« En mai, tonte à l’arrêt »: les 4 vertus planétaires d’un jardin plus écologique
L’opération « En mai, tonte à l’arrêt » s’inscrit dans la droite lignée de l’immense effort à accomplir pour sauver nos écosystèmes, en grande souffrance. Voici comment nos jardins peuvent, eux aussi, aider à résoudre quatre défis majeurs de ce siècle.
C’est un bouleversement dont la planète peine à prendre la pleine mesure. Des lacs aux océans, des grandes étendues sauvages jusqu’aux jardins les plus modestes, la biodiversité se porte mal. Très mal. « Si nous sommes extrêmement honnêtes, nous devons admettre que, pour le grand public, la crise de la biodiversité n’a pas le même degré d’urgence que la crise climatique ou la crise Covid », soulignait, en octobre 2020, Frans Timmermans, le vice-président de la Commission européenne, en charge du Pacte vert pour l’Europe. Pour inverser la tendance, il est urgent d’agir sur tous les fronts, alertent des études unanimes sur le sujet: mettre fin aux dérives de l’agriculture intensive, bannir les pesticides, limiter le changement d’affectation des sols, créer de nouvelles réserves naturelles, mieux gérer les forêts, mais aussi nos jardins.
On ne sauvera pas non plus la biodiversité sans intervenir là où l’humain vit, produit son bois et s’alimente.
Longtemps exclus des schémas et réflexions en la matière, en raison de leur taille et de leur caractère privatif, ces derniers sont désormais appelés à contribuer à cette grande opération de sauvetage, comme le note à présent la littérature scientifique. Pour une simple raison: l’urgence est telle que toute initiative, aussi petite soit-elle, est la bienvenue. « On ne sauvera pas la biodiversité sans politique forte pour les milieux exceptionnels, mais on ne la sauvera pas non plus sans intervenir là où l’humain vit, produit son bois et s’alimente », résume Grégory Mahy, professeur à la faculté Gembloux Agro-Bio Tech de l’ULiège.
Inscrivez-vous gratuitement à l’opération « En mai, tonte à l’arrêt » via ce lien: https://www.levif.be/enmaitontealarret/
« Créer de petites zones de nature dans son jardin, cela peut réellement aider à favoriser des centaines de petites bêtes, tout en contribuant à recréer un maillage écologique entre les zones naturelles et semi-naturelles, ajoute Georges Abts, animateur-coordinateur du Réseau Nature pour les particuliers chez Natagora. La différence entre un jardin avec un gazon tondu et un jardin naturel est réellement incroyable! Une possibilité évidente consiste à opter pour le non-interventionnisme, c’est-à-dire à laisser des espaces de nature spontanée, ce qui a un réel intérêt en matière de biodiversité. » Or, en ville comme à la campagne, bon nombre de jardins se profilent actuellement comme autant d’occasions manquées d’agir en ce sens. Leur potentiel est pourtant d’autant plus important dans un pays comme la Belgique, où la densité de population se traduit par une artificialisation des sols et un morcellement du territoire particulièrement néfaste à l’environnement.
Rétablir un juste équilibre. C’est donc ce que propose Le Vif avec son opération « En mai, tonte à l’arrêt ». Au-delà de l’acte citoyen en lui-même, la transition vers un jardin plus écologique engendre ces quatre grandes vertus, cruciales pour l’avenir de la planète.
1. Restaurer la biodiversité
S’il fallait résumer la perte de biodiversité globale en un chiffre, il proviendrait du WWF Living Planet Report 2022: depuis 1970, la taille des populations de mammifères, oiseaux, poissons, amphibiens et reptiles a connu une baisse moyenne de 69%. « La crise de la biodiversité, c’est la crise environnementale majeure, plus importante encore que le climat, avertit Grégory Mahy. Elle aura un impact direct sur les sociétés humaines. Certains éléments sont liés aux jardins. Par rapport aux insectes, 40% des espèces sont en déclin, un tiers sont menacées et chaque année, leur masse totale dans le monde diminue de 2,5%. Si l’on suit ce modèle, cela veut dire que dans cinquante ans, plus de la moitié des insectes auront disparu. »
Parmi ceux-ci, les pollinisateurs (abeilles et papillons notamment) jouent un rôle essentiel pour l’alimentation. « Presque toutes les espèces d’abeilles sauvages du monde, sauf quelques espèces opportunistes, sont en régression, certaines très fortement », indique Marc Peeters, expert en biodiversité à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique, l’un des partenaires du mouvement #Ensemble pour la biodiversité, lancé en mai 2020. « Sachant que l’abeille est un animal clé dans la plupart des écosystèmes et des chaînes alimentaires, c’est une constatation très préoccupante. Rappelons que 80% des cultures à l’échelle européenne dépendent directement ou indirectement de la pollinisation par les insectes. » Et comme tout écosystème est par essence interdépendant, les oiseaux n’échappent pas à cet effondrement. « Entre 1990 et 2020, les populations wallonnes des 81 espèces d’oiseaux communs considérées ont perdu en moyenne 39% de leurs effectifs, soit une érosion de 1,6% par an », relève l’un des indicateurs de l’Etat de l’environnement wallon, que l’administration actualise périodiquement.
Pour changer la donne, le temps est compté. « A l’échelle mondiale, il est deux fois plus coûteux de retarder l’action pour stabiliser l’intégrité de la biodiversité que d’agir immédiatement, souligne encore un récent rapport du bureau d’étude britannique Vivid Economics. Si l’action est retardée, il deviendra impossible de [la] stabiliser, même dans son état actuel de dégradation. » Logiquement, les jardins ont donc un rôle à jouer. Bien sûr, ceux-ci restent des espaces privés ou collectifs, selon leurs propriétaires. Tous peuvent cependant contribuer à l’effort de guerre. Le combat de la sensibilisation semble déjà acquis, constate Grégory Mahy. Reste à gagner celui de la formation, des particuliers aux entreprises, en passant par les pouvoirs locaux. « Il y a toujours une tendance humaine à vouloir contrôler ce qui l’entoure, poursuit le professeur. Nous devons apprendre à faire avec la nature. Elle fait très bien toute seule des tas de choses dont nous avons besoin. Attention: je ne dis pas qu’un jardin doit être une friche. Mais il faut trouver un juste équilibre. »
80% des cultures à l’échelle européenne dépendent directement ou indirectement de la pollinisation par les insectes.
Dans cette optique, quelques actions apparaissent évidentes: ne plus tondre une partie de son gazon, garder une proportion d’arbres, d’arbustes et de plantes indigènes dans son jardin (des listes exhaustives sont facilement accessibles en ligne), bannir les plantes exotiques invasives ou les plantes horticoles (comme les géraniums) proposant peu de nectar, offrir le gîte et le couvert aux insectes via des fleurs, des habitats naturels ou des hôtels… Un apport fructueux nécessite de se documenter sur la question. Il est avéré, par exemple, que les abeilles domestiques font concurrence aux abeilles sauvages. « Il est important d’éviter les fausses bonnes idées, valide Georges Abts. Afin qu’une haie soit bénéfique, il faut choisir des essences indigènes. Une mare ne doit comporter ni pompe, ni espèces exotiques, qui détruisent la faune aquatique. » Pour Grégory Mahy, il incombe aussi aux architectes-paysagistes et aux pépinières d’accorder une priorité plus importante aux critères favorisant la biodiversité, dans les projets ou produits proposés.
2. Résister au changement climatique et aux menaces
Le changement climatique produit déjà ses premiers effets et, même dans les scénarios les plus optimistes (qui sont aussi, par ailleurs, les moins probables), certaines conséquences seront inévitables, y compris dans nos contrées. C’est pourquoi la Belgique s’est dotée, en 2017, d’un Plan national d’adaptation pour y faire face, comme le rappelait Le Vif en septembre dernier, via sa grande opération « Réveil climatique ».
A l’échelle des jardins, un nouveau paradigme s’impose afin de garantir leur plus-value, tant pour la nature que pour l’être humain, dans les conditions altérées des prochaines décennies. « Avec des écosystèmes en bonne santé, l’adaptation aux changements climatiques serait beaucoup plus facile, observe Grégory Mahy. Or, on se retrouve aujourd’hui avec des systèmes précisément incapables de s’y adapter. » Une pelouse, plus encore si elle est coupée à ras, subit particulièrement les épisodes de sécheresse, comme la canicule record de l’été 2019 l’avait démontré, jusque dans les images satellitaires. Quand de violentes précipitations s’ensuivent, l’eau ne parvient plus à s’infiltrer dans les sols, engendrant des risques d’érosion, d’inondations et, dès lors, une baisse des réserves en eau dans les nappes souterraines.
Un jardin peu ombragé et recouvert d’un gazon court est donc fortement exposé à ce triple problème. A l’inverse, « plus il est écologique et diversifié, plus il fonctionnera comme une éponge permettant de retenir bien mieux les précipitations, aussi bien dans la couche végétale que dans le sol », précise Marc Peeters. « En cas de sécheresse, un gazon monospécifique encourt le risque d’être affecté dans son fonctionnement sur le long terme, confirme Grégory Mahy. Une pelouse plus diversifiée, elle, a plus de chance d’y résister, parce que les synergies entre les espèces, au niveau de la gestion de l’eau, du sol et des nutriments, sont meilleures. Mais aussi de se rétablir après, puisqu’il est plus probable qu’une série d’espèces ait pu survivre à cet épisode. » Dans la même logique, un écosystème plus diversifié est également mieux armé pour contrer d’éventuelles espèces invasives. « Si vous avez un ensemble interactif de dix espèces en place, par exemple un jardin fleuri, cet ensemble a beaucoup plus de chance d’y faire face qu’une surface comme le gazon, qui n’en comporte qu’une », synthétise Marc Peeters.
Limier les îlots de chaleur
En milieu urbain, où la température peut être supérieure de 7 degrés par rapport à la campagne avoisinante, l’apport de jardins plus variés est aussi crucial pour limiter les îlots de chaleur. Un article publié en 2019 dans la revue Frontiers of Earth Science confirme qu’une plus large couverture végétale, dans huit villes de la région des Grandes Plaines, aux Etats-Unis, se traduit par une réduction des écarts de température ville-campagne. En Région bruxelloise, les jardins représenteraient plus de 30% du total des espaces verts, même si cette estimation n’a plus été actualisée depuis vingt ans. Ce qui prouve à quel point ceux-ci peuvent, eux aussi, être associés aux stratégies régionales de biodiversité et d’adaptation aux changements climatiques .
3. Capturer et limiter les émissions de CO2
En 2019, l’activité humaine globale a eu pour effet de rejeter plus de 40 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, selon le consortium scientifique Global Carbon Project. C’est 55% de plus qu’il y a trente ans. Outre les océans, on sait que la végétation absorbe du CO2, via la photosynthèse, et stocke en partie le carbone durant toute sa durée de vie. La proportion varie selon l’espèce, l’âge et bien d’autres facteurs, mais il est admis, par exemple, qu’un arbre absorbe en moyenne 10 à 50 kilos de CO2 par an. Chaque plante, y compris le gazon, puise une certaine quantité de carbone. « Mais là où les arbres et arbustes permettent un stockage de long terme, celui-ci est très limité dans les temps au niveau d’un gazon, pointe Marc Peeters. A ce niveau également, il y a tout à gagner à remplacer la pelouse par de la végétation plus naturelle, comme une prairie fleurie parsemée çà et là d’arbustes et d’arbres. »
Plus un jardin est diversifié, plus il fonctionnera comme une éponge permettant mieux retenir les précipitations, dans la couche végétale et dans le sol.
Un jardin plus diversifié, orné en partie d’espèces indigènes et adaptées à notre climat, permet aussi de réduire les émissions indirectes de CO2, notamment liées à la fabrication et au transport d’engrais en tout genre. De même, le choix de certains arbres et d’arbustes fruitiers, en plus d’accroître la biodiversité, peut permettre aux ménages concernés d’en bénéficier eux-mêmes et de réduire les gaz à effet de serre dus, en amont, à la logistique du secteur alimentaire.
A l’échelle belge, aucun chiffre ne permet d’estimer la superficie totale des jardins privés. Ni, dès lors, la part qui pourrait être dédiée à la plantation d’arbres ou aux prairies en fleurs, sans porter préjudice à leur usage fonctionnel. En sachant toutefois qu’un jardin belge s’étendrait en moyenne sur 5,5 ares, selon les données de l’enquête menée par Shopperware, pour le compte de Comeos, la fédération des commerces et des services, bon nombre de ménages auraient l’espace requis pour cohabiter avec une nature plus foisonnante.
4. Améliorer la qualité du sol
La qualité d’un sol se mesure à l’aune des critères évoqués plus hauts. Plus perméable, plus favorable aux pollinisateurs et plus résilient face aux aléas climatiques, un jardin axé sur la biodiversité permet souvent d’améliorer la productivité de son éventuel potager, sans recourir à des intrants épuisant les terres sur le long terme. « Pour avoir un bon sol, quelle que soit sa composition (sablonneux, argileux, etc.), il faut de l’eau et des interactions entre les minéraux, les nutriments, à savoir la matière vivante décomposée, et les plantes, relate Georges Abts. Retirez un de ces éléments, et le sol s’appauvrira. »
Le combat contre l’appauvrissement des sols concerne avant tout l’agriculture. Vu l’accroissement de la population mondiale et de la demande globale en denrées alimentaires, la superficie de terres arables par habitant, à l’échelle de la planète, a été divisée par deux entre 1961 et 2018, note l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Elle est ainsi passée de 0,36 à 0,18 ha par habitant – pour seulement 0,07 ha en Belgique en 2018. Les jardins se profilent comme des adjuvants en apparence bien modestes pour soulager la pression sur les terres agricoles. Mais leur apport s’avère pourtant toujours plus précieux. Tout comme la productivité que le moindre petit potager peut offrir.
« Il faut faire comprendre que la biodiversité est intrinsèquement liée à notre bien-être et à notre rapport au monde, conclut Grégory Mahy. La cause principale de son effondrement, c’est la destruction des habitats naturels et leur remplacement par des surfaces artificialisées ou des écosystèmes trop homogènes. Par exemple, de grandes étendues agricoles où l’on ne retrouve qu’une seule espèce. Des forêts dominées par des plantations monospécifiques. Mais aussi des jardins où l’on ne trouve que des gazons très peu diversifiés. » Incontestablement, l’état d’urgence justifie l’addition de toute initiative en faveur de la biodiversité, clament tous les experts. A commencer par la mise à l’arrêt des tondeuses dès ce mois de mai.
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