Pourquoi l’Europe pourrait se passer du charbon, voire du pétrole russes, mais pas de son gaz (analyse)
L’Europe a annoncé vouloir se passer du charbon russe. Charles Michel a appelé à envisager d’autres sanctions, comme le boycott du gaz et du pétrole. Si se passer de charbon et de pétrole russes ne serait pas inenvisageable, pour l’Europe, bannir le gaz se révèlerait beaucoup plus compliqué, alors qu’il représente 40% de la consommation européenne. Analyse.
Les Européens s’apprêtent à inclure le charbon dans les sanctions contre la Russie. Mais s’il apparaît relativement facile pour l’Union européenne de s’en passer, de même que du pétrole, mettre fin aux achats de gaz est un sujet plus délicat.
Une manne pour la Russie
La Russie est un géant des hydrocarbures, et les revenus tirés du pétrole et du gaz finançaient 45% de son budget fédéral l’an dernier, selon l’Agence internationale de l’Energie (AIE). Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a appelé l’UE à cesser d’y recourir, car ainsi « la Russie n’aura plus d’argent pour cette guerre ». Selon les statistiques américaines sur l’énergie, la Russie a exporté près de 5 millions de barils par jour (mb/j) de pétrole en 2020, dont la moitié vers des pays européens (notamment Allemagne, Pays-Bas, Pologne).
Les Etats-Unis, gros producteur d’énergie, ont décidé un embargo. Mais l’Europe ne l’envisage pour l’instant que sur le charbon, tout en disant vouloir réduire ses achats de gaz russe des deux tiers dès cette année.
Le charbon, remplaçable
La Russie détient 15% des réserves mondiales de charbon, selon le rapport annuel de BP sur l’énergie. Elle représente 45% des importations de l’UE, avec certains pays particulièrement dépendants, comme l’Allemagne et la Pologne qui l’utilisent pour produire de l’électricité. La tendance dans l’UE est à la sortie du charbon, polluant: la consommation a chuté de 1.200 à 427 millions de tonnes entre 1990 et 2020. Mais parallèlement, les Européens fermaient leurs mines et devenaient plus dépendants aux importations, souligne l’institut Bruegel.
Pour la houille par exemple, les achats de l’UE à la Russie sont ainsi passés de huit millions de tonnes en 1990 (7% des importations) à 43 millions en 2020 (54%). Pour autant, l’Allemagne prévoit de se passer du charbon russe dès cet automne. « Le charbon russe peut être remplacé parce que les marchés mondiaux du charbon sont bien approvisionnées et flexibles », juge l’institut Bruegel.
D’autres gros producteurs sont les Etats-Unis (17,5% des importations de houille de l’UE aujourd’hui), l’Australie (16%), l’Afrique du sud ou encore l’Indonésie.
Le pétrole, envisageable
La Russie est le premier exportateur mondial de pétrole, et fournit plus de 25% du brut de l’UE, selon les statistiques européennes. Au premier semestre 2021, Bulgarie, Slovaquie, Hongrie et Finlande y trouvaient même plus de 75% de leur approvisionnement.
« En principe, remplacer le pétrole russe serait plus facile que pour le gaz », car les importations arrivent par bateau et non par des infrastructures fixes comme les gazoducs, note Bruegel. Des experts évoquent aussi un probable phénomène de « vases communicants »: les barils russes seraient in fine écoulés en Chine, y remplaçant des barils du Moyen-Orient qui deviendraient disponibles pour l’Europe.
Mais la Russie exporte aussi 1,5 million de barils par jour de gazole, dont l’Europe est très friande. « Ça va poser un réel problème pour le diesel« , a mis en garde Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique de la France, qui assure la présidence tournante de l’UE. En cas d’embargo, il faudrait donc trouver d’autres sources de gazole, en plus du brut. TotalEnergies prévoit par exemple d’en importer de sa raffinerie en Arabie Saoudite.
Renoncer au gaz, choix plus coûteux
La Russie exporte directement vers l’Europe, notamment par un réseau de gazoducs. Avec 155 milliards de mètres cubes annuels, la Russie représente 45% des importations de gaz russe et près de 40% de la consommation de l’UE.
La question d’un éventuel embargo divise les pays européens, car certains sont très dépendants, comme l’Allemagne dont 55% du gaz vient de Russie. « Les livraisons de gaz russe ne sont pas substituables » et les interrompre « nous nuirait plus qu’à la Russie », a encore argumenté lundi le ministre allemand des Finances, Christian Lindner.
Dix Etats (Bulgarie, Tchéquie, Estonie, Lettonie, Hongrie, Autriche, Roumanie, Slovénie, Slovaquie, Finlande) dépendaient même à plus de 75% du gaz russe l’an dernier, selon Eurostat. Les Etats baltes ont cessé début avril d’importer du gaz russe et utilisent leurs réserves.
Mais en s’en privant totalement, l’Europe peinerait à remplir ses stockages pour l’hiver prochain. Se tourner vers d’autres fournisseurs, notamment sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL) arrivant par bateau, compenserait seulement en partie, soulignent les experts. Il faudrait aussi réduire la consommation, en limitant la production de certaines industries par exemple.
Un embargo sur l’énergie russe – gaz compris – coûterait entre 0,3 et 3% de PIB à l’Allemagne, vient de calculer le Conseil d’analyse économique français. Et « la Lituanie, la Bulgarie, la Slovaquie, la Finlande ou la République tchèque peuvent connaître des baisses de revenu national comprises entre 1% et 5% », estime-t-il.
Et la Belgique ?
La Belgique importe 30% de son pétrole depuis la Russie, et 6,5% de son gaz, comme le montre l’infographie ci-dessous.
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