Un enseignant décapité en France: l’attentat qui change tout?
Un enseignant décapité pour avoir enseigné la liberté d’expression: le symbole heurte la patrie de la laïcité. Le président Macron intensifie la lutte contre l’islamisme.
Est-ce l’attentat de trop ? Par sa cible, un professeur, dans une République qui place l’éducation comme une de ses valeurs cardinales ; par son mode opératoire qui, du fait de sa sa barbarie, accroît l’exaspération de la population face à un fléau, le terrorisme islamiste, qui n’arrête pas de renaître ; par son contexte, un conflit entre une élève et un enseignant qui dégénère en un assassinat par la faute des réseaux sociaux et l’activisme de fondamentalistes prompts à mettre de l’huile sur le feu, l’attentat par décapitation commis le vendredi 16 octobre contre Samuel Paty, 47 ans, aux abords du collège du Bois-d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, au nord-ouest de Paris, pourrait bien marquer un tournant dans la lutte contre l’islamisme radical en France.
Le « Tout ça pour ça » invoqué après l’attentat contre Charlie Hebdo, dont le procès se poursuit à Paris, prévaut à nouveau dans le scénario qui a conduit à l’assassinat du professeur d’histoire-géographie du collège des Yvelines.
Plaintes
Le 5 octobre, Samuel Paty prévient ses élèves de 4e qu’au cours d’enseignement moral et civique du lendemain, il présentera des caricatures de Mahomet et que les élèves qui le souhaitent pourront quitter la classe, détourner le regard ou fermer les yeux. Ce n’est pas la première fois que l’enseignant utilise ces dessins pour traiter de la question de la liberté d’expression.
Le 7 octobre, le père d’une élève de 13 ans publie pourtant une vidéo sur les réseaux sociaux où il fustige l’attitude du professeur qui a présenté « une photo du Prophète nu », en réalité un dessin de Charlie Hebdo, et où il appelle à son exclusion. Une nouvelle vidéo est mise en ligne le lendemain, où le même parent traite l’enseignant de « voyou » et divulgue son identité. Avertie des faits, la principale du collège du Boisd’Aulne rencontre le père de l’élève, le professeur et met en place une médiation. Le premier n’en démord pas et porte plainte à la gendarmerie arguant que sa fille a été exclue du cours. Démentant cette version, Samuel Paty porte plainte à son tour. Le père refuse ensuite de répondre aux convocations de la directrice de l’établissement. Le professeur présente ses excuses quant à la méthode employée. Et au sein de l’établissement, le conflit s’apaise.
Instrumentalisation extérieure
Il ne cesse en revanche d’enfler à l’extérieur de l’école. La première vidéo incriminant Samuel Paty a été relayée par le compte Facebook de la grande mosquée de Pantin, au nord-est de Paris, qui compte quelque 100 000 abonnés. Et un militant propalestinien radical et antisioniste, Abdelhakim Sefrioui, attise le feu de la contestation. Lui qui a accompagné le parent lors de son rendez-vous avec la direction de l’école apparaît dans une troisième vidéo livrant les accusations de la fillette et met en ligne sa propre interview dans laquelle il promet une manifestation devant le collège si des sanctions ne sont pas prises contre Samuel Paty.
L’assassin a-t-il été incité à passer à l’acte?
Le vendredi 16 octobre, Abdouallakh Anzorov, 18 ans, un Russe d’origine tchétchène ayant obtenu l’asile en France avec ses parents, quitte son domicile d’Evreux, à une centaine de kilomètres de Conflans-Sainte-Honorine, se présente à des élèves du collège du Bois-d’Aulne et offre de les payer en échange de renseignements lui permettant d’identifier Samuel Paty. A la fin des cours, peu après 17 heures, il repère l’enseignant, le suit, et le tue à coups de couteau. Il est abattu un peu plus tard par une patrouille de police. Il se serait radicalisé au cours des derniers mois et était inconnu des services spécialisés. A-t-il été incité à passer à l’acte ? Indirectement par l’emballement pris par l’affaire sur les réseaux sociaux ou directement par un des protagonistes de la contestation ? Des médias français ont assuré le 20 octobre qu’Abdouallakh Anzorov avait été en contact avec le parent d’élève et avec l’activiste islamiste avant son passage à l’acte.
Réaction trop tardive ?
La confirmation de cette information renforcerait la détermination du président et du gouvernement de frapper durement cette fois-ci la mouvance salafiste en France. Plusieurs mesures de répression étaient envisagées en milieu de semaine : la fermeture de la mosquée de Pantin, la dissolution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), qui a apporté son soutien au plaignant, et de l’association Baraka City, l’expulsion de quelque 230 fondamentalistes de nationalité étrangère… Une proposition de loi visant à lutter contre les propos haineux sur les plateformes numériques pourrait être exhumée.
Surtout, la législation évoquée depuis la rentrée politique de septembre par Emmanuel Macron pour combattre le séparatisme va connaître un coup d’accélérateur. Elle prévoit, entre autres, la formation en France des imams, l’extension des moyens de lutte contre les associations qui contreviennent aux valeurs de la République, la conditionnalité des subventions qui leur sont octroyées au respect de ces valeurs… Certains estiment cependant que l’initiative du président français est bien tardive. Et il est vrai que l’attaque de Conflans-Sainte-Honorine, en frappant le monde de l’éducation, met le doigt sur un phénomène dénoncé depuis le début des années 2000 par des spécialistes : les coups de boutoir assénés à la laïcité sous la pression de revendications communautaristes.
Dans Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école (éd. Hermann, 168 p.), Jean-Pierre Obin, un ancien inspecteur général de l’Education nationale rapporte les résultats d’un sondage Ifop indiquant que « 38 % des enseignants déclarent que dans leur école […], certains enseignements font l’objet de contestation », que « les plus touchés sont l’histoire-géographie, l’éducation physique et sportive, l’enseignement laïque des faits religieux et les sciences de la vie » et que « plus grave, 37 % des professeurs déclarent s’être déjà personnellement censurés pour éviter des incidents ». « Constater qu’une partie de la jeunesse française fait sécession de la République, s’exclut de la nation et sombre parfois dans l’obscurantisme est particulièrement éprouvant pour un ancien responsable de l’Education nationale », écrit Jean-Pierre Obin.
Après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher en 2015, il avait été heurté par la minimisation par son ministère du nombre de perturbations de la minute de silence observée dans les écoles. Un hommage semblable sera rendu dans toutes les classes à Samuel Paty à la rentrée scolaire, prévue le 2 novembre en France. Le silence, cette fois-ci, sera-il respecté ?
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