Serge Jaumain (Centre AmericaS, ULB): « Kamala Harris jouera un rôle important »
Vu les circonstances, sa vice-présidence sera différente des précédentes, estime Serge Jaumain, codirecteur du Centre AmericaS de l’ULB. Un tremplin évident pour une candidature en 2024. Entretien.
(Re)vivre l’investiture de Joe Biden
Des éléments objectifs inclinent-ils à penser que la vice-présidence de Kamala Harris sera différente des précédentes?
Historiquement, les pouvoirs dévolus au vice-président dépendent entièrement du président. Son rôle est d’être la doublure, de secours, du président. Les premiers vice-présidents n’habitaient même pas à Washington. Progressivement, leur rôle est devenu plus important mais, chaque fois, à l’entière discrétion du président. Deuxième considération, le vice-président est choisi pour des raisons en partie électorales. Le président et le vice-président se présentent en ticket devant les électeurs. Le tandem Barack Obama – Joe Biden était très complémentaire alors qu’a priori, ils n’étaient pas des alliés au départ. D’une certaine façon, on pourrait dire la même chose de Joe Biden et de Kamala Harris, celle-ci ayant pu attirer le vote des plus jeunes, des femmes, des Afro-Américains… On a bien vu pendant la campagne qu’ils formaient un tandem assez solide. Ils ont laissé entendre qu’au moment où une décision importante serait prise, Kamala Harris serait « la dernière dans la pièce avec le président ». C’est une façon très claire de dire qu’elle va jouer un rôle important. Deux explications à cela: elle est très complémentaire de Joe Biden et la manière de fonctionner du président, adepte des compromis et qualifié pour fédérer les points de vue, le conduit tout naturellement à travailler de façon étroite avec la vice-présidente. De surcroît, Joe Biden sera de très loin le président le plus âgé des Etats-Unis à la fin de son mandat. Kamala Harris semble avoir toutes les compétences pour reprendre la présidence du jour au lendemain. Son expérience comme sénatrice et comme procureure générale de Californie, première femme à ce poste, fait que Joe Biden va l’associer pour profiter de ses qualités mais aussi pour la préparer en cas de coup dur pour sa santé. Dans ce contexte, on peut penser qu’elle est en route pour être une des candidates aux primaires démocrates dans quatre ans. Il doit y avoir un accord entre eux pour que Joe Biden lui laisse une place, comme cela a été annoncé. Ce sera une façon de faire la transition parce que quatre ans, c’est très court pour un mandat de président. Tous ces éléments expliquent qu’elle devrait jouer un rôle important.
On a rarement vu une équipe, en début de présidence, aussi qualifiée que celle dont Joe Biden s’est entouré.
Quatre ans de vice-présidence, est-ce réellement un avantage pour une candidature à l’élection présidentielle?
Très clairement, oui. Elle pourra montrer ses compétences. Et elle sera en pleine lumière. La fonction lui donne immédiatement une popularité très importante. Il faudra voir évidemment comment elle va gérer cela.
Au-delà de leur « complémentarité électorale », Biden et Harris représentent-ils des courants différents au sein du Parti démocrate?
Ils sont tous les deux issus de la ligne centriste, même si Kamala Harris est sans doute un tout petit peu plus à gauche que le président. Conséquence: il risque d’y avoir lors des prochaines primaires des personnes qui vont s’opposer à elle, au nom de la gauche du parti. Mais les élections se gagnent aussi en partie au centre ; ce qui devrait faciliter la candidature de Kamala Harris.
Peut-elle, comme vice-présidente, insuffler ses propres accents au programme de la présidence?
Cela semble évident. Mais ce qu’elle insufflera au cours du mandat, elle va le faire essentiellement à travers Joe Biden. L’important est qu’ils forment une équipe. Il ne faudrait pas qu’elle soit en roue libre. C’est d’autant plus important que cette image d’unité est généralement appréciée de la population. Si Joe Biden commet des erreurs, il faudra voir comment les relations évolueront. Mais on peut penser qu’il va gérer les affaires du pays avec toute l’expérience qu’il a acquise. On a aussi rarement vu une équipe, en début de présidence, aussi qualifiée que celle dont il s’est entouré. Ces personnes ont beaucoup d’expérience ; ce qui tranche avec l’équipe de Donald Trump. Elles sont aussi très centristes. La gauche démocrate y est très peu représentée. On peut dès lors penser que des tensions surviendront au sein du Parti démocrate. Et la présence de Kamala Harris n’arrivera pas à la calmer.
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Est-ce un grand danger pour la présidence de Joe Biden?
Ce sera un danger. Parce que l’on doit bien garder à l’esprit que l’unité du Parti démocrate s’est faite en grande partie grâce à Donald Trump au moment des élections. Joe Biden n’a pas soulevé un enthousiasme débordant même s’il a réalisé un score électoral très impressionnant. Et depuis l’élection du 3 novembre, l’attitude de Trump fait que la polarisation continue ; ce qui encourage le Parti démocrate à rester le plus uni possible. Il faudra voir ce qui se passera après ce 20 janvier. Mais des fissures au sein du parti sont quasi certaines. La gauche du parti va attendre un certain nombre d’actions. Et elle pourrait connaître des déceptions. Joe Biden et Kamala Harris vont donc devoir réconcilier l’Amérique mais aussi garder la meilleure unité au sein du Parti démocrate, qui a toujours été très divisé.
Kamala Harris est-elle une « Obama au féminin », comme on la présente parfois?
Elle va imposer sa marque. On a vu sa jeunesse, son sourire, son dynamisme, la manière dont elle s’habille, ses Converse, etc. Mais elle n’a pas à ce stade le charisme qui est encore aujourd’hui celui de Barack Obama. Peut-être arrivera-t-elle à l’avoir. Il faudra la voir à l’oeuvre et alors, on pourra juger ce qu’il en est, même si ce sera dans l’ombre du président.
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