L’urgence d’une relance verte: faire du renouvelable le grand bénéficiaire de la sortie de crise
Prix du pétrole en berne, chute des investissements dans l’énergie, course aux coûts les plus bas… La crise sanitaire menace-t-elle l’essor des énergies renouvelables ? Les plans nationaux seront cruciaux pour espérer une relance verte. Un enjeu déjà historique pour le futur gouvernement fédéral.
Le monde de l’énergie a basculé en une poignée de pourcents. Six, très exactement, soit la diminution attendue de la demande globale d’énergie primaire en 2020 par rapport à 2019. Une chute sept fois plus importante que celle survenue au lendemain de la crise économique de 2008, notait l’Agence internationale de l’énergie (AIE) en avril dernier. Une première depuis septante ans, aussi. Comme si un pays tel que l’Inde n’avait rien consommé cette année. Comme pour tant de secteurs, c’est bien un séisme que la crise sanitaire a causé sur la scène énergétique. Initialement annoncés en croissance de 2% cette année, les investissements en ce sens devraient finalement diminuer de 20% par rapport à 2019, ce qui représente quelque 340 milliards d’euros en moins, comme l’indiquait encore l’AIE.
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Bien sûr, ce sont surtout les énergies fossiles qui ont été le plus impactées. Après un plongeon de 70% entre janvier et mars, passant sous les 20 dollars, le prix du baril de pétrole s’est désormais stabilisé aux environs de 45 dollars, ce qui reste largement inférieur au niveau d’avant-crise. Dans ce contexte particulier, les énergies renouvelables ont quant à elles davantage tiré leur épingle du jeu : prioritaires dans le réseau électrique et toujours plus exploitées, elles devraient être les seules à connaître un différentiel de consommation positif cette année, de l’ordre de 1% selon l’AIE. Tant l’éolien que le photovoltaïque ont en outre bénéficié respectivement de conditions venteuses et d’ensoleillement optimales, augmentant d’autant plus leur part dans le mix électrique. C’est ainsi qu’au cours du premier semestre de 2020, les énergies renouvelables ont franchi un cap historique dans l’Union européenne. Pour la première fois de leur histoire, elles y ont produit davantage d’électricité que les combustibles fossiles, d’après un rapport du think tank énergétique Ember.
Des politiques cruciales
Pour autant, la crise affecte bel et bien la transition vers une société plus verte, tant au niveau de l’essor des énergies renouvelables que de l’amélioration de l’efficacité énergétique. « La baisse des dépenses consacrées aux principales technologies énergétiques propres risque de compromettre la transition indispensable vers des systèmes plus résilients et durables, résumait, en mai dernier, Fatih Birol, le directeur exécutif de l’AIE. La crise a certes réduit les émissions [de CO2], mais pour toutes les mauvaises raisons. Si nous voulons parvenir à une réduction durable des émissions mondiales, nous devrons assister à une augmentation rapide des investissements dans les énergies propres. La réponse des décideurs politiques et la mesure dans laquelle les préoccupations énergétiques et de durabilité sont intégrées dans leurs stratégies de redressement seront essentielles. »
A l’instar de la France, où un tiers des 100 milliards d’euros du plan de relance seront consacrés à la transition écologique, le futur gouvernement belge devra lui aussi décider de l’ampleur de l’effort budgétaire à consentir en la matière. « A l’heure actuelle, nos politiques n’ont pas encore saisi l’occasion de faire du renouvelable le grand bénéficiaire de la sortie de crise, regrette Fawaz Al Bitar, le directeur général d’Edora, la fédération des producteurs d’énergie renouvelable. Le package énergétique lancé en début de législature précédente par la ministre Marie-Christine Marghem (NDLR : en charge de l’énergie, MR) était a priori une bonne idée, mais il n’a jamais pu conduire à un scénario crédible de remplacement du nucléaire. J’espérais que cette crise-ci puisse accélérer le processus, mais ce n’est pas le cas pour le moment. »
En mai dernier, la commissaire européenne pour l’énergie, Kadri Simson, annonçait que les commandes dans les industries éolienne et solaire devraient chuter de 33% cette année par rapport à 2019, alors que celles-ci tablaient sur une croissance de 6 à 8% avant la crise. En Belgique, toutefois, les projets en cours ou à venir des grands acteurs de l’énergie ne semblent pas menacés. « Pour ce qui nous concerne, nous n’avons pas observé d’impact négatif sur le développement de nos projets de renouvelable, commente François Boisseleau, chief economist chez Engie. Nous avons vu quelques effets à la marge au niveau de nos chaînes d’approvisionnement, mais cela a occasionné des retards de quelques semaines tout au plus. »
Luminus n’a pas davantage connu de difficultés. « Même avec la crise, nous continuons à développer l’éolien en Belgique, souligne son CEO, Grégoire Dallemagne. Après une excellente année 2019, puisque quatre nouvelles éoliennes sur dix ont été construites par Luminus, nous continuons sur notre lancée pour 2020, avec une vingtaine de chantiers actifs qui ne souffrent d’aucun retard particulier. Quant à notre pipeline de projets pour 2021 et 2022, il n’a jamais été aussi bon. »
De son côté, Eneco évoque quelques retards de procédures et des pertes financières qu’ont par ailleurs connu tous les fournisseurs, contraints de revendre à très faible prix le surplus du volume d’énergie acheté à l’avance pour leurs clients. « Mais cela n’influence en rien notre portefeuille de production, qui est financé d’une tout autre manière », précise Christophe Galimont, responsable des affaires juridiques et réglementaires.
Deux menaces
En revanche, la crise économique fait planer deux autres menaces sur la transition énergétique, dont les répercussions pourraient perdurer à moyen ou à long terme. La première concerne la capacité financière des ménages, des entreprises et de l’industrie à investir dans des solutions énergétiques plus propres : la crise va-t-elle se traduire par un report ou par une annulation de ces projets ? A ce stade, il est trop tôt pour tirer une telle conclusion. « Nos clients ont évidemment une crise à gérer et pour certains, l’installation d’une éolienne ou de panneaux solaires n’est peut-être pas la priorité absolue, indique François Boisseleau, pour Engie. Mais la crise n’a pas affecté pour autant leur volonté de s’inscrire dans une logique de développement durable. Je n’ai pas vu de client faire machine arrière sur le sujet. » Y compris dans l’industrie en général, responsable à elle seule de près de 50% des émissions de CO2 en Belgique. « Beaucoup de grandes sociétés sont encore plus décidées à profiter en quelque sorte de la crise pour apporter des changements structurels dans leurs processus, investir dans le renouvelable tout en partageant cela avec leurs employés », constate Christophe Galimont.
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La seconde menace est liée au regain de compétitivité d’énergies polluantes, comme le charbon et le pétrole. La chute de leur prix incitera-t-elle certains Etats ou gros consommateurs d’énergie à se tourner à nouveau et en priorité vers ces dernières ? Le risque semble bien réel dans plusieurs régions du monde, notamment en Amérique du Sud et du Nord, ainsi qu’en Asie. « Bien que les décisions de créer de nouvelles centrales au charbon ont diminué de plus de 80% depuis 2015, le parc mondial de charbon continue de croître, soulignait récemment l’AIE. Sur la base des données disponibles et des projets annoncés, les approbations de nouvelles centrales à charbon au premier trimestre 2020, principalement en Chine, se sont déroulées au double du rythme observé sur l’ensemble de 2019. »
Chez nous, un scénario aussi extrême est exclu. Mais en l’absence d’un mécanisme de taxation carbone, les solutions renouvelables risquent de perdre en partie, durant quelques mois voire années, l’avantage compétitif qu’elles avaient peu à peu acquis. « Le prix du gaz et du mazout étant extrêmement bas, je m’attends à des effets négatifs pour toutes les solutions de chaleur renouvelable », redoute Fawaz Al Bitar. « Dès lors que le prix des combustibles fossiles est en baisse, le risque d’en consommer plus augmente, résume Grégoire Dallemagne. De nombreuses entreprises ont des plans très sérieux de réduction des émissions de CO2 et déploient des efforts considérables en ce sens. Mais si certains acteurs utilisent des combustibles fossiles bon marché sans être taxés suffisamment pour leurs émissions, la concurrence devient difficile. C’est la raison pour laquelle une taxe CO2 est essentielle pour rétablir l’équilibre. »
Au niveau européen, le débat fait d’ailleurs rage sur la possibilité d’étendre le système d’échange de quotas d’émission de CO2 (ETS, pour Emission Trading Scheme) au transport routier. « Les Etats ont depuis longtemps subsidié le transport de diverses façons : subsides directs aux infrastructures, tolérance excessive envers les carburants toxiques dans les transports maritimes par exemple, détaxation du carburant pour les avions, etc. […] Ne faudrait-il pas profiter de cette baisse des prix du pétrole pour introduire une taxe sur ses émissions de CO2 ou pour augmenter la fiscalité des carburants ?, questionnait Michel Helbig de Balzac, vice-président d’Edora, dans La Libre en mai dernier. Toute la difficulté consistera à trouver un point d’équilibre qui ne grève pas pour autant le pouvoir d’achat des ménages.
Revoir la fiscalité
La diminution des émissions de CO2 passera par une électrification plus importante de la demande d’énergie, affirment bon nombre d’experts depuis des années. Or, la fiscalité élevée de la Belgique sur l’électricité freine cette transition jugée indispensable.
« C’est grâce à l’électricité que l’on pourra éradiquer une grande partie des émissions de CO2, souligne Grégoire Dallemagne. Passer d’un véhicule thermique à un véhicule électrique permet de réduire ses émissions de 75% sur l’ensemble de son cycle de vie. Passer d’une chaudière à gaz à une pompe à chaleur les divise par quatre. Or, le prix de l’électricité est beaucoup plus cher que celui du gaz en Belgique. Il devient donc urgent d’ouvrir le débat sur leur taxation respective. »
A défaut de quoi le pays passerait à côté d’une occasion historique de rebattre les cartes en faveur d’une société plus durable. Dont l’absence de courage politique serait la principale responsable.
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