Ukraine: le cauchemar de la guerre urbaine, véritable boucherie, se profile
Combats brutaux, destructions massives, lourdes pertes civiles et militaires: la guerre urbaine que les Russes menacent d’engager en Ukraine est un cauchemar pour les armées et une tragédie sanglante pour les populations prises au piège.
Près de deux semaines après le début de l’invasion russe, la perspective d’un assaut de grande envergure sur des villes ukrainiennes prend corps. « On va sans doute vers des encerclements, avec des pseudos évacuations et des bombardements, une gestion par à-coups des convois de médicament et d’alimentation, cela va produire un nombre considérable de victimes civiles », estimait dimanche un haut gradé français. Moscou a annoncé mardi l’instauration de cessez-le-feu pour permettre l’évacuation de civils en provenance de Soumy, ainsi que des villes assiégées de Kharkiv (nord-est), Tcherniguiv (nord) et Marioupol (sud), ravagées par les bombardements.
Les habitants de la capitale Kiev, eux, attendent fébrilement le déclenchement d’une offensive des forces russes qui encerclent la ville, et le stratégique port d’Odessa risque aussi d’être attaqué, ravivant les images d’Alep et de Grozny, anéanties par les bombes russes ces dernières décennies. « Les frappes aériennes, l’artillerie lourde et les bombes baril ont été conçues et pensées pour des guerres en terrain ouvert et se retrouvent utilisées en zones peuplées, ce qui revient à une souffrance programmée des civils », dénonce Baptiste Chapuis, dont l’ONG Handicap International milite pour faire encadrer l’usage des armes explosives dans les zones urbaines.
« Les Russes (…) se retiennent par rapport à ce qu’ils pourraient faire. Mais je crains que la situation tourne à une version allégée de Grozny. Je doute qu’ils tentent de raser des villes entières comme ils l’ont fait en Tchétchénie mais ils vont sans doute au-devant de lourdes destructions s’ils tentent des assauts urbains », estime Michael Kofman, spécialiste de la Russie du centre de recherches américain CNA.
Les combats livrés en zone urbaine rythment l’histoire de la guerre moderne. Entre 2016 et 2017, huit mois ont été nécessaires pour reprendre la ville irakienne de Mossoul à quelques milliers de jihadistes du groupe Etat islamique.
Attaquant plus vulnérable
La prise d’une ville qui résiste est généralement sanglante, destructrice et les combats à très courte distance, au milieu d’un champ de ruines, d’une grande brutalité. « C’est véritablement à partir de la Deuxième guerre mondiale que les forces occidentales s’engagent dans des combats urbains intenses et fréquents », note John Spencer, du Modern War Institute de l’académie militaire américaine West Point.
« Mère » des combats urbains contemporains, la bataille de Stalingrad livrée en 1942-43 entre armées allemande et soviétique a mobilisé des moyens militaires considérables et s’est soldée par une véritable boucherie, avec des pertes humaines civiles et militaires estimées à 2 millions de morts.« Notoirement difficile à mener, les opérations urbaines sont le pire cauchemar des forces armées, des hauts gradés et des chefs politiques« , souligne Lance Davies, chercheur à l’Académie royale militaire britannique de Sandhurst. « Un assaut sur Kiev exigerait une mobilisation colossale de ressources et de personnel, et va surtout placer les militaires russes au contact direct des populations civiles », estime-t-il.
Pour qu’un rapport de force soit favorable en milieu urbain, il doit être d’environ dix à un, selon une source militaire française, car l’avantage y est toujours au défenseur, qui dispose d’une meilleure connaissance du terrain, peut rapidement se déplacer d’un point à un autre et jouit du contrôle des points hauts comme les immeubles.
A l’inverse, la densité urbaine rend les manoeuvres militaires plus difficiles qu’en terrain ouvert et limite la puissance des blindés, voire les rend vulnérables. « Ce serait suicidaire d’envoyer les chars en zone urbaine. Ils ne peuvent pas manoeuvrer et bouger. Même avec une roquette anti-char vous pouvez les frapper », souligne Alexander Grinberg, du think tank israélien JISS. « Pour conquérir des villes il faut avoir une infanterie professionnelle et très motivée car c’est toujours très dangereux ».
D’ores et déjà, une partie de la population ukrainienne a promis de livrer une résistance farouche. « Chaque maison, chaque rue, chaque poste de contrôle résistera jusqu’à la mort s’il le faut », a promis sur Instagram le maire de Kiev et ancien champion du monde de boxe Vitali Klitschko.
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