« L’enjeu est d’inciter les déçus à aller voter plutôt qu’à s’abstenir »: les enseignements du premier tour de l’élection présidentielle
Le premier tour de l’élection présidentielle française a livré son verdict : ce sera, une nouvelle fois, Emmanuel Macron face à Marine Le Pen, comme en 2017. Abstention en hausse, claque pour les partis traditionnels, report de voix… Quels enseignements tirer de ce dimanche et comment envisager le second tour, le 24 avril prochain ? Eléments de réponse avec Pierre Vercauteren, politologue et professeur à l’institut de sciences politiques Louvain-Europe de l’UCLouvain.
Macron face à Le Pen, Mélenchon 3e, débâcle des partis traditionnels… Quel est votre sentiment général après le vote d’hier ?
C’est un sentiment très mélangé. D’une part, on est face à un deuxième tour attendu, mais avec des candidats qui ont fait mieux qu’en 2017 (ndlr : Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon). D’autre part, on craignait une vague d’abstention, annoncée par certains sondages à plus de 30%. Cela n’a pas été le cas (ndlr: il s’élève à 25,14%), mais ce taux d’abstention pèse quand même lourd dans la balance.
La dynamique du second tour va être très différente du premier. Désormais, la campagne électorale commence seulement. Avant cela, c’était assez atone, notamment à cause de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine. C’était une campagne bizarre. Ici, c’est une campagne plus classique qui commence. On attend beaucoup du débat du 20 avril, mais il faudra tout autant regarder la campagne législative, qui sera la plus importante depuis le début de la 5e République.
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On est face au même duel, mais pas vraiment la même situation qu’en 2017. Marine Le Pen semble plus proche que jamais de l’Elysée. Peut-elle vraiment le faire ?
Ce n’est pas impossible, mais ça sera difficile. On a encore un réflexe républicain chez pas mal d’électeurs français.
Si on analyse plus finement, on voit que la capacité de report pour Macron est plus importante que pour Le Pen. On a des réactions assez attendues de la part de candidats battus, avec un front qui se dessine contre Marine Le Pen. Mais d’un autre côté, chez LR par exemple, certains se manifestent encore pour elle. Ça fait beaucoup de débats. Le soutien explicite d’Eric Zemmour n’est pas non plus acquis, car il n’est pas certain que tous ses électeurs vont le suivre. Les déçus pourraient malgré tout aller à Macron, notamment en raison de son programme économique, ou aller vers l’abstention.
On ne doit pas sous-estimer que Macron ne s’est pas investi dans la campagne jusqu’à présent. Mais maintenant, il va s’investir à 200% et il a déjà montré par le passé qu’il peut être un redoutable meneur de campagnes.
Si on cumule le score de Marine Le Pen, Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignant, on constate que les voix pour l’extrême droite progressent toujours au fil des élections présidentielles. A qui la faute ?
Quand on analyse plus finement, il y a une radicalisation des citoyens à l’égard de la vie politique, du dégagisme par rapport aux élites dites traditionnelles. Mais c’est aussi une faiblesse de la part des partis extrêmes : ils mobilisent sur des sentiments de rejets et de déception, et moins sur une adhésion en tant que telle.
Zemmour a fait campagne sur des thèmes de menace, avec un succès en deçà de ce qui était espéré. Marine Le Pen a bénéficié du « phénomène Zemmour », qui donnait l’impression qu’elle était plus au centre. Mais cette situation va la rendre plus exposée au second tour, car elle va se retrouver à nouveau à l’extrême droite.
Il y a beaucoup de votes de réactions et de protestations, la proportion de mécontents augmente. Cela se constate dans le monde entier, pas uniquement en France.
On savait la gauche mal en point, cela se confirme avec le score historiquement bas d’Anne Hidalgo, qui se retrouve derrière Jean Lassalle. Mais la droite ne s’en sort par mieux, avec moins de 5% pour Valérie Pécresse. On assiste à la fin des partis traditionnels en France ?
On assiste aussi à la déliquescence des partis historiques, le PS et Les Républicains, voire même les écologistes, et cela pose aussi beaucoup de questions. Il y a deux choses à distinguer: la capacité de mobiliser pour une élection présidentielle, et pour les législatives. On est en quelque sorte devant une élection à 4 tours. En dépit de mauvais score des partis historiques, ils gardent un fort ancrage au niveau local.
Vont-ils avoir la capacité de remobiliser, de recréer une dynamique pour redresser la barre pour les législatives, ou la pente descendante est-elle inarrêtable ? C’est ça l’enjeu immédiat et vital. Ces partis ont encore un capital local. Le vrai enjeu pour eux, outre le barrage à l’extrême droite, c’est de survivre politiquement aux élections législatives. Ils ont un potentiel qui doit le leur permettre, mais ils ne peuvent pas uniquement compte sur l’ancrage local.
Des défaites comme celles-ci laissent des traces. Le PS, LR et les écologistes ne doivent pas seulement resserrer leurs rangs, mais revenir avec un programme remobilisateur. Le temps presse et le délai est très court.
Le taux d’abstention est important, mais n’atteint pas le record de 2002. Comment l’envisager au second tour ?
Il n’y a pas eu le raz de marée abstentionniste attendu. On avait encore en tête le taux d’abstention lors des régionales. Les élections présidentielles mobilisent davantage, ça reste vrai.
Quant au taux d’abstention au second tour, cela dépend de la qualité des campagnes des deux candidats. On est devant un grand degré d’incertitude sur l’abstention. Il n’a pas dépassé 30% comme attendu, mais il faut rester prudent.
Le vote des jeunes se manifeste davantage en faveur de Mélenchon. Un bon score, mais qui n’est pas suffisant pour le candidat de gauche radicale. Les jeunes sont-ils condamnés à être déçus pendant encore quelques années ?
Comme on a pu l’observer à travers les sondages, l’abstention est davantage présente chez les jeunes que chez les plus âgés. C’est quelque chose qu’on constate ailleurs aussi, pas uniquement en France.
Il y a chez les jeunes une certaine défiance à l’égard des politiques, qui fait qu’il y a une volonté de chercher « autre chose ». Cela peut se manifester via une alternative politique, de type Jean-Luc Mélenchon, – ou via l’abstention. Les jeunes cherchent à s’engager ailleurs (mouvements associatifs, réseaux sociaux…) qu’en politique, c’est un vrai défi pour les partis. Ils sont prêts à s’engager, mais sous une autre forme.
Qu’attendre du comportement de l’électeur français au second tour ?
C’est la difficulté pour Marine Le Pen: savoir si un vote anti-Macron va se porter vers elle ou l’abstention. Cette dernière ne lui profitera pas car le report de la voix est plus limité pour elle.
L’enjeu est d’inciter les déçus à aller voter plutôt qu’à abstenir.
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