Carte blanche
Le régime iranien est une épée dans les mains de la géopolitique russe (carte blanche)
« L’Iran est-il un allié secret de la Russie dans le conflit ukrainien? », s’interroge l’analyste Hamid Enayat. Qui dissèque les liens énergétiques entre le pays de Poutine et celui de Khamenei.
Le site d’information analytique Oil Price avait précédemment déclaré que dans le cadre d’un accord de 20 ans entre l’Iran et la Russie, le pays pourrait contrôler la vente du gaz iranien. En d’autres termes, selon l’une des dispositions de l’accord de 20 ans avec la Russie, Téhéran a accepté que Moscou encadre le marché du gaz et détermine à quel prix et à quels pays l’Iran vendra du gaz.
Au troisième jour de la guerre avec l’Ukraine, la Russie a menacé de couper les livraisons de carburant à l’Europe. En même temps, certains analystes ont affirmé qu’un accord nucléaire avec l’Iran pourrait sauver l’Europe d’une crise du carburant et lui permettre ainsi de se remettre d’un déficit budgétaire et de redresser son économie défaillante. Cette déclaration a été faite à un moment où il semble très improbable que la Russie perde facilement son atout au profit de l’Europe.
D’autre part, certains analystes occidentaux ont émis de nouvelles spéculations sur l’Iran, affirmant que ce pays avait délibérément quitté le marché européen du gaz il y a quelques années afin d’ouvrir la voie à la Russie pour faire pression sur l’Europe dans le domaine énergétique. Et nous serions en quelque sorte témoins de cette pression avec l’invasion de l’Ukraine.
Selon Mehran Emadi, conseiller officiel de l’Iran pour l’économie de l’UE, en 2016 et avant, l’Europe envisageait d’investir dans des projets gaziers iraniens pour y acheter du gaz et réduire sa dépendance à l’égard de la Russie. Les États-Unis avaient également reconnu qu’il était dans l’intérêt de l’Europe de délivrer des licences pour des exportations de gaz iranien, mais soudain, la situation s’est envenimée au point que l’Occident a déclaré que l’Iran ne voulait pas coopérer et poursuivait les politiques énergétiques de la Russie.
L’Iran, dont l’économie s’effondre, est le deuxième détenteur de gaz naturel au monde. Mais l’Iran n’extrait pas sa part de gaz et ne la vend pas. La théocratie iranienne ne poursuit pas non plus ses intérêts nationaux, mais ses propres intérêts islamistes et fondamentalistes. Selon l’expert gouvernemental Mehrdad Emadi, le peuple iranien, dont au moins la moitié vit dans une pauvreté absolue, a été privé de 23 milliards de dollars faute d’extraction pétrolière.
Lire aussi | Iran: la peur a changé de camp (carte blanche)
Oil Price explique également qu’avec la découverte d’un nouveau gisement de gaz, l’Iran est en mesure de fournir 20 % du gaz européen. Le champ gazier de Tchalous (dans le nord de l’Iran) pourrait constituer une menace géopolitique sérieuse pour le rôle dominant de la Russie sur le marché européen du gaz. En d’autres termes, la Russie a toujours essayé d’empêcher le gaz iranien d’atteindre l’Europe. La Russie ne veut en aucun cas que l’Iran entre sur le marché européen de l’énergie. Car si l’Iran entre sur ce marché, l’autorité de la Russie en Europe sera compromise.
Au troisième jour de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, cette dernière a officiellement menacé de couper ses exportations de gaz vers l’Europe. La menace russe a incité l’Allemagne, à l’époque, à suspendre les nouvelles sanctions contre la Russie. C’est alors qu’une sérieuse spéculation est apparue parmi les Européens. Le fait que, peut-être il y a quelques années, l’Iran s’était « consciemment » retiré du marché européen du gaz afin d’accroître la capacité de Moscou à augmenter la pression sur l’Europe. Dans cette spéculation, l’Iran a certainement aidé Moscou à paralyser l’Europe par des moyens énergétiques et l’Europe ne pouvait pas ne pas réagir à la campagne d’occupation de l’Ukraine. Dans cette optique, l’Iran, avec l’aide de la Russie, a pratiquement transformé l’hiver européen en un purgatoire gelé.
Ces derniers jours, le point de vue de l’Europe sur la question iranienne a radicalement changé. L’Europe est désormais confrontée à une question majeure dans l’affaire iranienne. Premièrement, l’Iran était-il un allié secret de la Russie dans le dossier ukrainien ? Si la réponse à cette question est oui, une autre alors se pose. Quels sont les objectifs du principal décideur à Téhéran, le Guide suprême, qui a voulu avoir les coudées franches pour adopter n’importe quelle politique en amenant Raïssi à la présidence et en uniformisant son régime ?
Auparavant, l’Europe considérait l’Iran comme un pays qui non seulement déstabilisait la région, mais représentait également une menace par son influence régionale en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen, par ses projets de développement de missiles et de bombardements, et par le développement de l’extrémisme islamiste et du fondamentalisme. Désormais, une opinion dit que l’Iran serait l’épée de Moscou dans la région.
Coopération politique et géopolitique régionale
La coopération entre les régimes iranien et russe a conduit les pays arabes à conclure des accords majeurs avec la Russie pour éloigner Moscou de Téhéran. Lors de l’agression contre l’Ukraine, ils n’ont pas pris position aux côtés de l’Ukraine et d’autres pays du monde pour condamner publiquement cette agression, qui est contraire à la Charte des Nations unies.
Alors que la société iranienne est devenue un baril de poudre, Khamenei est incapable de résoudre ses problèmes économiques et internes, veut avec un « regard vers l’est » nourrir son hostilité et son opposition avec les États-Unis et l’Occident. Il cherche donc à créer une faille dans le P5 + 1 avec l’aide de la Russie afin que, par exemple, la question iranienne ne soit pas soumise au Conseil de sécurité ou que le mécanisme de déclenchement ne soit pas utilisé contre son régime.
Khamenei s’est toujours appuyé non pas sur les intérêts de l’Iran, mais sur les intérêts de l’islamisme ou de ses fondamentalistes. Et tant que les intérêts du peuple iraniens ne seront pas pris en compte, parvenir à un accord dans lequel l’abandon régional ou la construction d’une bombe atomique est écarté à tout jamais reste un mirage, ou à tout le moins, une pensée puérile.
Hamid Enayat, analyste iranien basé en Europe
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici