs éoliens en mer du Nord, elle a aussi été marquée par la fermeture définitive de la centrale biomasse des Awirs en Wallonie, après 15 ans de service. En l’absence de chiffres plus récents, le bilan provisoire global reste conforme à la trajectoire indicative mentionnée dans la directive européenne pour la Belgique (9,2% en 2018).
3 objectifs belges en 2020
– 15% d’émissions de CO2 par rapport à 1990. Réussi.
13% de renouvelable dans la consommation énergétique finale. En bonne voie (9,4% en 2018, conforme à la trajectoire attendue).
– 18% d’énergie primaire par rapport à 2005. Raté, hors conjoncture pandémique (46,8 mégatonnes équivalent pétrole consommées en 2018, trois de plus que l’objectif requis, sans amélioration notable attendue depuis lors).
Diminuer la consommation
Reste l’efficacité énergétique, le point noir de ces dernières années. En 2018, le pays a consommé 46,8 Mtep, selon la définition européenne (hors soutes maritimes inter- nationales et hors consommation à des fins non énergétiques). C’est trois de plus que l’objectif fixé et rien ne permettait d’indiquer, avant la crise, que ce solde pourrait être effacé dès cette année. « Les résultats du scénario de référence indiquent que l’objectif belge ne sera pas réalisé en 2020, mais à partir de 2025 », indiquait le Bureau fédéral du plan en 2017, dans ses perspectives sur le paysage énergétique belge à l’horizon 2050. Sur ce volet, les chiffres finaux de 2020 seront quoi qu’il en soit faussés par le contexte pandémique.
« Notre plus grand challenge, c’est bien la diminution de notre consommation, observe Benjamin Wilkin, secrétaire général de l’Association pour la promotion des énergies renouvelables (Apere). En particulier via la rénovation importante et qualitative des bâtiments. Le secteur de la construction n’a pas aidé, en brandissant souvent l’argument selon lequel le prix des habitations deviendrait impayable pour les personnes qui souhaiteraient devenir propriétaire. Le discours évolue, mais ce n’est pas encore suffisant. » Pour Hervé Jeanmart, professeur à l’Ecole polytechnique de l’UCLouvain, cet exemple traduit une crainte plus large: « Que le rythme auquel on change ne soit pas assez soutenu. On n’attend pas une nouvelle technologie pour pouvoir isoler. Malgré cela, on ne voit pas les effets de politiques permettant de multiplier par deux ce rythme des rénovations. C’est le même constat par rapport à la mobilité. Dans les prochaines années, une question cruciale sera de savoir si l’on est capable d’évoluer plus rapidement que les changements de générations. »
Industrie, chauffage résidentiel, transport… Pour diminuer la part des combustibles fossiles dans le mix énergétique belge de façon transversale, l’une des pistes trop longtemps mise au placard consiste à mettre en oeuvre une tarification carbone. Est-ce ce que la coalition Vivaldi, sans la nommer, la laisse entrevoir dans son accord de gouvernement? « Le gouvernement partira du principe du pollueur-payeur dans le cadre duquel il visera à décourager le plus possible l’usage des combustibles fossiles, via l’instauration d’un instrument fiscal, est-il écrit. Plus concrètement, il examinera comment atteindre cet objectif par le biais de signaux de prix. En principe, il doit s’agir d’un instrument neutre d’un point de vue budgétaire, dont les revenus seront restitués à la population et aux entreprises. »
En novembre, la ministre de l’Environnement, Zakia Khattabi (Ecolo), indiquait que « d’importantes démarches préparatoires visant à instaurer un prix carbone ont déjà été accomplies au cours de la précédente législature. Je prendrai l’initiative au sein du gouvernement de faire des propositions concrètes pour introduire sans tarder une telle tarification et l’accompagner des mesures nécessaires pour garantir son caractère socialement juste. » Une note préparatoire d’emblée critiquée par plusieurs partis à la Chambre, notamment par le MR, l’un des partenaires de la majorité. « Une taxe carbone qui pénalise les classes moyennes et populaires et handicape nos entreprises serait inacceptable », avait réagi son président de parti, Georges-Louis Bouchez.
Mais c’est précisément ce qu’un mécanisme redistributif est censé éviter. « Après dix ans de discussion, la Suisse a introduit en 2008 une taxe carbone sur le fioul domestique. Depuis, elle y est sociétalement acceptée », rappelait voici quelques mois Jehan Decrop, expert chez Edora, la Fédération des énergies renouvelables. Autre pays régulièrement pris en exemple: la Suède, où l’instauration d’une taxe carbone, dès 1991, fut compensée par la baisse d’autres impôts, notamment sur le revenu, favorisant ainsi l’adhésion de la population et une rénovation énergétique massive des bâtiments. « Cette notion de taxe carbone va tôt ou tard se développer de manière plus importante, commente Hervé Jeanmart. Elle permet d’indiquer ce qui est fortement émetteur de CO2 et ce qui l’est moins. Mais il faut prouver au citoyen que c’est pour le bien de notre société que l’on va dans cette direction. »
Ce seul mécanisme ne suffira pas à rencontrer les prochains objectifs européens, fixés en 2030. Mais la nature des discussions politiques sur ses modalités permettra inévitablement d’évaluer, à brève échéance cette fois, la capacité des gouvernements fédéral et régionaux à s’atteler à leurs grandes promesses en la matière pour les prochaines années.
Les défis
Le rôle du consommateur: « La prochaine décennie sera marquée par l’intégration des consommateurs dans la production énergétique, annonce Benjamin Wilkin, secrétaire général de l’Association pour la promotion des énergies renouvelables (Apere). Un nouveau droit s’est développé dans le Clean Energy Package de la Commission européenne, finalisé en juin 2019 : celui de produire, consommer, stocker et vendre l’énergie que l’on produit chez soi. » Ce cadre devrait favoriser le développement de communautés d’énergie, produisant leur énergie localement et introduisant ainsi l’économie sociale. « Il s’agit de dégager des bénéfices économiques, sociaux et environnementaux avant la recherche du profit financier », poursuit Benjamin Wilkin. Ces dernières années, les projets éoliens ou photovoltaïques conçus dans la seule optique d’alimenter un rendement financier furent au centre de nombreuses critiques, y compris des riverains directement concernés. Le citoyen pourra-t-il aussi jouer un rôle plus actif pour sa consommation ? Vu l’intermittence des énergies renouvelables, dont les pics de production diffèrent des pics de consommation, un autre enjeu vise à réunir autant que possible ces deux schémas. D’un côté grâce à des solutions de stockage, de l’autre via des incitants pour adapter la consommation à la production. Pointés du doigt au nom du respect de la vie privée, les compteurs digitaux intelligents constitueront pourtant une condition sine qua non pour choisir, par exemple, une formule où le prix de l’électricité consommée varie dans la journée selon son abondance sur le marché. « On pourrait aussi envisager une réserve citoyenne volontaire : ceux qui accepteraient de diminuer leur capacité de puissance, en cas de risque de pénurie, seraient rémunérés pour cet effort », souligne Benjamin Wilkin.
La chaleur renouvelable: jusqu’ici, la production éolienne et photovoltaïque reste axée sur la restitution d’électricité au consommateur final. Un enjeu majeur, dans les prochaines années, sera d’exploiter cette électricité verte, en amont ou en aval, pour produire de la chaleur. Marginal à l’heure actuel, l’hydrogène produit par électrolyse pourrait servir en priorité aux grandes installations industrielles. Pour le chauffage résidentiel, les pompes à chaleur géothermiques restent jusqu’ici trop peu exploitées en raison de leur coût de fonctionnement. Elles peuvent pourtant produire de la chaleur en hiver et de la fraîcheur en été. Diminuer la fiscalité sur le prix de l’électricité pourrait faciliter la transition vers la production de chaleur plus durable… A condition que cette baisse soit répercutée sur la facture du consommateur final.
Les usages non-énergétiques: l’énergie acheminée en Belgique n’est pas toujours utilisée à cette seule fin. Loin de là : les usages dits « non-énergétiques », pour produire d’innombrables produits (plastiques, cosmétiques, pesticides…), consomment même 35 % du pétrole acheminé dans le pays, selon la Direction générale de l’énergie du SPF. Ils constituent par ailleurs 18,5 % de la consommation finale d’énergie, soit presque autant que les usages résidentiels (20,1%). « Nous sommes parmi les champions européens en la matière, observe Hervé Jeanmart (UCLouvain). Le port d’Anvers fait partie de nos pôles de production majeurs de vecteurs non énergétiques. Est-ce que cela a du sens, dans un pays qui manque d’énergie, de garder des activités de production de biens nonénergétiques ? C’est une question qu’il faudra se poser dans les prochaines années, surtout s’il faut y acheminer des combustibles autres que le pétrole, plus complexes et coûteux à transporter. »
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