Climat: comment faire bouger les gouvernants?
Après le verdict choc du Giec, on attend des mesures fortes pour limiter le réchauffement. Les gouvernants l’ont-ils vraiment compris? Que peut-on espérer de la COP 26? Le pouvoir de décision n’appartient-il qu’aux politiques?
Inondations, incendies. Les deux mots les plus diffusés dans les actualités cet été. Si on y ajoute « Giec », « hausse des températures », « événements climatiques extrêmes », on obtient un bon résumé de l’urgence à laquelle nous sommes confrontés. Le nouvel état des lieux dressé par le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, qui réunit scientifiques et représentants des gouvernements de tous les pays membres de l’ONU, est sans appel: le dérèglement s’accélère et la responsabilité de l’activité humaine sur le réchauffement ne fait plus l’ombre d’un doute. Bref, si on ne réduit pas plus rapidement les émissions de CO2 responsables de l’escalade des températures, on va droit dans le mur.
Le climat n’est pas un problème international, mais global.
Tout cela n’est pas nouveau, sauf l’extrême urgence officialisée par le Giec. Des efforts ont certes déjà été consentis, mais ils sont très loin d’être suffisants. La COP 26 qui se tiendra en novembre prochain à Glasgow (Ecosse) est plus attendue que jamais. Tout le monde en est conscient: les décideurs politiques doivent mouiller leur chemise, de façon radicale. Comme pour la crise sanitaire qui a démontré, malgré les couacs et les hésitations, que c’était possible.
Le modèle de gestion de la Covid semble justement inspirer les gouvernants belges. L’idée: créer un Codeco Climat et un commissariat d’experts chargés de le conseiller. Ce serait une petite révolution, alors que l’Etat belge vient de se faire sévèrement tacler par un tribunal de Bruxelles pour sa gestion trop mièvre des impératifs climatiques. « Centraliser la gouvernance éparpillée entre les différentes entités, avec un pilotage au plus haut niveau, celui du Premier ministre, serait une bonne chose », réagit François Gemenne, professeur de géopolitique de l’Environnement (ULB, ULiège, Sciences Po-Paris) et auteur principal au Giec.
Changer le modèle de négociation
Evidemment, la modeste Belgique ne pourra pas faire grand-chose seule. Jacques de Lapalisse n’aurait pas écrit mieux: c’est à l’échelon international que ça se joue. Mais jusqu’ici, les COP ont déçu ceux qui s’attendaient à un grand accord. « Il serait naïf de continuer à se lamenter sur l’échec de ces conférences onusiennes qui doivent aboutir à l’unanimité de 197 pays, alors que des chefs d’Etat de grandes puissances – Trump jusqu’en 2020, Bolsonaro au Brésil, Morrison en Australie – sont résolument anticlimat et font tout pour faire échouer les négociations », commente le professeur Gemenne, pour qui il faut faire voler en éclats ce modèle de concertation.
Le principal enjeu de la COP est la présentation par chaque Etat de ses contributions nationales, les fameuses NDC (Nationally Determined Contributions). Chacun va donc vouloir présenter un beau bulletin tout en essayant d’améliorer à l’avenir son propre bilan carbone. « Mais ces bulletins territoriaux sont biaisés, selon François Gemenne. Pour un pays ayant peu d’industries comme la Belgique, l’essentiel de l’empreinte carbone constitue des émissions importées et non produites chez nous. En continuant avec cette logique nationale, on n’arrivera pas à grand-chose. On oublie que le climat n’est pas un problème international mais global. »
Les entreprises autour de la table
Le spécialiste plaide pour une logique dans laquelle la Belgique et les autres pays développés, plutôt que de raisonner à l’échelle de leur seul territoire, aideraient leurs partenaires commerciaux à réduire leurs émissions, en partageant par exemple une série de technologies, un peu comme la France le fait avec ses centrales solaires en Inde. C’est le leadership de quelques grandes puissances qui peut faire avancer les choses: le retour américain sur la scène du climat le montre bien. Le modèle de négociation doit aussi davantage s’ouvrir à d’autres acteurs que les gouvernements, dont les leviers sont finalement assez réduits. « En avril dernier, lors du sommet virtuel que Joe Biden a organisé sur le climat avec quarante chefs d’Etat, il y avait également des maires de grandes villes ou des patrons de grandes entreprises, note François Gemenne. C’est une très bonne chose. »
Centraliser la gouvernance éparpillée entre les différentes entités, avec un pilotage au plus haut niveau, celui du Premier ministre, serait une bonne chose.
Lors du One Planet Summit organisé à Paris il y a trois ans, le président français Emmanuel Macron avait invité la Banque mondiale, de grands fonds souverains, des géants du secteur bancaire et de l’assurance, montrant ainsi l’importance de la finance dans la lutte contre le réchauffement. Mettre davantage les entreprises autour de la table, plutôt que les laisser faire du lobbying en coulisse, peut s’avérer constructif. Ce sont des acteurs essentiels, créateurs de nouvelles technologies, de plus en plus conscients qu’il est dans leur intérêt de devenir durable.
Pas sans la société civile
Fin mai dernier, le virage historique de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) était d’ailleurs édifiant: celle-ci a affirmé que les investissements dans de nouvelles installations pétrolières et gazières doivent cesser, dès 2021, et qu’il est possible d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Les alliances ne passent donc pas seulement par les gouvernements ni par l’ONU, même s’il est indispensable de conserver un forum tel que la COP où tout le monde se parle. D’autres modèles de négociation sont d’autant plus essentiels que les majorités politiques changent rapidement: aux Etats-Unis, dont le leadership mondial reste important, l’élection de Biden est porteuse d’espoir. Mais quid si Trump revient dans trois ans et demi?
L’action des ONG et des organisations citoyennes sera aussi capitale, d’autant que certaines ont acquis une belle légitimité au fil du temps. Si la Covid a paralysé les initiatives de grands rassemblements, cela va changer. En Belgique, la Coalition Climat, qui réunit quatre-vingts organisations, a annoncé une mobilisation le 10 octobre prochain. Quant à l’association Youth for Climate, elle a annoncé un retour des jeunes dans la rue dès le 23 septembre, le premier d’une longue série. « Nous ne sommes pas restés sans rien faire pendant la Covid, précise Nicolas Van Nuffel de la Coalition Climat. Durant les confinements, nous avons mobilisé nos énergies sur le plan de relance européen. Avec un certain succès. » Et de se réjouir que la moitié des dépenses prévues par le plan belge concernent le climat, alors que l’UE exigeait un minimum de 37%.
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