Quelle différence entre l’islam politique et l’islamisme?
Le chercheur Hugo Micheron met en garde dans Jihadisme européen contre l’excès de confiance qui ferait croire à un effondrement du militantisme jihadiste. L’historien Daniel Rivet revient dans Islam et politique au XXe siècle sur l’impasse politique qui a conduit à l’émergence du fondamentalisme.
Arguant de la défaite militaire de l’Etat islamique dans la zone irako-syrienne, l’éditorialiste de CNN et du Washington Post Fareed Zakaria a prédit, en avril 2021, l’effondrement du militantisme jihadiste. Enseignant à Sciences Po Paris et à l’université de Princeton, le chercheur Hugo Micheron met en garde, dans Jihadisme européen (1), contre cet excès de confiance qui pourrait gagner les Occidentaux, mobilisés sur un autre front de violence extrême.
Il rappelle que l’histoire du jihadisme depuis 1990 est rythmée par des périodes de « marée basse » et de « marée haute ». « Le jihadisme ne se réduit pas aux attentats. Il est une idéologie religieuse et politique plus vaste que les organisations qui s’en réclament. » Les temps de « marée basse » sont mis à profit pour fortifier le cadre idéologique au point que « la figure centrale [du jihadisme] n’est donc pas tant celle d’un terroriste vaincu que d’un militant convaincu ». Ils préparent de la sorte les prochaines « marées hautes ».
Le jihadisme est une idéologie religieuse et politique plus vaste que les organisations qui s’en réclament.
Hugo Micheron revient, lui, sur celle qui a frappé l’Europe à partir de 2015 au départ du « califat » instauré par Daech au Moyen-Orient. « Près de 90% des Européens qui ont rejoint les organisations jihadistes syriennes dans la décennie 2010 étaient originaires de seulement sept des vingt-huit pays (à l’époque) de l’Union européenne. » La France a été la première pourvoyeuse avec deux mille individus, devant l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique avec cinq cents jihadistes, la Suède et le Danemark. Pour l’auteur, les approches socio-économiques et socio-religieuses se combinent pour expliquer pourquoi les candidats au départ en Syrie sont venus de certains quartiers, villes, villages de ces pays. Une constante les relie cependant: les territoires concernés « correspondent à des foyers d’implantation historique des vétérans du jihad afghan, algérien ou bosnien arrivés dans les années 1990″. Marée haute, marée basse.
Un processus inachevé
Avec un regard historique et pédagogique, le spécialiste du Maghreb Daniel Rivet analyse dans Islam et politique au XXe siècle (2) le « couple sous tension » formé par la religion musulmane et le pouvoir « civil ». Les expériences menées en Turquie, Iran, Pakistan, Arabie saoudite, Tunisie… sont étudiées pour aboutir à la conclusion que l’échec des tentatives d’ancrer la démocratie représentative dans le monde arabe explique l’avènement de l’islamisme. Mais avant cette irruption, ce sont les effets destructeurs de l’hégémonie occidentale agissante tout au long du XXe siècle qui ont fait éclore l’islam politique.
Pour Daniel Rivet, à rebours de cette évolution, « la république kémaliste (turque) accouche du régime politique le plus ouvert au bipartisme et à l’expression de l’islam politique le plus résolument rallié à l’alternance électorale de l’islam méditerranéen ». Mais elle perd de sa force de modèle dans les ambitions islamo-nationalistes de Recep Tayyip Erdogan. Et si le « retour des peuples » a pu être envisagé à partir des révoltes de 2011, l’espoir a été grandement déçu et « la question du lien entre islam et politique est toujours en suspens ».
(1) Jihadisme européen. Quels enjeux pour l’avenir?, par Hugo Micheron, Tracts Gallimard, 62 p.
(2) Islam et politique au XXe siècle, par Daniel Rivet, La Découverte, 126 p.
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