Dossier spécial patrimoine: l’ABC de l’héritage et de la donation
Voilà une réflexion qu’a priori on n’aime pas particulièrement avoir. Pourtant, anticiper l’organisation de sa succession, voire transmettre une partie de son patrimoine de son vivant, apporte d’indéniables avantages: la tranquillité d’esprit et l’assurance de ne pas réserver de mauvaises surprises à son entourage après son décès. Cet abécédaire devrait vous apprendre le b.a.-ba afin d’y voir plus clair.
A comme Achat scindé
Transmettre une partie de son patrimoine de son vivant tout en s’assurant qu’il sera placé en bon père de famille et en continuant à en récolter les fruits? Au pays de « la brique dans le ventre », la technique a connu et connaît encore un certain succès auprès des familles (relativement) aisées. Elle consiste à donner, la plupart du temps à ses enfants, de quoi acheter la nue-propriété d’un bien immobilier tandis que les parents s’en réservent l’usufruit. En clair, les parents touchent les loyers générés par le bien jusqu’au décès du dernier survivant, puis les enfants (ou les autres ayants droit) deviennent automatiquement pleins propriétaires du bien. Sans passer par la case « droits de succession à payer », donc. Un peu trop beau pour être vrai? S’il présente, de fait, d’indéniables avantages, ce tour de passe-passe « est un peu dangereux, prévient Sylvain Bavier, notaire à La Louvière, parce que l’administration fiscale change très souvent de position au sujet de cette technique (NDLR: une fois elle la tolère, une fois elle l’apparente à de la dissimulation fiscale) et qu’il peut être compliqué de s’en justifier après le décès du dernier survivant ». S’il est utilisé, cet achat scindé doit l’être en prenant « de grandes précautions. Il faut notamment s’assurer qu’on est en mesure de prouver que l’argent nécessaire à l’achat est bien sur le compte du ou des nu(s)-propriétaire(s) au moment de la transaction et que, puisque celle-ci est précédée d’une donation en numéraire, la donation est enregistrée et a, par conséquent, une date certaine. »
5 ans – En Wallonie, il faut désormais survivre cinq ans à une donation bancaire pour qu’elle ne soit pas automatiquement considérée comme faisant partie intégrante de la succession. Ce délai a été maintenu à trois ans dans les deux autres Régions.
B comme Bloqués (comptes)
Voici quelques décennies, on pouvait encore entendre des histoires de coffre-fort que le banquier laissait complaisamment accessible au conjoint survivant 24 ou 48 heures après un décès. La loi est pourtant claire et la digitalisation de l’économie ne permet plus guère ce genre de liberté: une fois un décès déclaré, tous les avoirs et les comptes (y compris communs) d’un défunt sont immédiatement bloqués afin de figer son patrimoine en vue de l’organisation de sa succession. Il est malgré tout encore possible d’effectuer des paiements directement liés à la succession (frais funéraires, factures d’hôpital, etc., autant de postes qui pourront être déduits de la succession) et le conjoint ou cohabitant survivant pourra recevoir de la banque une avance sur sa part du solde du compte commun jusqu’à un maximum de 5 000 euros. S’il retire malgré tout davantage? Il s’expose alors à deux sanctions: l’acceptation implicite de la succession (y compris si elle lui est défavorable) et le remboursement des sommes retirées aux autres héritiers. Notons, en revanche, qu’il est possible de continuer à déposer de l’argent sur un compte bloqué.
C comme Conseil
Par où commencer quand on souhaite réfléchir à la transmission de son patrimoine? « Les questions à se poser sont non seulement « que puis-je faire pour la transmission de mon patrimoine », en ce compris le volet fiscal, mais aussi « que dois-je prévoir pour mon partenaire lorsque je ne serai plus là » et « que dois-je prévoir pour moi-même: aurai-je assez de revenus pour finir mes vieux jours, quid si je ne suis plus en mesure de prendre des décisions à la suite d’un grave problème de santé », etc., pointe Astrid Dutré, legal advisor estate planning chez Nagelmackers. La première chose à faire est de prendre une photo de famille: beaucoup de gens n’ont pas d’enfants, ne sont pas ou plus mariés… Chaque cas est unique. Ensuite, il faut répertorier et évaluer les initiatives prises par le passé: existe-t-il un contrat de mariage? Si oui, devrait-il maintenant être modifié, y a-t-il eu des donations, etc.? Le plus important est d’être bien informé des conséquences de toutes ces dispositions. »
D comme Décès
« Après un décès, la première chose à faire, pour la famille, c’est de prendre le temps. Elle a a essentiellement deux obligations. La première: déposer une déclaration de succession dans les quatre mois suivant le décès, ce qui implique une série de formalités. Il s’agit finalement d’une déclaration d’impôt. La seconde: déposer une attestation d’hérédité, qui revient à déterminer qui hérite du défunt. Attention, si le défunt avait un conjoint, celui-ci pourrait rapidement se retrouver démuni puisque tous les comptes bancaires dont le défunt était titulaire ou cotitulaire seront bloqués (voir lettre B) par l’envoi aux banques de cette attestation d’hérédité. Concrètement, ce document est déposé par le notaire ou éventuellement par la famille directement à l’administration de l’enregistrement s’il s’agit d’une succession simple (pas de testament, pas de contrat de mariage, etc.). »
D comme Déclaration de succession
La déclaration de succession règle le volet fiscal de la succession. « C’est une photographie du patrimoine du défunt le jour de son décès, précise le notaire. Elle sera complétée par des recherches fiscales, des recherches auprès du cadastre pour les biens immobiliers et des banques pour répertorier les avoirs bancaires. A l’actif de cette comptabilité se retrouveront aussi le contenu d’un immeuble, le plus souvent en fonction du montant assuré par l’assurance incendie (souvent 10% du montant assuré), la valeur d’un véhicule, également en fonction de l’assurance auto, des assurances vie ou décès, etc. De cet actif, on déduira le passif dû par le défunt le jour du décès, mais aussi les frais funéraires et les frais d’hôpital qui ne seraient pas encore payés, afin d’évaluer l’actif net. »
D comme Donation (bancaire ou enregistrée)
Deux types de donation en numéraire sont possibles. D’une part, la donation enregistrée devant notaire, qui sera frappée de droits de donation (3,3% en ligne directe en Wallonie et 3% dans les deux autres Régions). Un coût, certes non négligeable, mais qui se compare aux droits de succession nettement plus élevés et qui donne une date certaine à la donation, dont le montant se retrouvera de ce fait définitivement à l’abri de l’assiette successorale.
La donation bancaire, elle, ne sera frappée d’aucune taxe à la condition que le donataire survive au moins trois ans (à Bruxelles et en Flandre) à la transaction, sans quoi le montant versé retournera automatiquement dans la succession à taxer. En Wallonie, ce délai vient d’être porté à cinq ans. « Il vaut mieux réserver la donation bancaire aux petits montants », conseille Astrid Dutré, qui recommande par ailleurs la rédaction d’un pacte adjoint, à savoir un ensemble de clauses et de conditions qui complètent cette donation non enregistrée.
80% – Le taux le plus élevé sur les droits de succession (au-delà de 175 000 euros, sans aucun lien de parenté, à Bruxelles et en Wallonie).
D comme Droits de succession (et de repentir)
Si la déclaration de succession doit être remise dans les quatre mois qui suivent le décès, les droits de succession, eux, sont à payer dans les six mois à compter du décès. « Pourquoi ce délai de deux mois entre la déclaration et le paiement des droits? C’est en quelque sorte un droit de repentir, souligne le notaire Bavier. Au cas où, pris de remords, les héritiers finiraient malgré tout par déclarer un poste éventuellement oublié… » Les droits de succession varient selon la Région où le défunt avait son domicile fiscal et du lien de parenté avec les ayants droit. Ils sont progressifs (ils augmentent par tranche, à l’instar de l’impôt sur le revenu, par exemple) et s’étendent grosso modo de 3% sur les 50 000 premiers euros à 30% au-delà de 500 000 euros en ligne directe (enfants, petitsenfants, conjoint, cohabitant…). Le pourcentage est par contre compris entre 30% et 80% s’il n’y a pas de lien de parenté. Pour les frères et soeurs, la fourchette est comprise entre 20% et 65%, et de 25 à 70% entre un oncle et son neveu (pour les méthodes de calcul, voir à la lettre R: régionalisation).
I comme Immeubles
Il est possible de léguer un immeuble de son vivant. On le fait généralement par tranches afin de diminuer les droits de donation puisque, tous les trois ans, les compteurs des droits de donation sont remis à zéro. C’est-à-dire que si l’appartement bruxellois que vous souhaitez transmettre à votre fille vaut 300 000 euros, mieux vaut en donner 50% aujourd’hui et les 50% restants dans trois ans car, à Bruxelles, la taxation est de 10% sur la première tranche de 150 000 euros. Au total, l’impôt sera donc de 10% sur deux fois 150 000 euros au lieu de 10% sur 150 000, 20% sur 100 000 euros et 30% sur 50 000 euros si vous le donniez en une seule fois. « Il est important d’en parler avec les parents et les enfants car il n’est pas rare que les enfants ne soient pas intéressés de devoir gérer un immeuble, préférant du liquide pour mener à bien leurs propres projets. En plus, s’il y a plusieurs enfants, ils se retrouveront en indivision, ce qui peut compliquer les choses, tempère Astrid Dutré. Il faut toujours avoir une vue d’hélicoptère sur toutes les donations mobilières, immobilières ou de société car elles mènent à des conséquences juridiques et fiscales importantes. Le mieux est évidemment d’en parler en toute transparence. » Quant à l’héritage d’un immeuble, il a lieu sur une valeur déclarée de bonne foi mais il peut aussi faire l’objet d’une expertise de contrôle auprès d’un expert assermenté afin de ne plus être remis en cause par le fisc.
L comme Légataire
Quelle est la différence entre un légataire et un héritier? Les légataires, soit les bénéficiaires d’un legs, reçoivent par testament certains biens spécifiques du défunt, alors que les héritiers sont les destinataires des biens (et des dettes) du défunt hors legs éventuellement prévu par testament (on ne peut toutefois léguer la totalité de ses avoirs si l’on a des héritiers, voir à la lettre R: réserve). Le legs, une forme de don mais après sa mort donc, est typiquement utilisé pour soutenir une oeuvre philanthropique. Sa formulation doit être précise (aider « les pauvres du Congo » ou « les chats de Bruxelles » est une volonté bien trop vague pour pouvoir être exécutée) et personnelle: un couple marié ne peut pas rédiger ensemble un testament unique, car chacun doit pouvoir être libre de le modifier à tout moment. Pour plus d’infos pratiques au sujet des legs, consultez par exemple le site dons-legs.be.
L comme Liquidation d’une succession
« Quand les héritiers s’entendent bien, les choses sont relativement simples, note le notaire Bavier. Mais s’ils se disputent, on en arrive parfois à devoir procéder à la liquidation de la succession. On recrée alors une masse successorale comprenant les donations immobilières, les donations mobilières enregistrées, ce qui a été donné précédemment sur la base des déclarations de chacun, etc. Si cela tourne au vinaigre, il faut passer par un inventaire et faire prêter serment à ceux qui ont reçu quelque chose. » Un héritier réservataire qui s’estime lésé, par exemple, peut demander l’application de la réserve jusqu’à trente ans après le décès. Mais dans la grande majorité des cas, le partage des biens d’un défunt se fait à l’amiable, parfois même avant la déclaration de succession.
M comme Mandat (judiciaire et extrajudiciaire)
Quid si l’on se retrouve, à la suite d’un coma ou d’une maladie du cerveau par exemple, en incapacité de prendre des décisions concernant sa propre vie et son propre patrimoine? Si le juge peut décider d’un mandat judiciaire dans l’intérêt de celui qui se retrouve ainsi en incapacité juridique, il peut aussi être utile de désigner soi-même, en pleine capacité de ses moyens, une personne de confiance (un frère, une amie…) qui prendra le relais le jour où cela s’avérerait nécessaire: « C’est le mandat extrajudiciaire« , précise Astrid Dutré. Permis depuis 2014, il a pris un essor particulier avec la crise du Covid-19, constate-t-elle.
N comme Notaire
Le notaire est central pour toute démarche qui concerne une donation ou un héritage. « Si je peux donner un conseil, même si ce n’est pas nécessairement de gaieté de coeur qu’on le fera, c’est d’aller voir son notaire tous les cinq ou dix ans. Un peu comme un médecin de famille, il sera en mesure de faire un check-up complet de ces questions et d’éventuellement vous éviter de très mauvaises surprises si rien n’a été préparé. Non seulement les lois changent régulièrement mais il peut aussi vous aider à y voir clair et vous proposer des solutions dont vous ignoriez peut-être l’existence. Le facteur temps est souvent très important. Pour ne prendre que cet exemple, lors d’une donation d’un bien immobilier par tranche, les compteurs sont remis à zéro tous les trois ans« , détaille le notaire Bavier (Voir la lettre I comme immeuble).
O comme Option successorale
Si les dettes du défunt dépassent ses avoirs, les héritiers sont-ils obligés d’accepter la succession? Non: l’option successorale – c’est le nom de ce droit qui leur est octroyé par la loi – leur permet soit d’accepter purement et simplement la succession, soit de la refuser (quand il apparaît clairement qu’elle se soldera par un montant à payer et non à recevoir), soit encore de l’accepter mais sous bénéfice d’inventaire, c’est-à-dire après avoir répertorié tout le passif et l’actif du défunt. L’administration peut remonter trois ans en arrière avant le décès et présume que l’argent perçu durant cette période est toujours bien sur les comptes du défunt.
P comme Pacte successoral
Il donne la possibilité de prendre à l’avance certaines dispositions afin d’éviter les conflits au moment de la succession. « C’est une mise à plat qui permet de déminer les problèmes avant qu’ils ne surgissent au moment du décès, pour la paix des familles. Mais on ne peut pas dire que la formule, lancée en 2018, connaisse un franc succès, reconnaît le notaire louviérois. On est parfois un peu craintif face à l’exercice. L‘avantage de ce pacte est qu’il est une photographie des valeurs, lesquelles seront indexées à l’indice des prix à la consommation. C’est une base de calcul qui a de l’intérêt. » On appelle « pacte successoral global » (ou familial, et à distinguer du pacte ponctuel) celui qui réunit les parents (ou l’un d’entre eux) et tous les descendants présumés que sont les enfants et les petits-enfants. Il répertorie ce que chacun a déjà reçu et/ou recevra au moment de l’exécution du pacte. « La signature de ce document permet de s’assurer que chaque ayant droit estime être traité de façon juste », peut-on lire sur le site Notaire.be.
R comme Régionalisation
Les droits de succession étant une compétence régionale, ils ne s’élèveront pas au même montant selon que le défunt était fiscalement domicilié à Bruxelles, en Wallonie ou en Flandre. Par exemple, entre Bruxelles et la Wallonie, non seulement la taxation sur les tranches sera légèrement différente (on commence à 25% en Wallonie, mais à 35% en Région bruxelloise lorsqu’on hérite de sa tante ou de son oncle pour ne citer que ce cas) mais, surtout, on calculera l’impôt sur la masse totale à Bruxelles mais par tête (par héritier) en Wallonie, ce qui donnera des montants très différents selon le nombre d’héritiers. Les donations bancaires constituent un autre exemple de législation différenciée (voir à la lettre D comme donation).
R comme Réserve
En Belgique, on ne peut pas déshériter totalement ses ayants droit. Il existe en effet une part intangible qu’on ne peut distribuer aux quatre vents par testament: c’est la réserve. Depuis trois ans, cette part réservataire est d’office de 50% pour les enfants (alors qu’avant, elle dépendait du nombre d’enfants et s’élevait soit à la moitié du patrimoine, soit à deux tiers, soit à trois quarts, etc.). Le solde peut en revanche être transmis par donation ou legs (via un testament) et il est possible de favoriser un enfant au détriment des autres, par exemple parce qu’il a déjà bénéficié d’une donation (voir à la lettre P comme pacte successoral).
T comme Testament
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